Plaute se rend parfaitement compte qu’une pièce ne peut avoir de vie que dans la mesure où elle s’insère dans les moeurs du pays qui la voit naître.
Aussi multiplie-t-il les détails de la vie romaine (usages religieux, termes militaires, rituels et légaux, allusions aux faits contemporains) et laisse-t-il souvent transparaître une morale utilitaire, conforme au génie de sa race, d’après laquelle il vaut mieux, en fin de compte, pratiquer la vertu que le vice.
Ce réalisme un peu terre à terre n’em-pêche pas des remarques plus élevées, et quelques personnages (Captivi [les Captifs], Trinummus [les Trois Écus], Rudens [le Câble]) ont une haute conception de l’existence.
Sans doute faut-il reconnaître que les héros de ces pièces ont quelque chose de stéréotypé. On voit toujours apparaître le fils de famille démuni d’argent, libertin et à court d’expédients, le père moralisateur, mais prêt à redevenir mauvais sujet, la matrone digne et acariâtre, la courtisane délurée et raffinée, plus adroite que la jeune fille naïve, Leno, le marchand d’esclaves, cynique et brutal, et surtout le meneur de jeu, l’esclave ingénieux, hâbleur, impudent, qui met tout en oeuvre pour duper ses ennemis et favoriser les desseins de son maître. Ajoutons le cortège des cuisiniers, des parasites, des soldats fanfarons. Cependant, dans leur caractère conventionnel même, tous ces per-
sonnages offrent un relief saisissant.
Plaute, en effet, dans chacune de ses comédies s’applique à varier les types : poussés dans le sens de la charge, ils diffèrent néanmoins les uns des autres pour autant qu’ils dépendent de la liberté inventive et toujours renouvelée de l’esclave, héros de la comédie.
La conduite de l’action elle-même ne présente pas le développement équilibré de ce qui nous est parvenu de la comédie nouvelle. L’intrigue procède par bonds, avec une désinvolture qui frise parfois l’invraisemblance (ainsi Amphitryon [Amphitruo], Asinaria
[Comédie de l’âne], Menaechmi [les Ménechmes]). Parfois elle est double à l’intérieur d’une même pièce (Aulularia [la Marmite], Miles gloriosus [le Soldat fanfaron]). On relève des longueurs, des maladresses d’enchaînement, des contradictions, des dénoue-ments brusqués (Casina, Cistellaria [la Cassette]), des complaisances pour les effets faciles. Il reste que ce mépris de la logique, ce caractère souvent inorganique de la comédie ne choquent qu’à la lecture et qu’on admire en revanche Fart de la composition de chaque scène formant un tout dont l’élan dramatique emporte l’adhésion.
De l’allégresse au lyrisme
Plaute fait rire, et, à vrai dire, l’intrigue compte peu pour lui. Ce qui importe, c’est le mouvement endiablé de ses pièces, cette entraînante vivacité, qui se manifeste jusque dans les scènes touchantes des Captifs ou du Rudens. Les rebondissements incessants de l’action (ainsi dans le Pseudolus), voire leur incohérence amusent par leurs côtés inattendus, qui produisent un sûr effet comique. Cette rapidité relègue au second plan ce que certains jeux de scène peuvent avoir de traditionnel et fait oublier les grossissements et l’exagé-
ration de la conduite des divers protagonistes. On a pu parler, dans l’univers de Plaute, d’un grandissement épique.
En effet, ces outrances mêmes, ces clowneries, ces plaisanteries, ces dialogues bouffons entre esclaves ou entre esclaves et maîtres, ces parodies du style tragique (Amphitryon, Pseudolus) dénotent la puissance de vision de leur auteur, qui a compris que la veine co-
mique était d’autant plus forte qu’elle contrastait plus violemment avec la réalité quotidienne. Ce décalage entre le monde ainsi dépeint et la vie de tous les jours aboutit à des effets de drôlerie dont les excès sont les garants de la justesse de l’observation. Plus fin, Plaute aurait sans doute perdu de sa force et de sa vérité.
