Pour la cinquième campagne, Jiang
Jieshi mobilise plus d’un demi-million d’hommes. Il adopte la tactique de l’encerclement total. Les communistes, forts de leur récent succès, se présentent aux frontières pour s’opposer à l’avance ennemie. Pour ce faire, ils dispersent leurs forces, et essuient très rapidement, des revers. Ils sont incapables d’empêcher la progression de l’énorme machine mise au point par les nationalistes. La décision est alors prise de rompre le blocus pour échapper à l’anéantissement.
De la Longue Marche à la guerre
sino-japonaise
Le 15 octobre 1934, 100 000 soldats, emportant avec eux une grande partie du matériel du soviet, commencent à avancer vers l’ouest de la Chine. C’est le début de la Longue Marche. Le dé-
part « se fait en catastrophe » et sous les formes d’une véritable « débâcle ».
Les combats pour franchir les lignes ennemies, les marches forcées coûtent très cher aux communistes, qui perdent en peu de temps la moitié de leurs effectifs. La supériorité des Blancs est encore accentuée par le manque de mobilité des Rouges, gênés par le matériel qu’ils transportent et par la tactique de la « ligne droite », adoptée par les dirigeants. Ces deux facteurs empêchent toute initiative et obligent les fuyards à rester constamment sur la défensive.
De nombreux combattants s’égarent et, pour la première fois depuis l’instauration du soviet, les désertions ne sont pas rares. Le moral des troupes est au plus bas.
C’est le moment choisi par Mao
Zedong pour faire la critique de la ligne politique et militaire des « vingt-huit bolcheviks » et proposer d’autres formes de lutte. Il faut abandonner le matériel le plus lourd et garder le strict nécessaire ; il faut abandonner une trajectoire rectiligne et revenir aux vieilles méthodes de ruse du Jiangxi (Kiang-si) ; enfin il faut reprendre l’initiative et, lorsque c’est possible, attaquer.
Les résultats ne se font pas attendre, et, dès la fin de l’année 1934, l’armée rouge remporte ses premiers succès.
Un grand fleuve, le Wujiang (Wou-
kiang), est franchi sans dommages, et la ville de Zunyi (Tsouen-yi), la deuxième cité de la province du Guizhou (Kouei-tcheou), est prise par les communistes le 5 janvier 1935. Pour la première fois depuis deux mois et demi, les soldats peuvent se reposer. Les propagandistes politiques informent la population du sens du combat mené par les Rouges, des réformes à appliquer.
Mais le passage à Zunyi est surtout capital pour l’histoire du parti com-
muniste chinois. C’est en effet dans cette ville que se tient une conférence où l’ancienne majorité est évincée et où, pour la première fois, Mao prend la direction de fait du Comité central. (Il n’en deviendra officiellement le président qu’en 1945.)
Après Zunyi, la Longue Marche
prend les dimensions d’une épopée.
L’armée rouge se joue des forces
nationalistes ainsi que de celles des seigneurs de guerre locaux. En mai 1935, elle réussit à franchir le Yangzi (Yang-tseu) et commence à traverser des régions occupées par des « minorités nationales », principalement des Yi (ou Lolos). Après plusieurs escarmouches, une paix peut être conclue et les communistes passent leurs territoires sans dommages. Ils se dirigent ensuite vers la rivière Dadu (Ta-tou), où Jiang Jieshi espère bien les anéantir. Un siècle auparavant en effet, d’autres révolutionnaires, les Taiping, avaient été écrasés par les forces impé-
riales dans les mêmes lieux. Une partie des communistes réussit à franchir le fleuve ; l’autre s’engage dans une course désespérée pour prendre le seul pont qui donne accès à l’autre rive en amont du torrent. Cent vingt kilomètres sont parcourus en moins de 24 heures sur des sentiers de montagne... Mais le pont suspendu est défendu par une garnison ennemie, et les planches ont été retirées. Des volontaires, agrippés aux chaînes, réussiront à passer de l’autre côté. L’héroïsme des soldats rouges, fortement émoussé depuis la cinquième campagne, a retrouvé ses droits.
