tant. Étrange crise en vérité, qui se traduirait par une intensité et une précocité jamais atteintes jusqu’ici.
La fréquence du divorce, elle-même, ne paraît guère menacer le mariage, puisque bon nombre de ruptures aboutissent à une nouvelle union. Et n’est-ce pas une observation rassurante que la permanence pour ainsi dire spontanée des règles d’homogamie dans le choix du conjoint ?
Mais les variations d’indices enregistrées depuis le début du siècle sont peut-être plus décisives qu’il y paraît d’abord. Que 90 p. 100 des hommes se marient entraîne une certaine margina-lité pour ceux qui restent célibataires.
Dans une population où la nuptialité est si intense, ceux-ci risquent de faire figure sinon d’anormaux, du moins de suspects.
La plus grande précocité du mariage, de son côté, entraîne, elle aussi, des conséquences importantes. Le rajeunissement de deux ou trois années de l’âge du mariage signifie qu’une proportion importante de jeunes se marie dès le terme de l’adolescence, sans avoir toujours atteint ni la maturité psychologique ni l’autonomie économique. À 18 ans ou à 20 ans se décident ainsi des unions dont la durée, du fait de l’allongement de l’espérance de vie, peut désormais atteindre facilement un demi-siècle. Dans la vie du ménage, après le mariage des enfants, il reste une longue période de vie commune en tête à tête : ce changement, parfois très brusque, suppose de la part des époux la recherche, parfois difficile, d’un nouvel équilibre. Une telle situation, il y a seulement un siècle, n’existait que rarement et pour une durée généralement brève.
Enfin, la possibilité de rompre une union par le divorce modifie la nature du lien conjugal. Sans doute, au moment du mariage, la plupart des époux considèrent-ils leur union comme définitive, mais, si des difficultés graves surgissent par la suite, la possibilité d’un divorce modifie, de toutes ma-nières, leurs réactions.
L’analyse de ces indices, malgré certaines ambiguïtés, semble s’ajuster à des données qualitatives connues par ailleurs. On sait en effet que l’émancipation des jeunes gens n’est plus liée aujourd’hui au mariage. Aussi bien pour le garçon que pour la fille, elle le précède bien souvent. D’autre part, dans le couple, entre l’homme et la femme, les relations sont plutôt d’égalité que de hiérarchie ; juridiquement au moins, il n’y a plus de « chef de ménage ». S’il est vrai que l’homogamie reste de règle, elle n’est plus guère motivée par le souci d’une alliance destinée à maintenir et à transmettre le patrimoine. La « reproduction » reste bien le résultat du mariage, mais elle a cessé d’en être la finalité première, du moins dans la conscience claire des conjoints. Ce qui est avant tout visé, c’est l’épanouissement mutuel des époux et le bonheur du couple.
Cet « accomplissement » revêt évidemment des formes différentes suivant l’idéal de chacun, mais, quel qu’il soit, les exigences des conjoints, leurs attentes sont beaucoup plus élevées qu’autrefois. C’est que la famille leur apparaît souvent comme le seul lieu possible des relations authentiques avec autrui. Tout se passe comme si la plus grande part de l’affectivité avait reflué vers la vie conjugale et dans l’intimité du foyer. Le mariage, malgré la permanence des règles d’homogamie, devient le lieu privilégié, sinon unique, où l’individu vit sa véritable histoire et trouve son identité. Jamais le mariage n’avait rempli pour l’homme une fonction semblable. Mais cette extrême valorisation le rend du même coup très vulnérable. Comment supporter l’échec de ce qui est essentiel ? Réussite ou échec de l’union, c’est le sujet, et lui seul, qui en juge. C’est lui aussi qui décide éventuellement d’y mettre un terme.
La crise du mariage, toujours an-
noncée, jamais survenue, certains en voient les premiers symptômes dans la modification assez brusque des indices de nuptialité, en France et dans certains pays d’Europe depuis 1965 : diminution de l’intensité, fréquence plus grande du divorce, augmentation downloadModeText.vue.download 15 sur 575
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 13
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du nombre des « unions juvéniles ».
Mais rien ne permet d’affirmer à partir de l’observation des données qu’une mutation de la nuptialité soit probable et imminente. Un problème nouveau se pose pourtant désormais : le mariage peut-il être fondé, pour l’essentiel, sur la réussite de la vie affective du couple ? La réponse à cette question sera décisive. À terme, plus ou moins proche, une évolution semble de toute façon probable, dont il n’est encore possible ni de prévoir l’ampleur, ni même de connaître le sens. On peut seulement se demander si elle aboutira à une précarité plus grande des unions, c’est-à-dire seulement à une augmentation du nombre des divorces, ou à une remise en question de l’institution elle-même.
H. R.
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Histoire du mariage
Le droit romain présente cette singularité qu’il a connu deux sortes de mariage : le mariage cum manu, qui faisait tomber la femme sous la manus du mari ou du paterfamilias du mari si celui-ci était alieni juris : (elle prenait la place d’une fille dans la famille de son mari et était considé-
rée comme la soeur de ses enfants), et le mariage sine manu, par lequel la femme n’entrait pas dans la famille de son mari et restait sous la puissance de son propre paterfamilias : il n’y avait aucun lien entre la mère et ses enfants, qui faisaient partie
de deux domus différentes.
Alors que la formation du mariage cum manu répondait à certaines solennités, notamment la présence de témoins, le mariage sine manu se formait par le seul consentement des époux. Toutefois, pour se distinguer du simple concubinat, il était entouré de réjouissances et s’accompagnait généralement d’une constitution de dot. L’autorité publique n’intervenait dans aucune de ces formes de mariage.
Alors que le mariage cum manu était indissoluble, le mariage sine manu pouvait se dissoudre par le divorce.
Le mariage cum manu a progressivement cédé du terrain au fur et à mesure du développement du droit romain, et dans les derniers siècles de Rome seul le mariage sine manu était pratiqué. Par voie de conséquence, les moeurs s’étant par ailleurs relâchées, le divorce y devenait de plus en plus fréquent et les empereurs chrétiens eux-mêmes n’osèrent pas le supprimer.
Le mariage, devenu consensuel, en resta là pendant de longs siècles. Aucun écrit n’était nécessaire. « Boire, manger et coucher ensemble » selon le dicton d’Antoine Loisel (1536-1612) suffisait à assurer la possession d’état d’époux. La constitution d’une dot évidemment constituait une preuve plus matérielle. Cependant, l’Église, qui fut longtemps seule à légiférer sur le mariage et à juger les causes matrimoniales (les tribunaux laïques conservant toutefois le règlement des questions d’ordre pécuniaire nées du mariage), avait érigé le mariage en sacrement et proscrit le divorce. Elle chercha dès lors à faire respecter le lien conjugal en entourant sa formation de solennités et de publicité. En 524, le concile d’Arles exigea une dot et des noces publiques : la célébration d’une messe et la bénédiction du prêtre étaient toutes désignées pour servir de formes au mariage. À partir du Xe s., les canons des conciles qui exigent la célébration publique du mariage deviennent fréquents.