En auteur qui possède à fond son métier, il met au service de son imagination créatrice toutes les ressources de son génie et use de tous les procédés comiques : calembours, à-peu-près, expressions argotiques, mots forgés qui enchantent par leurs sonorités cocasses (Miles gloriosus), jeux de scène burlesques (Amphitryon, Asinaria), quiproquos et méprises diver-tissantes (Amphitryon, Aulularia, les Ménechmes), notations satiriques (dans toutes ces comédies il y a une joyeuse critique des moeurs de la société du temps), traits de caractère (par exemple la scène entre Mégadore et Euclion dans l’Aulularia). Cette verve, cette abondance, cette inlassable gaieté vont de pair avec une versification d’une extraordinaire variété. Il demeure que, si l’oeuvre de Plaute, par son caractère d’improvisation et de fantaisie, annonce ce qui deviendra bien plus tard la commedia dell’arte, elle est aussi essentiellement lyrique. Ce théâtre est le fait d’un grand poète. On a souligné qu’à l’exception du Miles gloriosus les deux tiers des scènes sont chantées ou déclamées, annonçant ainsi l’opéra bouffe. Dans ses cantica Plaute atteint à la poésie sonore et majestueuse (Trinummus), gracieuse et fraîche (Mos-tellaria [Comédie du fantôme]), et il a parfois des accents qui frôlent le drame (ainsi le monologue d’Alcmène dans l’Amphitryon). Les duos de ton alexandrin (telles les chansons du Curcilio [le Charançon]) ou la poésie de la mer qui pénètre tout le Rudens révèlent un tempérament d’artiste conscient de son art.
Cette délicatesse d’expression unie à une verve jaillissante, cette allégresse de tous les instants des comédies plau-downloadModeText.vue.download 618 sur 619
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 15
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tiniennes influenceront tout le théâtre comique occidental.
Un écrivain de transition :
Caecilius Statius (v. 219-
166 av. J.-C.)
Ce poète comique gaulois, venu à Rome comme esclave et affranchi par son maître, était familier d’Ennius et écrivit quelque quarante comédies aux titres grecs ou latins qui connurent un vif succès et dont il reste environ trois cents vers. S’appliquant à une imitation étroite des Grecs, il vise à des réflexions d’ordre psychologique et moral plus familières que celles de Plaute.
Sa réputation fut grande parmi les Anciens : Cicéron, qui le cite abondamment, le met au premier rang des comiques, et Varron loue son habileté dans la conduite de l’intrigue.
A. M.-B.
F Comédie / Latine (littérature).
E. Fraenkel, Plautinisches im Plautus (Berlin, 1922). / P. Lejay, Plaute (Boivin, 1925). /
G. Jackmann, Plautinisches und Attisches (Berlin, 1931). / A. de Lorenzi, Cronologia e evoluzione plautina (Naples, 1952). / E. Paratore, Plauto (Florence, 1962). / B. A. Taladoire, Essai sur le comique de Plaute (Impr. nat., Monaco, 1962. / M. Delcourt, Plaute et l’impartialité comique (la Renaissance du livre, Bruxelles, 1965).
plébiscite
Ratification par les électeurs d’une décision d’ordre constitutionnel prise par les détenteurs, légitimes ou de fait, du pouvoir.
Choix par une population de son statut international.
Introduit dans les institutions politiques romaines en vue de faire participer la plèbe — c’est-à-dire le peuple
— à l’oeuvre législative, le plébiscite devient à Rome, à partir de Marius (157-86 av. J.-C.), le moyen pour un homme d’État, combattu par le parti aristocratique, de se faire confier par le peuple le pouvoir que le sénat lui refuse. Son utilisation en France, au XIXe s., par les deux Napoléon pour faire reconnaître la légitimité du pou-
voir personnel qu’ils ont instauré par un coup de force est à l’origine de la longue réticence des milieux politiques français à l’introduction des pratiques de démocratie directe ou semi-directe dans notre système représentatif.
Au XXe s., cependant, de nombreux publicistes se sont efforcés d’établir une distinction entre le plébiscite, considéré comme « une cérémonie