Dans certains cas, il sera fait usage de thèmes empruntés à la partition (l’Enlèvement au sérail). La tendance à préparer l’auditeur au décor deviendra presque générale au début du XIXe s. : décor historique (l’oppression et le soulèvement libérateur dans Egmont de Beethoven*) ou géographique (Turan-dot de Weber* ; l’Auberge de Bagnères de Charles Simon Catel [1773-1830]) avec recours à des thèmes folkloriques du pays où se déroule l’action. Quant à l’ouverture-synopsis du drame futur (Coriolan de Beethoven), elle menait tout droit au poème symphonique.
Exception faite des Maîtres chanteurs, Wagner*, à partir de l’Anneau du Nibelung, concevra des préludes rattachés organiquement au drame et bâtis sur un ou deux motifs, sujets à développements ou variations, et dont la répétition envoûtera le spectateur jusqu’à l’introduire dans le décor ou l’atmosphère psychologique (l’Or du Rhin, la Walkyrie, Parsifal). Verdi*
optera pour cette forme d’introduction, mais en la ramenant à des proportions plus brèves, limitant aussi les effectifs
instrumentaux pour mieux rendre le lieu et l’ambiance des scènes à venir (tableaux de la prison du Trouvère ; de la chambre de Desdémone d’Othello).
Ses successeurs, et en premier lieu Puccini*, agiront exactement de même.
Et le rideau en viendra à se lever pendant, voire avant les premières mesures d’orchestre.
Parallèlement à cette évolution de l’ouverture étroitement liée à l’action, d’autres ouvertures, faites d’assemblages disparates de thèmes pris à la partition, auront vu le jour dans l’opé-
rette et l’opéra-comique. Une solution particulière et troublante aura été proposée par Bizet*, à mi-chemin de ces deux attitudes, avec le prélude de Carmen, résumé incomplet du quatrième acte : incomplet parce que la première partie décrit tout le défilé de la quadrilla (cette scène populaire dans la forme elle-même populaire du rondeau) et parce que la deuxième, qui commence après un long silence, est un grand crescendo dramatique construit sur le thème de Carmen (thème symbolique de la fatalité), mais est brutalement interrompue sur un accord dissonant non résolu.
En marge du théâtre, l’ouverture a existé en tant que forme instrumentale indépendante ou suivie d’autres pièces et formant une suite appelée aussi ouverture (tel un recueil de nouvelles portant le titre de la première). Ces pages, d’expression abstraite, ont pu revêtir la forme de l’ouverture à la française (suites pour orchestre de Bach*), de l’ouverture à l’italienne, ou de l’allégro de symphonie (Ouverture pour harmonie de Mendelssohn*). Certes, ce genre n’a jamais disparu au cours des cent cinquante dernières années (Ouverture de Georges Auric) mais le plus souvent l’ouverture de concert s’est apparentée à un poème symphonique (Ouverture solennelle « 1812 » de Tchaïkovski*) ou à une rhapsodie, bâtie ou non sur des thèmes d’emprunts (Ouverture espagnole de Balakirev [1837-1910], Ouverture cubaine de Gershwin [1898-1937], ouverture « Île-de-France »
de Louis Durey). Dans d’autres cas, l’ouverture est une pièce d’atmosphère (Ouverture tragique de Brahms*, ouverture « En automne » de Grieg*) ou
une pièce de circonstance exécutée au cours d’une solennité (Ouverture académique de Brahms), ou encore une pièce parodique, soit par ses effectifs (Ouverture « burlesque », avec mir-litons, de Méhul [1763-1817]), soit par la thématique que sous-entend le titre (ouverture Dans le style italien de Schubert*, Ouverture pour un opéra-comique inachevé de Saint-Saëns*, Ouverture pour une opérette imaginaire de Jean Rivier).
F. R.
F Poème symphonique.
ouvrière
(question)
Le XIXe s. a vu l’apparition non seulement du prolétariat moderne, mais aussi de la « question ouvrière », c’est-
à-dire de la réflexion sociale sur les nouvelles conditions de la production des biens matériels.
