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Les filatures ouvrent à 5 h et ferment à 20 h. Jules Simon (1814-1896), dans l’Ouvrière (1863), donne une description des ateliers de filature : « Un règlement punit tous les manquements à une discipline quasi militaire. Les températures de travail, l’air pollué, épuisent l’ouvrier. » Le baron Bigot de Morogues (De la misère des ouvriers et de la marche à suivre pour y remé-

dier, 1832) nous a laissé un exemple de budget ouvrier. On y voit que, comme l’écrit le docteur A. Guépin en 1835, pour l’ouvrier, « vivre, c’est ne pas mourir ».

Liste des cas

d’amendes du règlement

d’atelier des filatures de

Tyldesley (Angleterre)

[milieu du XIXe s.]

Est passible d’une amende tout fileur ayant ouvert une fenêtre

ayant été trouvé sale au travail se lavant au cours du travail

n’ayant pas remis sa burette d’huile en place

ayant réparé la courroie de son tambour en laissant son bec de gaz allumé

quittant son métier en laissant le bec de gaz allumé

allumant le gaz trop tôt

filant à la lumière du gaz trop tard dans la matinée

ayant ouvert trop largement son robinet à gaz

sifflant pendant le travail...

en retard de 5 minutes après le dernier coup de cloche

malade n’ayant pu fournir un remplacement satisfaisant

ayant négligé d’enlever ses déchets de fils défectueux trois fois par semaine ayant des déchets sur ses broches...

D’après E. Doltéans, Histoire du mouvement ouvrier (1953).

La première agitation ouvrière

Certes, l’ancien compagnonnage n’a pas disparu ; mais c’est au sein des mutuelles qu’apparaît l’association ouvrière. Elles sont 132 à Paris sous la Restauration. C’est une mutuelle qui lancera les canuts* de Lyon dans l’insurrection. L’owenisme (v. Owen [Richard]) crée les premières coopératives.

Le luddisme — bris des machines, qui représentent à la fois le fruit du travail et de l’exploitation et la menace du chômage — devient fréquent dans toute l’Europe industrielle. La révolution de 1830 en France en voit de nombreux cas. Les grèves sont fréquentes dans les bassins miniers, chez les journaliers. C’est le cas en 1830 à Paris chez les ouvriers imprimeurs.

L’ère des grandes insurrections

commence. À Lyon, grande capitale industrielle, on compte 40 000 tisseurs en soierie. Les ouvriers, entassés dans les étroits logements de la Croix-Rousse, ne gagnent pas vingt sous pour 16 heures de travail. Les fabricants, qui répartissent la matière première et font les bénéfices, constituent aussi la garde nationale. En novembre 1831, les canuts, au nombre de 30 000, conquièrent la ville. Une armée la reconquiert.

En 1832, à Paris, tisseurs, tailleurs et doreurs créent leurs mutuelles. À

Lyon, une nouvelle insurrection (9 avr.

1834) s’appuie sur une grève générale.

Elle est dirigée par un comité d’ensemble des associations ouvrières. Le

mouvement continue à Paris, s’achève par le massacre de la rue Transnonain (13-14 avr.). Claude Anthime Corbon (1808-1891) fonde le premier journal ouvrier en 1840, l’Atelier. Son programme (limitation de la durée de la journée de travail, établissement d’un salaire minimal), les idées de Louis Blanc* sur le droit au travail feront partie du mouvement de février 1848. Des accords entre patrons et ouvriers sur le tarif minimal des salaires conclus à Lyon en 1831, à Nantes en 1833, à Paris en 1843 peuvent être considérés comme les premières conventions collectives françaises.

La répression de juin 1848 est celle de la première grande révolte ouvrière.

Proudhon*, Marx* en sont marqués.

Flaubert, dans l’Éducation sentimentale, et Hugo en laissent un tableau.

