La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 13
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1860, qui avait vu son scherzo en mi bémol dirigé par Anton Rubinstein à un concert de la toute nouvelle société de musique russe à Saint-Pétersbourg.
Mais Moussorgski proclame qu’il a l’intention de remettre en ordre tous ses péchés musicaux et de commencer une nouvelle vie. Il entreprend alors un opéra sur une nouvelle de Gogol, Veille de la Saint-Jean, qu’il abandonne, esquisse deux mouvements d’une sym-
phonie en ré majeur et tente un essai d’instrumentation (Alla marcia not-turna). La libération des serfs en mars 1861 crée quelques désagréments à sa famille, et il doit passer les deux an-nées suivantes à la campagne avec son frère pour gérer les biens de Karevo.
S’inspirant de Flaubert, il rédige le livret de Salammbô, dont il compose très vite la musique, influencé par la Judith de A. N. Serov, récemment entendue ; mais il abandonne en 1866 (quelques fragments de cette oeuvre seront réuti-
lisés dans Boris). Des difficultés financières l’obligent alors à entrer comme employé à l’administration du Génie civil. À cette époque, Moussorgski est fortement influencé par N. G. Tcher-nychevski et se joint à une bande de jeunes intellectuels russes partageant des idées d’avant-garde sur l’art, la religion, la philosophie, la politique ; s’imprégnant de leurs vues sur la
« vérité artistique », il sent la nécessité de subordonner l’art à la vie. Les premières manifestations de cette tendance sont Kallistrat, mélodie, et Souvenirs d’enfance pour piano, écrit en 1865 après la mort de sa mère, évé-
nement qui fut cause d’une nouvelle attaque, obligeant Moussorgski à quitter son groupe d’amis et à démissionner du ministère. Libre de tout emploi, Moussorgski écrit trois mélodies, qui marquent le début d’un courant réaliste et humoristique : Chère Savichna, Toi, vieux benêt et le Séminariste, transcrit pour piano des quatuors posthumes de Beethoven ; puis il compose deux poèmes symphoniques : Nuit sur le mont Chauve et Podebrad de Bohême, inachevé. De retour à Saint-Pétersbourg, influencé par les essais d’opéra naturaliste de Dargomyjski (le Convive de pierre), il met en musique un acte du Mariage de Gogol, qui en restera là après avoir été donné en privé et jugé, même par ses amis, d’une avant-garde expérimentale trop poussée. L’année 1869 le voit entrer de nouveau dans l’Administration et déployer une intense activité autour du Boris Godounov de Pouchkine ; Moussorgski écrit le livret, commence les négociations pour la production de cet opéra, en entreprend un autre, Bobil (dont une scène sera transférée plus tard dans Khovanchtchina), compose quatre des mélodies qui formeront le recueil des Enfantines, achève et retouche Boris après son rejet par le comité du théâtre Mariinski, y introduit l’actuel troisième acte et termine cette nouvelle version en un prologue et quatre actes en 1872. Demeurant chez Rimski-Korsakov*, qui travaille à cette époque à son opéra Pskovitianka, il participe avec Borodine* à un opéra-ballet collectif, Mlada, oeuvre qui restera inachevée et dont il reprendra quelques matériaux ultérieurement. Dès cette époque, le cercle de Balakirev se désin-
tègre peu à peu. Non découragé malgré le refus de la seconde version de Boris par le comité des Théâtres impériaux (l’éditeur V. Bessel achètera les droits de l’opéra, ouvrira une souscription et fera représenter l’oeuvre en 1874
au théâtre Mariinski au bénéfice de la chanteuse Ioulia Fedorovna Platonova
[1841-1892]), Moussorgski rassemble documents historiques et éléments musicaux pour Khovanchtchina, auquel il travaille inégalement jusqu’en août 1880. Mais l’alcool altère sa santé, modifie son caractère, le rend incapable d’efforts soutenus, lui fait perdre confiance en lui-même ; de cette pé-
riode datent le cycle de Sans soleil et la suite pour piano de Tableaux d’une exposition ; Moussorgski pense aussi à un opéra comique, la Foire de Sorot-chintsy d’après Gogol, écrit le cycle de Chants et danses de la mort et rompt avec tous ses amis de la première heure à cause de leur idéal différent et surtout de son actuel mode de vie. Son supé-
rieur l’autorisant à aller en Ukraine avec la cantatrice Daria Mikhaïlovna Leonova (1825-1896) et en Crimée
pour une tournée de concerts de trois mois, il en rapporte deux pièces d’impressions de voyage pour piano, mais, dès ce moment, sa déchéance se précipite : il quitte son service, fait de brèves apparitions avec Leonova, qui le prend sous sa protection, l’emmène à sa villa d’Oranienbaum, l’emploie comme professeur de théorie dans son école de Saint-Pétersbourg. Au lieu de terminer ses opéras, il compose une suite sur des thèmes orientaux, une série de peintures du règne d’Alexandre II, assiste à un concert de l’École libre, qui joue sa Défaite de Sennechérib (cantate), et meurt huit jours plus tard à l’hôpital militaire (où I. Ie. Repine fit son portrait in extremis).
