« corps vivants » (H. Michaux), de manière qu’ils puissent « intervenir ».
C’est pourquoi la poésie doit être inscrite dans une action plus vaste qui la contient : « La poésie qui n’est pas engagée dans une expérience dépassant la poésie (et distincte d’elle) n’est pas le mouvement, mais le résidu laissé par l’agitation » (G. Bataille).
Mais le poète n’est pas toujours attaché à la difficulté d’écrire. Il la résout dans l’oubli des mots, qui alors se forment et s’assemblent d’eux-mêmes : ils « font l’amour », pour reprendre une expression de Breton. Ils produisent des images dans lesquelles ils proposent une réalité jamais vue, toutes les
combinaisons étant possibles depuis que Lautréamont a pu dire : « Beau comme [...] la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie. » Dans l’image, il n’est plus de contraintes ; la liberté peut s’exercer sans entraves.
Toute poétique est brisée, laissant la place libre au poétique, à la création non dirigée. L’image a, en outre, la faculté d’autoriser la pluralité des sens.
À l’exemple de l’oeuvre plastique, elle a, comme le signale Paul Klee,
« l’avantage de pouvoir abondamment varier l’ordre de la lecture », et le lecteur peut « prendre ainsi conscience de la multiplicité de ses significations ».
Elle maintient l’ambiguïté inhérente au poème qui s’achemine dans les
labyrinthes d’une réalité multiple, à la recherche de sa propre logique. Le poème risque d’avancer par instants, par éclats une proposition provisoire qui, ultérieurement, pourra devenir réelle puisque « l’imaginaire est ce qui tend à devenir réel » (Breton).
Depuis que Rimbaud a familière-
ment assis la beauté sur ses genoux, le poète cherche moins à produire un objet beau, à correspondre à des critères esthétiques (à une poétique) qu’à canaliser le poétique en établissant un rapport privilégié entre le vivre et l’écrire, entre le poétique et la poésie.
Responsable, il ne peut plus se désintéresser des effets produits : « La véritable fécondité du poète ne consiste pas dans le nombre de ses vers, mais bien plutôt dans l’étendue de leurs effets »
(P. Valéry). Il va plus loin encore : il se fait le critique de sa propre production et souvent même poète de la critique (cf. Pour un Malherbe de Francis Ponge). L’oeuvre réfléchie entraîne une mise en question permanente de l’oeuvre en train de se faire, et le poète prend ainsi une distance par rapport à elle, distance qu’il maintient le plus souvent grâce à l’humour, quand
ce n’est pas de la dérision que l’on trouve, même chez un lyrique comme Saint-John Perse*. Le poète n’est plus dupe ; il interdit à son oeuvre d’être le lieu privilégié de l’évasion. Il la veut consciente non seulement des mots, mais encore du monde et des hommes, et cherche à provoquer, persuadé, comme René Char*, que « ce qui vient
au monde pour ne rien troubler ne mé-
rite ni égard ni patience ». Quand bien même la poésie ne fait que déranger, son action n’aura pas été vaine.
Poésie et poétique sont deux modes d’être dans le monde qui interfèrent dans le poème avec une fulgurance qui peut parfois les faire se recouvrir.
Privée de poétique, réduite à une poé-
tique toujours arbitraire, la poésie ne peut pas exister en tant que telle. Mais, sans la poésie, le poétique se perd dans l’évanescence, écrasé par la gangue du quotidien utilitaire, non encore transfiguré. Le poète s’efforce de se trouver à mi-distance entre ces deux pôles identiques, séparés, qu’il cherche à réconcilier dans le poème, ne serait-ce que l’espace d’un instant, tout en maintenant l’ambivalence, la plurivalence inhérente à sa fonction, puisque celle-ci a pour mission de rendre compte de la réalité multiple. Il n’oublie pas que,
« si le poème certes est fait de mots, ces mots, eux ne sont pas faits seulement de lettres, mais de l’être » (G. E. Clan-cier). C’est ainsi que la poésie, qui est avant tout langage, peut rester liée au monde, à tout ce qui en lui risque d’être poétique ou de le devenir grâce au poème, porte-parole des aspirations irraisonnées, parfois déraisonnables des hommes, porte-flambeau de leurs espoirs, drapeau en berne de leurs désillusions.
M. B.
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8702
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Pogonophores
Embranchement d’animaux marins
fixés, filiformes, pourvus de nombreux tentacules.
Les Pogonophores sont des Inverté-
brés marins, deutérostomiens et épithé-
lioneuriens, à système nerveux dorsal, dont le corps est divisé en trois parties : le protosome, le mésosome et le métasome. D’allure filiforme, ils sont sédentaires et vivent dans des tubes qu’ils sécrètent ; ils sont dépourvus d’appareil digestif, mais ont des tentacules qui assurent la prise des aliments et la digestion.
Description
Les Pogonophores (du gr. pôgôn, barbe, et phorein, porter, allusion aux tentacules nombreux chez beaucoup d’es-pèces) forment un embranchement de découverte récente. Le Français Maurice Caullery (1868-1958) en décrivit la première espèce en 1914 ; de nouvelles ré-
coltes permirent d’établir l’embranchement dès 1937, mais l’élude moderne du groupe est due essentiellement au Russe A. V. Ivanov (né en 1906), qui, depuis 1949, a décrit les récoltes du navire océanographique Vitiaz.
La taille des Pogonophores varie
de 5 à 25 cm, et leur diamètre de 0,1
à 2,5 mm. Tous vivent dans un tube formé de lamelles concentriques,
constitué soit par un mélange d’une substance voisine de la chitine et de scléroprotéines chez certaines espèces, soit par de la tunicine, substance voisine de la cellulose, chez d’autres es-pèces. Leur corps comprend : le protosome antérieur, ou lobe céphalique, qui porte les tentacules, au nombre de 1
(chez Siboglinum) à 200 ; le mésosome, muni de côtes saillantes, ou frenulum, qui permettent à l’animal de s’accrocher dans son tube ; le métasome, très long, avec des rangées régulières de papilles adhésives qui donnent une fausse impression de segmentation. En réalité, l’étude anatomique et embryologique des Pogonophores montre que ceux-ci possèdent trois métamères munis chacun d’un coelome. L’oeuf donne une larve qui se développe dans le tube maternel ; très tôt, cette larve présente une subdivision en trois parties, correspondant au corps de l’animal adulte. Cette structure correspond tout à fait au type Stomocordé. Le coelome du protosome est impair ; celui du mésosome et celui du métasome sont pairs.