Platon reste alors six années à
Athènes. Mais, en 361, de nouveau Denys le rappelle. « Tandis que du côté de la Sicile comme de l’Italie on me tirait à soi, du côté d’Athènes on me poussait en quelque sorte dehors à force de prières ! » dit la Lettre VII.
Platon confie donc l’Académie à Héra-
clide du Pont et repart pour Syracuse, où c’est de nouveau la brouille avec Denys, qui l’assigne à résidence. Il faut l’intervention d’Archytas de Tarente, qui envoie même un bateau pour le ramener à Athènes, pour qu’il sorte sain et sauf de cette troisième et dernière aventure sicilienne.
Dion, pour sa part, ne renonce pas à ses ambitions. Il lève avec des amis de l’entourage de Platon une petite troupe, débarque en Sicile et entre à Syracuse, où il instaure une dictature.
Mais, trois ans plus tard (354), il est, lui en qui Platon n’avait cessé de voir le roi-philosophe qui promettait de réaliser sa République, assassiné par le plus proche de ses amis, Calippos,
« platonicien » lui aussi.
Platon est resté à Athènes, où il continue à enseigner et à écrire. Il est en train d’achever les Lois quand il meurt vers 348.
L’oeuvre
Si tous les écrits philosophiques de Platon ont été conservés (ce qui constitue un fait exceptionnel pour un auteur de l’Antiquité), tout ce qui nous a été transmis sous le nom de Platon n’est, en revanche, pas toujours d’une authenticité certaine.
Après les excès du XIXe s., qui est allé jusqu’à contester l’attribution des Loi, du Parménide, du Sophiste, du Politique et du Philèbe à Platon, on considère généralement aujourd’hui comme apocryphes ou douteux le Second Alcibiade (De la prière), l’Axiochos (De la mort), les Définitions, le Démodocos (De la délibération), l’Epinomis (littéralement : Supplément aux Lois), l’Eryxias (De la richesse), l’Hipparque (Ou l’homme avide de gagner), Du Juste, les Lettres (à l’exception des VIIe et VIIIe), le Minos (De la loi), les Rivaux (De l’amour du savoir), le Sisy-phos (De la délibération), le Théagès (Sur le savoir) et De la vertu.
Restent vingt-huit ouvrages considé-
rés comme authentiques. Tous sont des dialogues, genre qui est incontestablement lié à l’enseignement de Socrate (bien qu’ils n’aient pas été conservés, la tradition nous signale d’ailleurs des
« dialogues socratiques » qui auraient eu pour auteurs Antisthène, Aristippe, Eschine, Euclide le Socratique, Phé-
don, etc.). Socrate n’en est pourtant downloadModeText.vue.download 613 sur 619
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 15
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pas toujours le personnage central (ainsi dans le Sophiste, le Politique et le Timée) ; dans les Lois, il est même complètement absent. Contrairement à ce qu’avaient essayé d’établir au début de ce siècle J. Burnet et A. E. Taylor, on ne pense plus que ces dialogues aient une quelconque valeur documentaire pour nous renseigner sur ce que furent la vie et la philosophie de Socrate : trop d’anachronismes, trop d’inventions évidentes s’y rencontrent.
D’ailleurs, une tradition, dont Diogène Laërce s’est fait l’écho, rapporte que Socrate, ayant eu connaissance du texte du Lysis, se serait étonné de ce que Platon lui faisait dire.
Fondée sur une étude stylistique et sur des statistiques verbales (Lewis Campbell [1867] et Wilhelm Ditten-berger [1881]), une classification des dialogues en trois groupes à peu près chronologiques est aujourd’hui communément admise.
y Le premier groupe, celui des dialogues de jeunesse, c’est-à-dire des dialogues proprement socratiques, comprend tout ce que Platon a écrit avant d’entreprendre ses voyages (390), soit l’Hippias mineur (Du mensonge), l’Hippias majeur (Du beau), l’Ion (Sur l’Iliade), le Protagoras (Sur les sophistes), l’Apologie de Socrate, le Criton (Du devoir), l’Alcibiade (De la nature de l’homme), le Charmide (De la sagesse), le Lachès (Du courage), le Lysis (De l’amitié), l’Euthyphron (De la piété), le Gorgias (De la rhétorique) et le livre premier de la République, qui, avant de servir de préface à ce gros ouvrage, aurait constitué, sous le titre de Thrasymaque, un dialogue indépendant.