Ce courage est d’ailleurs mis à rude épreuve lors du passage des communistes dans les contreforts du Tibet, à des altitudes dépassant 3 000, voire 5 000 m. Enfin, au Sichuan (Sseu-tch’ouan), l’armée du Jiangxi (Kiang-si) fait la jonction avec d’autres forces communistes chassées de leur soviet et commandées par Zhang Guo-tao
(Tchang Kouo-t’ao), l’un des fondateurs du P. C. C. en 1921, qui avait toujours défini la Révolution chinoise en termes orthodoxes. Très rapidement, une rivalité se développe entre les deux leaders. Pour Zhang, les deux armées doivent s’installer au Sichuan avant de reprendre l’offensive contre les Blancs.
Pour Mao, les communistes doivent rejoindre un petit soviet situé au Shănxi (Chen-si) pour se rapprocher de l’envahisseur japonais. Les deux armées se séparent. Celle de Mao traverse alors des marais très meurtriers et rallie le Shănxi (Chen-si), un an après le départ du Jiangxi (Kiang-si). Ils sont 10 000
à peine à finir la Longue Marche. Et nombre d’entre eux ont été enrôlés sur le chemin.
Apparemment, la traversée de la
Chine a considérablement affaibli
le mouvement communiste. Mais la
venue vers la base d’autres unités, dont celle de Zhang Guotao, renforce très rapidement la position des nouveaux venus, qui s’installent bientôt à Yan’an (Yen-ngan), leur nouvelle capitale.
À partir de leur soviet, les communistes proclament très haut leur volonté de lutter contre l’envahisseur japonais.
Certaines armées nationalistes ne sont pas insensibles à ce mot d’ordre et refusent implicitement de combattre leurs « frères de race ». C’est la raison pour laquelle Jiang Jieshi se rend à la fin de 1936 à Xi’an (Si-ngan), non loin de la base du Shănxi (Chen-si). Son subordonné, le « jeune maréchal » Zhang Xueliang (Tchang Hiue-liang), le fait prisonnier et lui demande de modifier son attitude vis-à-vis du Japon, de ne plus combattre l’« ennemi de l’inté-
rieur », mais celui de l’extérieur. Zhou Enlai (Tcheou Ngen-lai) participe
aux négociations. Finalement, Jiang Jieshi se rend aux arguments de Zhang Xueliang. Quelques mois plus tard, la guerre sino-japonaise éclate. Les communistes et les nationalistes se trouvent réunis pour la deuxième fois.
Auparavant, Mao Zedong aura eu
le temps de rédiger quelques-uns de ses textes les plus importants. Dès dé-
cembre 1935, il définit la « tactique de lutte contre l’impérialisme japonais », puis, un an après, il tire les conclusions de l’expérience passée dans Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine. Enfin, à l’été 1937, il rédige deux textes philosophiques devenus célèbres : De la pratique et De la contradiction.
Cette fécondité n’est pas fortuite.
L’étape franchie par Mao est capitale, et, en 1936-37, il apparaît pour la première fois comme le leader incontesté du P. C. C. C’est l’époque où les premiers journalistes occidentaux (et d’abord Edgar Snow) découvrent le
personnage. Mao est alors un homme dans la force de l’âge, encore maigre, les cheveux assez longs, portant toujours le même costume de coton. Il est d’un abord facile, et sa simplicité, héritée de ses origines campagnardes et des années vécues dans la clandestinité, est déjà légendaire. De même, sa puissance de travail et la capacité qu’il a de s’isoler pour rédiger un texte ou pour assimiler des lectures. Il ne fait pas encore l’objet d’un culte, mais sa popularité est grande sur tous les territoires contrôlés par les communistes.
Mao choisit alors de se séparer de sa troisième femme pour épouser une actrice de cinéma de Shanghai, Jiang Qing (Kiang Ts’ing), qui avait rejoint la base du Shănxi. Le premier mariage de Mao, arrangé par ses parents, n’avait jamais été consommé. Il avait épousé ensuite en 1920 Yang Kaihui (Yang K’ai-houei), la fille d’un ancien professeur, fusillée en 1930 par les nationalistes. C’est à elle qu’il fera allusion dans l’un de ses plus beaux poèmes : les Immortels. Sa troisième femme, He Zizhen (Ho Tseu-tchen),