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temps, la plupart des transactions et des ajustements se sont faits sur une base locale, dans un équilibre relativement satisfaisant. Pour les biens rares, à très forte portée, la mise en place de réseaux d’échange à longue distance a été le résultat de la création d’organisations assurant le transfert des informations et des biens de manière unilatérale : l’économie du grand commerce a été caractérisée essentiellement par l’existence de marchés imparfaits, laissant des gains considérables et susceptibles d’enrichir une classe d’opérateurs entreprenants.

Marchés modernes :

marchés concrets et marchés à

terme

On assiste au XVIIIe et au XIXe s. à une transformation profonde des grands marchés. Avec les débuts de l’industrialisation, les partenaires cessent d’être nécessairement inégaux sur les places où s’effectuent les confrontations essentielles. En Angleterre, par exemple, les manufacturiers du coton pèsent autant que les marchands qui opèrent à La Nouvelle-Orléans, ou

que les importateurs qui achètent leurs étoffes un peu partout dans le monde.

Les effets de pouvoir sont éliminés. Le marché retrouve sa structure équilibrée et peut jouer son rôle fondamental de mécanisme d’ajustement des décisions économiques. Les partenaires savent les uns et les autres créer des organisations efficaces. Ils comprennent l’intérêt que peut présenter pour les deux parties un service qui établit les cotations et achemine des nouvelles de marché parfaitement neutres et

objectives : c’est ce que réalisent progressivement les grandes places qui se développent en Europe occidentale, à Londres surtout, à Liverpool, à Amsterdam, à Anvers, au Havre ou à Hambourg.

Les marchés concrets, ainsi équi-

librés, permettent le fonctionnement d’une économie libérale de grande

dimension. Dans la mesure où les consommateurs et les producteurs fi-naux sont dispersés et mal informés, les grandes places se subordonnent un réseau de centres plus petits, dont le rôle n’est que partiel (il facilite l’établissement de la transparence) et à travers lesquels une économie de domination peut se mettre en place.

Les marchés se perfectionnent au fur et à mesure que les services de cotation et d’organisation des transactions amé-

liorent leurs techniques. On apprend à évaluer la marchandise de manière scientifique, objective : les matières premières très fongibles se prêtent particulièrement bien à ce type d’opé-

ration. On en arrive à définir les biens de manière si parfaite qu’il n’est plus besoin de les examiner pour réaliser des transactions. S’ils se trouvent dans un magasin général ou dans un navire, on dispose de titres qui assurent de leur existence : on peut vendre et acheter en toute sécurité à distance. L’innovation est d’importance, car elle permet enfin d’acheminer directement la marchandise du producteur au consommateur.

Elle dispense du détour coûteux qui était de règle depuis le début de l’économie marchande. On voit ainsi les marchés concrets d’Europe occidentale ou ceux qui se créent à leur image dans les zones productrices du Nouveau

Monde se transformer en Bourses et en marchés abstraits.

Le stade ultime de la transformation est alors celui du marché à terme. Si la structure juridique est assez ferme pour éviter les surprises de la mauvaise foi, on peut se porter acquéreur ou vendeur de quantités qu’on ne possède pas, et jouer ainsi sur les variations attendues du prix. En principe, les marchés à terme doivent ainsi contribuer à égaliser les cours dans le temps, comme les réseaux de marchés abstraits les égalisent dans l’espace. En pratique, tout dépend de l’attitude des opérateurs. Si les collusions se produisent, il peut très bien y avoir amplification des mouvements et jeu spéculatif pur.

Le système ainsi élaboré à la fin du XIXe s. et au début du XXe s. ordonne l’espace mondial autour de quelques grands foyers de transactions. C’est là

que se produit l’égalisation de l’offre et de la demande mondiales, et à partir de là que s’ordonne la géographie des prix, des productions et des consommations. Depuis deux générations,

ce système a connu des bouleverse-

ments si considérables qu’on a peine à reconstituer sa trame dans le monde d’aujourd’hui.

Marchés abstraits et échanges

délocalisés

La seconde révolution industrielle a multiplié les gammes de produits fabriqués, et créé des articles très diffé-

renciés. Les usines les produisent par grandes séries parfaitement uniformes, si bien que la définition est constante.

L’évaluation est plus difficile que pour les biens jadis échangés, puisqu’elle suppose ou bien une série d’expé-

riences scientifiques, ou bien l’épreuve de l’usage, qui fait que la qualité d’un produit n’est objectivement connue qu’au bout de quelques années. Il suffit alors de faire varier périodiquement le modèle pour rendre cette appréciation objective impossible. Dans ces conditions, le fabricant dispose d’un pouvoir nouveau, presque discrétionnaire, sur l’acheteur. Celui-ci est obligé de faire confiance à la marque. Chaque vendeur en offre une, ce qui fait qu’il réussit à fragmenter le marché en compartiments caractérisés par des produits réellement ou subjectivement diffé-

rents. Les conditions de la concurrence monopolistique sont réalisées. Le fonctionnement de l’économie de marché se trouve transformé, et les conditions géographiques changent totalement.

Plus besoin de points de rassemblement des biens, de confrontations des différents produits, de débats sur les qualités. Ce sont des marques, des propriétés abstraites qui sont confrontées.

Par ailleurs, l’économie industrielle se prête moins bien qu’une autre aux prix fluctuants, dans la mesure où les facteurs de production s’échangent sur des marchés caractérisés par une grande rigidité, celui de la main-d’oeuvre par exemple. Pour toute la production manufacturière, le marché devient donc abstrait, diffus et monopolistique, mais il ne peut réellement s’organiser qu’à l’intérieur d’un espace clos, à l’abri de frontières économiques. Le producteur

fixe unilatéralement le prix. L’acheteur est séduit ou boude : la seule variable d’ajustement est le volume écoulé.

Le mécanisme de marché n’a pas disparu, et le pouvoir du fabricant a des limites ; il suffit de rappeler l’influence des campagnes de Ralph Nader depuis quelques années aux États-Unis pour le mesurer.

Au fur et à mesure que le niveau

de vie augmente, la part du secteur tertiaire dans la vie économique augmente. Il s’agit d’un domaine où la viscosité géographique est forte, puisque la portée est nécessairement limitée. La facilité avec laquelle voyage l’information, et les politiques et idéologies sociales contemporaines ont cependant pour résultat d’aboutir à une uniformisation des prix par décision unilatérale des prestateurs dans un vaste espace. Il n’y a guère que dans les zones de forte concentration de population que la concurrence peut s’exercer et amener le fonctionnement d’un mécanisme de prix de confrontation.

Les secteurs secondaire et tertiaire, où prévalent des systèmes unilatéraux de fixation des prix et des marchés abstraits, délocalisés au sein d’espaces downloadModeText.vue.download 572 sur 573

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 12

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clos par des frontières économiques, représentent une part croissante des volumes produits au sein des économies nationales. Dans ces conditions, l’économie de marché qui prévaut dans le domaine des matières premières et des produits alimentaires de base se trouve déséquilibrée. Les pays développés peuvent subventionner leurs productions ou se protéger contre des concurrents mieux placés. Les nations défavorisées ont de la peine à lutter.