y Les dialogues de la maturité, liés plus à l’enseignement de l’Académie qu’au souvenir de Socrate, forment un
second groupe, qui s’achève au moment du deuxième séjour de Platon à Syracuse (361). Ils comprennent le Ménexène (De l’oraison funèbre), le Ménon (De la vertu), l’Euthydème (De l’éristique), le Cratyle (De la justesse des noms), le Banquet (De l’amour), le Phédon (De l’âme), la République (De la justice), le Phèdre (De la beauté).
Sont à rattacher à ce groupe deux dialogues où Platon critique l’éléatisme de l’école socratique de Mégare : le Théétète (De la science) et le Parmé-
nide (Des idées).
y Enfin le groupe des derniers dialogues comprend le Sophiste (De l’être), le Politique (De la royauté), le Timée (De la nature), le Critias (De l’Atlan-tide), qui est inachevé, le Philèbe (Du plaisir) et les Lois (De la législation).
La philosophie
La forme dialoguée que Platon a donnée à ses écrits ne trouve pas sa justification dans le seul souvenir des entretiens que Socrate avait animés ; elle est également liée — au-delà de l’anecdote — à la méthode pédagogique que Platon présente comme l’héritage philosophique de Socrate, le « maïeute », l’accoucheur des esprits. Art, comme on l’a dit, de « penser à deux », cette méthode porte le nom de dialectique, par opposition à la « sophistique » de ceux dont le souci majeur de Platon fut de se distinguer.
Par opposition aux sophistes, qui ne voyaient dans le dialogue qu’une joute oratoire, qu’un combat de monologues dont la fin se limitait à réduire l’adversaire au silence, le dialogue platonicien vise, en effet, à permettre aux participants d’accorder leurs discours à la vérité. Les sophistes, tels du moins que Platon les peint, sont des « réalistes »
pour qui compte seule la réussite et qui ne s’embarrassent pas de scrupule concernant les valeurs : l’homme, disait Protagoras, est la mesure de toute chose. Le platonisme, au contraire, affirme la transcendance de la mesure. Et ce n’est pas à cause de la difficulté des sujets abordés, mais parce que leurs mauvaises dispositions les conduit à rejeter cette transcendance sans laquelle le mot vérité n’a plus aucun
sens que les sophistes font se terminer sur une aporie la plupart des dialogues auxquels ils participent.
Celui qui parle ne saurait donner la mesure : il ne peut que s’y soumettre.
Le dialogue platonicien est une sorte d’entretien sans maître, le savant (sophistês) n’y a pas sa place, et l’on n’y fait profession que d’ignorance, profession qui constitue le moment inaugural de la philosophie en tant qu’elle est amour (philia), donc désir, donc manque du savoir (sophia). Mais d’un savoir qui soit savoir vrai, alors que celui des sophistes, étant dissocié de la vérité, n’est qu’apparent. Le sophiste ne désire pas savoir, il désire vendre ce qu’il fait passer pour son savoir. Si le moteur du discours sophistique est financier, celui du dialogue platonicien est érotique : ce désir du vrai dans lequel Platon montre, en même temps que la vérité de tout désir, le vrai désir.
C’est là ce que, d’après le récit du Banquet, Diotime aurait appris à Socrate :
« La sagesse est parmi les plus belles choses et c’est au beau qu’Amour rapporte son amour ; d’où il suit que forcément Amour est philosophe. »
Cette opposition historique et méthodologique de Platon et des sophistes redouble l’opposition de deux mondes (sensible et intelligible), qui constitue l’armature du système platonicien.
Les sophistes ont partie liée avec les
« philodoxes », avec les amis des apparences et de l’opinion, dont les discours reposent sur la connaissance sensible des choses matérielles. La philosophie, au contraire, sera essentiellement paradoxale, opposant la réalité aux apparences et la science aux opinions.