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Cette tendance de la poésie n’a pas empêché à la poétique de manifester, ces dernières années, un regain d’activité, mais elle a pris une tout autre signification, (v. poétique). La poétique est devenue une science qui n’impose pas des règles a priori, mais qui s’applique à comprendre le fonctionnement de l’écriture, le poète se chargeant de cette recherche, devenant linguiste ou sémiologue. L’existence de cette poé-

tique récente ne doit pas reléguer au second plan la poésie et le poétique, qui intéressent encore une large tendance downloadModeText.vue.download 15 sur 651

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 16

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de la poésie à l’heure actuelle. Nous empruntons à Paul Valéry* une définition préliminaire de la poésie et du poétique, qui, ici, sont groupés sous le même terme de poésie : « Poésie, c’est le sens premier du mot, c’est un art particulier fondé sur le langage. Poé-

sie porte un sens plus général, plus ré-

pandu, difficile à définir parce qu’il est plus vague : il désigne un certain état qui est à la fois réceptif et productif, état qui peut tout aussi bien être celui de l’homme que celui du monde. »

Du Moyen Âge à l’époque dite

« classique », la poésie a toujours été soumise à un art de dire qui avait pour objet de trouver le beau mesuré selon la rigueur de la soumission aux règles, à la règle poétique, bien entendu, mais aussi à la règle sociale. Le poète fut tour à tour le protégé du seigneur, du prince ou du roi. Le XVIIIe s. ne pensa pas que les « lumières » pussent venir de la poésie et la négligea. Les bouleversements politiques et sociaux qui eurent lieu à la fin du XVIIIe s. et tout au long du XIXe, l’avènement de la so-ciété industrielle ont suscité une mise en question radicale de l’homme, qui éprouva soudain un doute vis-à-vis du monde et de lui-même. Le principe de l’unité (du monde, de l’homme) éclata.

La poésie rendit compte de cet éclatement. Les romantiques ont lancé le premier cri d’alarme pour dénoncer les contraintes d’un art qui ne pouvait plus satisfaire l’expression de la multiplicité des apparences découvertes. Mais ils lestèrent encore soumis à la loi du vers, au régime du genre.

Dans la seconde partie du XIXe s., un phénomène nouveau se fait jour : le vers disparaît ; les genres ne sont mêmes plus « mélangés », ils sont ignorés. Lautréamont* donne une

oeuvre inclassable qu’il intitule Chants.

Rimbaud* écrit une série de textes, apparemment rédigés d’une seule traite, qu’il rassemble sous le litre d’Une saison en enfer. C’est tout à la fois une confession, une contestation, une ré-

flexion, une critique et, au demeurant, un poème. L’un et l’autre laissent libre cours à l’« inspiration », qu’il conviendrait, suivant l’exemple de Pierre Reverdy, d’appeler l’« aspiration » :

« Il n’y a pas inspiration mais aspiration. L’artiste aspire à l’expression, ses facultés sont aspirées par le désir d’exprimer à la plus haute tension. »

Désormais, les poètes ne sont plus dans l’attente d’un « je ne sais quoi », guidés par le seul instinct, imprécis, plus ou moins poétique ; ils entreprennent, sous l’effet de « pulsions créatrices »

(J. C. Renard), d’une « certaine énergie incontrôlable », d’atteindre « à la plus haute tension ». Ils ne recherchent plus les thèmes dits « poétiques » (l’amour, la mer, la mort, etc.) ou bien encore à correspondre à une règle formelle.

Ils ne veulent plus dire : ils disent, et le plus directement possible, s’effor-

çant de réduire l’écart entre le monde et les mots. « Il faut être absolument moderne », déclare Rimbaud. « Point de cantiques : tenir le pas gagné » afin de « posséder la vérité dans une âme et dans un corps » pour fonder ce que Lautréamont voudrait voir apparaître comme une comète dans le ciel : « Une nouvelle race d’esprits. »

Baudelaire*, s’il ne la pratique pas d’une manière aussi radicale, réflé-

chit sur cette poétique nouvelle, dont il est l’un des premiers théoriciens.

Il la nomme « rhétorique profonde », rhétorique qui ne se contente plus de préceptes superficiels, formels, rhétorique qui va rechercher jusque dans les fins fonds de la conscience des motifs restés sans voix. Il lance la notion de

« modernité » : « La modernité c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. » Celle

« moitié de l’art », c’est le poétique, qui serait le quotidien transfiguré par le regard ou pris tel quel dans un discours qui ferait « éclater le discours ordinaire » (J. C. Renard). « Cet élé-

ment, poursuit Baudelaire, dont les mé-

tamorphoses sont si fréquentes, vous n’avez pas le droit de le mépriser ou de vous en passer. En le supprimant, vous tombez forcément dans le vide d’une beauté abstraite et indéfinissable

[...]. » C’est ainsi que le laid peut être beau, que tout devient susceptible de poésie. La seule règle poétique valable est la faculté de saisir l’instant dans sa vérité, d’en épuiser toutes les possibilités : « Il faut rendre aux hommes le sens de l’instant » (J. Bousquet), de manière à reconstruire pierre à pierre l’édifice chancelant de la vie quotidienne. Comme le précise Octavio Paz,

« le poétique est une possibilité, non une catégorie a priori ni une faculté innée ». Ainsi, il n’est plus ce qui advient et suscite derechef une émotion digne d’un poème, mais devient la création de ces instants. Suivant

son étymologie, il est enfin un faire, une création de l’homme qui invente le monde, c’est-à-dire le découvre dans sa réalité réelle, le redécouvre à chaque instant éternellement changeant et devenant toujours différent de ce qu’il pouvait être. La poésie, alors, ne cherche pas à obéir à une poétique définie ou à des sentiments répertoriés au préalable ; elle exprime un désir à réaliser, qu’elle s’efforce de promouvoir.

Dans le poétique, recherche de l’instant plein, le poète n’est plus rivé au savoir-faire ; il est tout à la fois producteur et produit du monde qui l’entoure.

Il se tient au courant des événements de l’histoire comme de ceux de l’âme.

Il est dans toutes les formes que peut prendre la réalité.

Dans ces conditions, la poésie n’est plus tournée vers le passé, avec pour ressort essentiel la nostalgie ; elle n’est plus orientée par un langage passé au crible d’une poétique. Elle entame l’avenir, l’avenir de l’homme, l’avenir des mots. À la limite, elle est prophétique. Elle ne veut plus subir le monde, mais le former, le transformer :

« Écrire, c’est plus que connaître analytiquement : c’est refaire » (F. Ponge).

L’imagination, le pouvoir de se repré-

senter ce qui n’est pas, prend l’initiative : « L’être humain est un être qui imagine, et après, peut-être, il pense

[...] Il ne peut se contenter du réel, il le transforme [...] » (G. Bachelard). Le poème n’est plus une fin en soi, mais un moyen pour aboutir à cette transformation. « Il ne s’agit plus, c’est aujourd’hui un fait acquis, d’émouvoir par l’exposé plus ou moins pathétique d’un fait divers » (Reverdy). Au même titre que les sciences, la poésie se veut un moyen de prospection pour élucider

« les mystères au milieu desquels noire existence étouffe » (Lautréamont).

Transformer le monde, certes, mais aussi se transformer : « Je est un autre » (Rimbaud) que le poème permet de découvrir : « Le poème révèle ce que nous sommes et nous invite à être ce que nous sommes » (O. Paz). En effet, nous ne sommes pas au monde, et le poète s’efforce d’y naître par l’intermédiaire de l’écriture, qui annonce ce qu’il pourrait être. Une interaction s’établit entre le poète et le poème,