tront une infinité de révolutions qui permettront à l’homme de transformer toujours plus rapidement la société et la nature. Cette vision tient autant à son désir profond de transformer l’homme qu’à son expérience continuelle de lutte armée et idéologique.
Une autre pensée originale de Mao
Zedong prend corps à cette époque.
C’est celle de la « page blanche » (qui symbolise le peuple chinois et plus particulièrement la paysannerie), porteuse de vertu dans la mesure où elle échappe à la perversion des sociétés développées, où règnent l’« individualisme égoïste » ou le « révisionnisme moderne ». Le sous-développement des campagnes est un élément positif, et il n’est donc pas étonnant que l’instauration des communes populaires marque d’après lui le point de départ du communisme, qui gagnera plus tard les villes. Cette préférence du « pauvre et blanc » est caractéristique du point de vue maoïste. Mieux vaut quelqu’un qui veut que quelqu’un qui sait. Encore une fois, l’expérience du Jiangxi (Kiang-si) et de Yen’an (Yen-ngan) n’est pas étrangère à cette analyse : sans la résolution d’hommes modelés par le parti (paysans illettrés, vagabonds et autres
« éléments déclassés »), le mouvement révolutionnaire n’aurait pas survécu face à un ennemi dix fois supérieur en nombre et en équipement.
Le « grand bond
en avant » et ses suites
Le « grand bond en avant », fondé
sur une mobilisation de masse sans précédent, correspond chez Mao à la croyance selon laquelle la volonté des hommes peut venir à bout de toutes les difficultés. C’est aussi le moyen de forcer la société chinoise, encore marquée par les traditions, à marcher plus vite vers la révolution. Le « grand bond en avant » est mené tambour battant et selon une pratique toute militaire.
Il faut en effet « gagner les grandes batailles de la production ».
Après un début fracassant d’enthousiasme et de volontarisme, l’usure se fait très vite sentir, et l’on enregistre de nombreux échecs, même si les statistiques publiées masquent un temps
l’ampleur de ceux-ci. La méthode maoïste n’est pas seule en cause : des calamités naturelles viennent aggraver la situation, encore compliquée par le retrait des conseillers soviétiques en juillet 1960. Enfin, s’il est vrai que cette extraordinaire dépense d’énergie a abouti à des gaspillages en tout genre, elle a aussi permis l’élaboration de grands travaux qui resteront après l’abandon de cette politique.
À partir de 1959, les critiques fusent à l’intérieur du parti. Certains voient dans cette méthode des « habitudes de guérilla » incompatibles avec une économie planifiée. Or, dans les campagnes, simultanément au « grand
bond », les communes populaires commencent à se multiplier. Conçues sur une grande échelle, elles regroupent plusieurs milliers de familles. Leur fonction est d’abord économique. La formule permet d’utiliser pleinement la main-d’oeuvre. Elles offrent en outre la possibilité de mener des activités extra-agricoles d’ordre artisanal, voire industriel. Surtout, Mao Zedong espère que la commune populaire va devenir l’unité de base de la société communiste, où toutes les différences (entre intellectuels et manuels, entre ville et campagne), toutes les inégalités disparaîtront.
Mais la précipitation qui préside à l’instauration de ce nouveau système, cette brusque tentative de transformer la vie sociale de millions de paysans si peu préparés à une telle révolution mènent l’agriculture chinoise au bord du désastre. Malgré les avatars, les communes populaires continueront à subsister. Cependant, elles subiront très vite des modifications sensibles tant dans leurs dimensions — leur
taille sera nettement réduite — que dans leur organisation, et l’image d’un communisme imminent qui en serait
issu n’est plus mis en avant. (Les « lopins de terre », par exemple, d’abord supprimés, sont bientôt réadmis.)
On ne sait toujours pas avec certitude aujourd’hui si l’abandon par Mao de son poste de président de la République fut volontaire ou bien s’il fut écarté du pouvoir en décembre 1958 à la suite des premiers échecs du « grand
bond en avant » et des communes populaires. Il semble en fait qu’il ait exprimé son désir de se retirer de la présidence dès février 1958 pour raison de santé, mais aussi parce qu’il estimait probablement primordial de consacrer ses efforts à la lutte idéologique.
Il est exact en tout cas qu’il rencontre de plus en plus d’opposition au sein du P. C. C. Au mois d’août 1959, son ancien compagnon d’armes du
Jiangxi (Kiang-si), le maréchal Peng Dehuai (P’eng Tö-houai), ministre de la Défense nationale, critique la politique du « grand bond en avant » et des communes populaires. Il est soutenu par une minorité de membres du Comité central et, semble-t-il, par Liu downloadModeText.vue.download 562 sur 573
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Shaoqi (Lieou Chao-k’i) [du moins au début]. Les opposants perdent finalement la partie, mais l’épisode démontre que le chemin parcouru par Mao est de plus en plus accidenté.
En janvier 1962, Liu Shaoqi aurait lui aussi attaqué la politique suivie en mettant en cause la gestion des communes populaires et la rentabilité du
« grand bond ». Mao Zedong, soutenu par Lin Biao (Lin Piao), aurait violemment répondu à ces attaques. Dès septembre, il exprime son inquiétude à propos de la possibilité de « déviations de droite » et de l’apparition de tendances « révisionnistes ».
En août de la même année, les
mêmes oppositions se seraient manifestées au cours d’une réunion de travail du Comité central où est admise la nécessité d’un « mouvement d’éducation socialiste ». En septembre se tient la dixième session du huitième Comité central. Cet événement, en apparence banal, annonce en fait la Révolution culturelle dans la mesure où la permanence de la lutte des classes est dûment rappelée aux membres du parti. Mao met en garde ses camarades contre le
« danger de changer de couleur ». Pour barrer la route au révisionnisme, il faut
« former des successeurs » parmi les
jeunes qui n’ont pas connu les temps héroïques de la guerre civile ni la lutte antijaponaise. Au moment même où ce problème est abordé par la Ligue de la jeunesse communiste — les futurs membres du P. C. C. —, en 1964, la première édition des citations du pré-
sident Mao (qui deviendra le célèbre Petit Livre rouge) est publiée dans l’ar-mée. Or, on sait que l’armée populaire de libération jouera justement un rôle de substitut du parti lors de la Révolution culturelle.
Enfin, en 1965, un document d’ins-
piration maoïste attaque pour la première fois « des membres du parti qui détiennent le pouvoir, mais qui s’engagent dans la voie capitaliste ».
Ces différentes accusations avaient d’abord été tournées vers l’extérieur.
En effet, la querelle sino-soviétique, commencée quelques années plus tôt, s’amplifie considérablement à partir de 1963. Elle est, du point de vue chinois, directement liée à l’autoritarisme de Moscou vis-à-vis des autres partis communistes, à son attitude de grande puissance et à son refus implicite de dénoncer dans les faits les vieux « traités inégaux » à propos des frontières communes aux deux pays.
La querelle est liée aux positions peu orthodoxes adoptées par Mao depuis 1955 et au fait que la ferveur révolutionnaire est beaucoup plus vivace en Chine qu’en U. R. S. S. Mao est persuadé que le rôle de phare de la révolution mondiale ne doit pas échoir aux Russes, mais aux Chinois, d’autant que pour lui la Révolution viendra des
« campagnes », c’est-à-dire du tiers monde.
C’est dans le domaine culturel
qu’apparaissent les premiers signes de la Grande Révolution culturelle prolétarienne.