Le hasard des fouilles n’a pas permis aux archéologues de trouver les édifices sacrés de la première agglomération urbaine, qui a dû se former vers le début de la phase d’Ourouk*
(v. 3700-3300).
La cité-État d’Our
au IIIe millénaire
Au contraire, pour le Dynastique archaïque (v. 3000-2350), on a découvert des édifices cultuels dans la zone sacrée de Nanna (nom sumérien du dieu-Lune protecteur de la cité, que l’on appellera ensuite Souen ou Sin), les premières tablettes inscrites (XXVIIe s.) et surtout les seize tombes royales (XXVIe s.), où des dizaines de servantes et de serviteurs ont été condamnés à accompagner les souverains dans l’au-delà.
Les enseignements tirés de l’exploration de la nécropole sont nombreux ; ils concernent toutefois moins l’architecture (chambres funéraires recouvertes d’un encorbellement de pierre, situées au fond d’un puits et pourvues d’un corridor d’accès) que l’extraordinaire richesse et la diversité du mobilier funéraire qui accompagnait les corps des défunts : bijoux, armes
et vases en métal précieux, perruque en or de Meskalamdug, instruments de musique richement décorés de marqueterie, panneaux incrustés décrivant des scènes de guerre et une scène d’offrande, objets prouvant l’existence d’un art aulique très raffiné et aussi l’étendue des relations commerciales d’Our, qui reçoit, entre autres, du lapis-lazuli du Badakhchān (au nord-est de l’Afghānistān) et des vases de stéatite du sud-est de l’Iran. Cette documentation d’une rare valeur ne peut toutefois masquer l’incertitude que fait naître la constatation de pratiques funéraires tout à fait inattendues en milieu sumé-
rien : les corps des personnages principaux étaient, en effet, accompagnés de chars, attelés de boeufs ou d’onagres, et d’un cortège qui a pu atteindre jusqu’à 80 personnes ; sacrifice, volontaire ou non, dont la finalité nous échappe, mais qui témoigne de pratiques apparemment exceptionnelles en Mésopotamie, à tel point que certains savants se sont demandé si elles ne pouvaient pas être le fait d’un groupe étranger aux Sumé-
riens ; mais les objets qui accompagnaient les corps ne corroborent guère une telle hypothèse.
Peu après l’époque de ces tombes se situent les deux premières dynasties d’Our qui aient été retenues par les scribes du XXIIe s. parmi celles qui avaient exercé la royauté sur le Pays (la basse Mésopotamie). La première, qui est seule bien connue, montre pour ses rois un mélange de noms sumériens et sémitiques, les deux groupes linguistiques étant sans doute depuis très longtemps mêlés dans la cité de Nanna.
Sans que la royauté locale y ait forcément disparu, la ville du dieu-Lune est incorporée dans l’Empire mésopotamien constitué par les rois d’Akkad*
(v. 2325-2200). C’est sous ces derniers que l’on voit apparaître la charge de prêtresse de Nanna, généralement exercée par une princesse. Lorsque l’invasion des Gouti a ruiné la domination des rois d’Akkad, Our passe sous le contrôle des vicaires de Lagash, dont le fameux Goudéa, qui y bâtit deux temples.
L’empire de la
IIIe dynastie d’Our
(2133-2025)
La basse Mésopotamie est libérée du joug des envahisseurs par un roi d’Ourouk, Outou-hegal (2140-2133), dont la puissance est anéantie par Our-Nammou, fondateur d’une nouvelle dynastie d’Our (la troisième des listes canoniques). Cette lignée royale comprend cinq rois : Our-Nammou
(2133-2115), Shoulgir (2115-2067), Amar-Souen (2067-2058), Shou-Sin (2058-2049, Ibbi-Sin (2049-2025).
Dans son empire où les villes sont gouvernées par des vicaires que nomme le roi d’Our, et les temples contrôlés par son administration, la cité de Nanna est vraiment une capitale. Ses souverains, multiplient les édifices religieux dans les villes saintes et manifestent leur richesse par un emploi étendu de la brique cuite, jusque-là rarissime dans ce pays sans arbres, mais c’est à Our qu’ils réservent les constructions les plus grandioses. Dans la capitale entourée d’une muraille haute de 8 m et épaisse à la base d’au moins 23 m, l’aire sacrée de Nanna, également fortifiée, se couvre de monuments dont les fouilleurs n’ont guère retrouvé que les bases des murs, à l’exception de la ziggourat, dont la base mesure 62,50 m sur 43 m et qui comportait trois étages.