La nouvelle division du travail entraîne l’apparition d’une « question sociale » faite de la prise de conscience ouvrière d’une part, de la réflexion de penseurs généralement étrangers à la classe ouvrière d’autre part. Le passage d’un paternalisme christianisant, qui considère de l’extérieur la situation des ouvriers, à la pensée socialiste, de l’assistance sociale à la lutte des classes, de la « question ouvrière » à la notion de prise de conscience politique du prolétariat est toujours d’actualité. La reconstitution d’un prolétariat soumis aux conditions de travail et de vie du XIXe s. (les travailleurs immigrés) rend plus présentes les analyses du siècle dernier.
Naissance et misère
du prolétariat
Naissance du prolétariat
La séparation des producteurs de leurs moyens de production, l’exode rural provoqué par la révolution agricole entraînent l’apparition du prolétariat concentré autour des manufactures, puis des usines. L’essor du capitalisme* industriel entraîne l’allongement de la journée de travail et
l’accroissement de la productivité du travail, conditions de l’augmentation de la plus-value nécessaire à l’accumulation capitaliste. La littérature anglaise des XVIIe et XVIIIe s. se déchaîne contre la « paresse ouvrière » et le nombre de journées chômées. Mais, dès le XVIIIe s.
l’ouvrier anglais connaît une journée de travail de 13 à 14 heures. L’intensification du travail par l’accélération du rythme et l’augmentation du nombre de machines à surveiller, la détérioration de la nourriture, de l’habitat et du vê-
tement ouvriers correspondent à cette nécessité d’accroître la plus-value.
La transformation de l’ancien travail artisanal, considéré comme créateur, en travail aliéné, « temps mort » de la vie de l’ouvrier, accompagne dans la conscience des travailleurs ces transformations économiques. La condition pour que se rencontrent flux d’argent capitaliste et flux de travailleurs libres, dans la constitution de l’entreprise, est la destruction de l’ancien système de protection de la main-d’oeuvre, traditionnellement emprisonnée dans un système complexe de compagnonnages* et de corporations*. En France, la loi Le Chapelier (1791) va permettre cette destruction et la fixation des salaires directement entre salariés et patrons. Elle interdit par ailleurs toute forme d’association ouvrière, déterminant ainsi la condition ouvrière pour près d’un siècle.
La misère ouvrière
Le coût de la vie croissant plus vite, du fait de l’inflation capitaliste, que les salaires, le niveau de vie des travailleurs tend à baisser au début du XIXe s.
La dépense annuelle moyenne d’une famille de travailleurs en France croît jusqu’en 1825, puis se stabilise ou flé-
chit. Mais, dans le textile, le salaire de 1827 équivaut à la moitié de celui de 1800. En Grande-Bretagne, le salaire nominal du tisserand baisse des deux tiers entre 1820 et 1840.
Les descriptions précises de la
misère ouvrière à cette époque ne manquent pas. L’enquête de René Vil-lermé (1782-1863), publiée en 1840, décrit la condition ouvrière dans le textile en France. La durée du travail effectif est de 13 ou 14 heures,
plus le trajet. La nourriture habituelle comprend le pain, la soupe, la viande un jour par semaine. Les enfants travaillent dès huit ans. Les tableaux de la vie ouvrière se font abondants dans la littérature, créant un nouveau genre, le misérabilisme. Eugène Sue, dans les Mystères de Paris (1842-43), décrit le logement des ouvriers parisiens. Vil-lermé, A. Blanqui* disent l’état physique des ouvriers, de leur famille. En 1845-46, en Flandre, les tisserands dé-
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 15
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terrent des cadavres d’animaux pour se nourrir. Les enfants sont des invalides précoces, la syphilis et la tuberculose font des ravages. En Grande-Bretagne, deux millions de personnes travaillent dans les sinistres « workhouses ».