Société et

question ouvrière :

liberté du travail et

romantisme social

Désormais, la question ouvrière devient la question sociale. La liberté absolue de l’exploitation déclenche des phénomènes dont on commence à comprendre qu’ils poussent à l’éclatement du système. La simple charité ne suffit plus. L’État commence à réglementer la durée du travail, au moins pour les enfants et les femmes (6 heures 30 et 12 heures par jour en Grande-Bretagne). La Commission du Luxembourg, au cours de la révolution* de 1848, tente de réorganiser le travail ouvrier. La journée de travail est limitée à 10 heures à Paris, les ateliers nationaux sont créés pour assurer le droit au travail. Mais ces mesures dureront peu.

La pensée sociale, celle qui tient compte de la nouvelle organisation réelle de la société, apparaît : Saint-Simon* écrit sa célèbre parabole, découvrant qu’on peut retirer tous les improductifs du champ social sans lui faire éprouver de perte. Fourier*

dénonce dans l’asservissement de la classe salariée l’un des deux piliers, avec l’oppression de la femme, de cette

« civilisation » où travail est contradictoire avec plaisir, où la production se

fait dans l’antipassionnel. La Démocratie pacifique de Fourier et Qu’est-ce que la propriété ? de Proudhon annoncent le Manifeste communiste. Olinde Rodrigues (1794-1851) rassemble

les poésies ouvrières. Liszt dédie aux canuts son Lyon. La question ouvrière s’enrichit d’une culture, mais qui reste extérieure aux travailleurs, à l’exception des grands utopistes et de la chanson (le Chant des canuts, le Chant des filatures du Sud pour les cotonniers américains).

Marxisme et

question ouvrière

La Situation des classes laborieuses en Angleterre d’Engels* préfigure la thèse marxiste : ce n’est pas la conscience qui détermine le mode d’existence, mais l’inverse. L’analyse concrète de la situation de la classe ouvrière fonde la possibilité de tout changement social.

L’augmentation du taux de la

plus-value suppose nécessairement la paupérisation relative de la classe ouvrière, puisque le total des salaires (capital variable) et des moyens de production (capital constant) doit diminuer pour que croisse le taux du bénéfice. Le capital constant ne peut qu’augmenter par l’achat de nouvelles machines, la part du capital variable ne peut donc que diminuer. La misère ouvrière trouve enfin sa science. Le producteur devient sujet de l’histoire, sous la forme du prolétariat sujet de la révolution et cesse d’être rejeté dans les abysses d’une société centrée ailleurs, sur lesquels se penchaient les bonnes âmes.

La question ouvrière devient ainsi la mise en question d’une société par ceux qui la produisent souterrainement.

Paternalisme et

violence antiouvrière

(de 1848 à la Commune)

Concentration de la richesse et

conditions de vie des travailleurs Pendant la période 1843-1880, le nombre des contribuables anglais imposés pour plus de cinquante mille livres a augmenté trois fois plus vite que le

nombre du reste des contribuables. La richesse se concentre de façon croissante entre les mains d’une minorité de plus en plus réduite. Ce mouvement, qui s’accentuera au cours des périodes suivantes, traduit l’accroissement des flux de richesse que la bourgeoisie draine sur le travail. La surface exploitée augmente également : la suppression de l’esclavage, l’abolitionnisme aux États-Unis sont le fait de la bourgeoisie industrielle. Les huit premières années du second Empire* en France verront une augmentation des salaires masculins de 14 à 19 p. 100, alors que les prix augmentent pour la même pé-

riode de 25 p. 100. La transformation de Paris* par Haussmann signifie pour les travailleurs une augmentation des loyers de 50 p. 100 et l’exode hors de la ville.

L’organisation du travail est toujours militaire. Les amendes atteignent le prix d’une journée de travail. Selon le règlement d’une compagnie de chemins de fer, à cette époque de grandes constructions ferroviaires, les poseurs commencent à 5 h du matin et finissent à 7 h du soir, du moins pendant l’été ; les ouvriers restent présents sur la voie même pendant les repas et en cas de mauvais temps. Est passible d’une amende dans les filatures de Roubaix l’ouvrier qui se lave, se coiffe, cire ses souliers pendant l’horaire de travail.