Au voisinage de cet énorme massif de briques crues (avec un revêtement de briques cuites), on remarque le temple et la cour de Nanna, la maison des Tablettes (tribunal), la maison du Grand Prince (magasin du dieu), le temple de Ningal (l’épouse du dieu), la maison de la Montagne (palais du roi divinisé de son vivant ?). En bordure de l’aire sa-crée furent édifiés pour les souverains des hypogées funéraires en briques cuites et voûtés en encorbellement, si solidement bâtis qu’ils ont défié les millénaires.
La ville sainte (IIe-
Ier millénaire av. J.-C.)
Attaqués à la fois par les Amorrites (pasteurs sémites venus de l’ouest) et par les peuples du Zagros et du nord-est de la Mésopotamie, la IIIe dynastie d’Our connaît une fin tragique : son dernier roi est pris et déporté en Élam* sa capitale est saccagée par les Élamites.
Les Amorrites vont continuer pendant deux siècles à affluer en basse Mésopotamie, et c’est à cette époque, généralement, que l’on situe la pré-
sence aux portes d’Our du groupe de pasteurs dirigé par la famille d’Abraham. Les Sémites provenant de l’Euphrate moyen ou du désert de Syrie, qui fondent les deux dynasties principales de la basse Mésopotamie (à Isin et à Larsa), prétendent continuer l’empire de la IIIe dynastie d’Our, et la cité de Nanna, qui garde le prestige attaché à son dieu et à son passé, n’a plus de dynastie locale. Grâce à son activité commerciale, elle s’est remise assez vite de la catastrophe de 2025. Les rois d’Isin, puis, à partir de 1925, ceux de Larsa restaurent les fortifications et les temples de la grande cité. Mais, en 1762, le royaume de Larsa est détruit par Hammourabi de Babylone*, qui incorpore Our à son empire mésopotamien. Son fils Samsou-ilouna (1750-1712) écrase une révolte des villes de l’ancien pays de Sumer, et Our subit une seconde destruction (1738), dont elle mettra longtemps à se relever.
Elle n’est plus désormais que le centre d’un riche terroir agricole ; mais son clergé continue à recevoir des dons des souverains de Babylone les plus importants, qui restaurent également les monuments de la ville sainte : le Kassite Kourigalzou II (v. 1345-1324), les rois de la dynastie d’Isin (XIIe-XIe s.), l’Assyrien Assourbanipal (669 - v. 627) et surtout Nabuchodonosor II (605-562) et Nabonide (556-539). Alors que Nabuchodonosor rebâ-
tit et fortifie la cité et reconstruit ses temples sur des plans nouveaux, Nabonide, qui exprime sa dévotion personnelle au dieu Sin, rend aux édifices sacrés leur disposition traditionnelle ; il innove seulement pour la ziggourat élevée par Our-Nammou, qui est trop ruinée aujourd’hui pour que l’on puisse deviner l’allure de ses étages et dont il porte le sommet à 26 m. Vainqueur de Nabonide, le Perse Cyrus (539-530) juge politique d’effectuer à son tour de grands travaux à Our. Mais, ruinée, d’après Woolley, par le déplacement du cours de l’Euphrate et par le fait que les successeurs de Cyrus se désinté-
ressent du culte de Sin, la cité du dieu-
Lune décline rapidement, et sa dernière tablette date de 316 av. J.-C. (peu après la conquête d’Alexandre).
Ce grand centre de la civilisation mésopotamienne avait donc vécu cinq millénaires. Si sa période glorieuse s’était terminée dès 2025, avec la chute de sa dernière dynastie, c’est peut-être au XXVIe s. qu’elle avait atteint son apogée avec les souverains des tombes royales, qui n’avaient pas laissé de traces dans l’histoire et que l’archéologie devait rendre illustres.
G. L. et J. C. M.
F Mésopotamie / Sumériens.