Son oeuvre comprend une part im-
portante de pièces pour piano témoignant d’un certain classicisme formel, à l’intérieur duquel se glisse une grande fantaisie harmonique et technique.
On ne peut s’empêcher de comparer tous ces titres avec ceux de Chabrier, dont le génie fut aussi très spontané, du fait d’une formation technique sommaire. Moussorgski a composé,
d’un côté, un groupe de sonates (2),
perdues, de scherzos (3), un menuet
« monstre », un prélude, un intermezzo et, de l’autre, des scènes pittoresques et naturalistes (Jeux d’enfants, Souvenirs d’enfance, Tableaux d’une exposition, Méditation, Une larme, Scènes de foire, Au village) et beaucoup d’arrangements et de transcriptions pour un ou deux pianos (Berlioz, Beethoven, Balakirev, Glinka). Les mélodies sont très nombreuses : les mélodies pour chant et piano sont groupées en cycles (les Enfantines [ou la Chambre d’enfants], Sans soleil, Chants et danses de la mort) ; certaines sont sur des poèmes dus à sa propre plume, pamphlets ou peintures réalistes (Chère Savichna [ou le Dit de l’Innocent], le Séminariste, Toi, vieux benêt, le Polisson, le Bouc, le Classique, etc.) ; les autres sur des poèmes de Goethe, de Pouchkine, de Heine, de Nekrassov, de A. A. Goloni-chtchev-Koutouzov, de Lermontov, de Chevtchenko, etc.
L’oeuvre symphonique est, par
contre, peu importante : deux poèmes symphoniques : Nuit sur le mont
Chauve, Podebrad de Bohême (ina-
chevé) et la Suite transcaucasienne (inachevée), quelques remaniements de projets destinés primitivement à des ballets ou des oeuvres lyriques abandonnés, un scherzo pour orchestre, une esquisse de symphonie.
Toute sa vie, Moussorgski a cherché à traduire et à imiter plus rigoureusement la parole, le geste, le comportement humain. Rien d’étonnant, donc, à ce que sa production soit essentiellement lyrique. « L’interprétation artistique de la seule beauté est un grossier enfantillage, c’est l’enfance de l’Art.
Les fouilles patientes dans les traits les plus secrets de la nature humaine, leur découverte, voilà la vraie mission de l’artiste » (1872). Moussorgski partage avec les glands écrivains et peintres de l’époque le même dédain de la beauté formelle, de la technique parfaite, de l’art pour l’art ; son désir est de relier l’art à la vie du peuple russe et de le nourrir de l’actualité. Ainsi s’explique la réussite totale de Boris Godounov et de Khovanchtchina (achevée par Rimski-Korsakov), chefs-d’oeuvre
précédés de neuf projets d’opéra abandonnés. Les deux tendances, lyrique et naturaliste, y existent côte à côte en
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parfait équilibre ; on y sent l’influence du grand opéra meyerbeerien, mais, au lieu de caractères conventionnels, Moussorgski brosse des portraits aigus, hardis, hauts en couleurs (l’idiot, l’au-bergiste, l’ivrogne, les anonymes de la foule) ; il n’use pas du leitmotiv, mais se sert de certains thèmes pour expliciter l’action. Son harmonie et son orchestre y sont peu orthodoxes en vérité, mais, comme dans toutes ses tentatives instrumentales, pianistiques ou autres, saisissent par leur étrangeté, leur maladresse géniale plus que par leur « modernisme » ; en eux-mêmes, ils sont des contresens, mais forment avec le texte un tout indissociable dont ils renforcent l’expression dramatique.