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place devient prépondérante au Palais de Justice, où s’imposent ses qualités d’avocat, notamment sa manière de
« préparer un dossier », sa mémoire prodigieuse, le ton à la fois tranchant et classique avec lequel il plaide : en 1909, Poincaré est reçu à l’Académie française.
Le temps du « Bloc » étant révolu, il accepte le portefeuille des Finances dans le cabinet Sarrien (mars-oct.
1906), mais son véritable « retour » se situe le 14 janvier 1912. À cette époque, la tension franco-allemande est grave ; les problèmes sociaux pèsent sur la vie du pays. Fallières appelle le Lorrain Poincaré, dont la popularité tient surtout à son patriotisme monolithique et à son énergie ; Poincaré forme un cabinet qu’on peut qualifier d’union nationale avec Briand*, Delcassé et Millerand* ; lui-même se réserve l’important portefeuille des Affaires étrangères. Tout en prenant une position de neutralité à l’égard de l’Italie et de la Turquie en guerre, puis des Balkans, il fortifie la position de la France au Maroc* : la convention du 30 mars 1912 impose le protectorat de la France à ce pays.
C’est un autre Lorrain, Lyautey*, que Poincaré fait désigner comme
premier résident au Maroc. Persuadé qu’il est impossible de combler le fossé qui coupe l’Europe en deux, il s’attache à fortifier la Triple-Entente ; en novembre 1912 sont échangées entre Paris et Londres des lettres prévoyant la possibilité technique d’exercer, en cas de guerre, une action conjuguée.
Par ailleurs, Poincaré resserre l’alliance franco-russe : il accomplit, dans cette vue, un voyage à Saint-Pétersbourg. Sur le plan intérieur, il fait voter par la Chambre un projet de loi portant établissement du régime électoral par représentation proportionnelle : les radicaux — Clemenceau*, Caillaux*
— lui en voudront.
Sa raideur et un certain manque de générosité n’empêchent pas sa réputation d’atteindre au zénith. Le septennat d’Armand Fallières louchant à sa fin, on pense à Poincaré pour la succession. Mais Clemenceau pousse en avant l’insignifiant radical Jules Pams, ministre de l’Agriculture, qui, au premier tour, précède de peu Poincaré ; celui-ci est élu au deuxième tour par 483 voix sur 870 votants (17 févr. 1913). La foule acclame le nouveau président de la République, qui lui apparaît comme l’homme de la
« revanche ». De fait, dans les limites
— qui le gêneront beaucoup — de ses prérogatives présidentielles, Poincaré incarnera une France décidée à ne plus rien concéder à l’Allemagne. En juin 1913, il se rend à Londres, où l’accueil
est extrêmement cordial ; ouvertement, en juillet-août 1913, il se montre partisan de la loi des trois ans. Le 16 juillet 1914, accompagné de Viviani, président du Conseil, il s’embarque pour la Russie, où l’alliance franco-russe est renforcée, mais d’où les événements européens (ultimatum de l’Autriche à la Serbie) le rappellent rapidement. Sa rentrée à Paris, le 29 juillet, est triomphale. Quelques jours plus tard, c’est la guerre.
Durant la Première Guerre* mon-
diale, Poincaré reste aux yeux des Français l’incarnation de la patrie éprouvée ; on le voit souvent dans les tranchées du front. Cependant, il souffre de la relative impuissance attachée à ses fonctions et des divisions qui continuent à déchirer la vie politique du pays. En novembre 1917, il fait taire ses griefs et ses rancunes personnels en appelant au gouvernement celui qui lui semble être le seul à pouvoir tirer la France de la crise : Georges Clemenceau. Il prendra ombrage de la popularité de ce dernier ; mais le nom de Poincaré restera associé à toutes les heures glorieuses, notamment lors de sa visite à Strasbourg et à Metz libé-
rées (déc. 1918). À l’expiration de son mandat présidentiel, Poincaré refuse de céder au voeu général qui l’aurait fait demeurer à l’Élysée. Quand il quitte sa charge (18 fév. 1920), la Chambre déclare que « le président Poincaré a bien mérité de la patrie ».
L’après-guerre
Durant deux ans, au Sénat, dans des conférences et des articles, Poincaré dénonce les faiblesses du traité de Versailles et aussi la politique de conciliation de Briand à l’égard de l’Allemagne. Briand ayant démissionné au retour de Cannes (12 janv. 1922), Poincaré — son antithèse vivante — est chargé de former un cabinet. Ce deuxième ministère Poincaré dure deux ans (15 janv. 1922-26 mars 1924) ; son existence est dominée par la politique extérieure de son président, qui a pris le portefeuille des Affaires étrangères.
Persuadé que le moratoire demandé par les Allemands en juillet 1922
n’est qu’un subterfuge pour échapper aux réparations, Poincaré, malgré les Anglais, mais avec l’appui massif de
la Chambre, se décide à « prendre le gage » de la Ruhr : le 11 janvier 1923, les troupes françaises pénètrent dans la Ruhr* pour appuyer la Mission inter-alliée de contrôle des usines et des mines. L’Allemagne finit par céder : G. Stresemann* remplace W. Cuno, et la résistance passive cesse dans la Ruhr (août-sept. 1923). Poincaré accepte l’enquête internationale proposée par la Grande-Bretagne sur la capacité de paiement de l’Allemagne. Il semble, cependant, qu’il ait, un moment, joué sur deux tableaux : multipliant, d’une part, les contacts avec le gouvernement allemand, mais espérant en même temps le succès des mouvements autonomistes en Rhénanie. Quoi qu’il en soit, Poincaré finit par renoncer à la politique des « gages » — on lui a beaucoup reproché cet abandon —
pour s’incliner devant l’internationalisation du problème des réparations (plans Dawes, 1924). Le 29 mars 1924, il remanie son cabinet, appelant notamment Louis Loucheur au Commerce et à l’Industrie ; mais les élections législatives de mai 1924 ayant renversé la majorité du Bloc national, le troisième cabinet Poincaré doit démissionner le 1er juin. Le Cartel* des gauches, qui prend alors le pouvoir, se trouve rapidement aux prises avec une grave crise financière, que Caillaux* ne peut résoudre.
Après le passage au pouvoir de plusieurs ministères d’expédients, Doumergue recourt à Poincaré, qui, grâce à sa notoriété, peut constituer un ministère de large Union nationale, où les deux chefs du Cartel (Herriot* et Painlevé*) côtoient le modéré Louis Marin, les centristes Louis Barthou et André Tardieu* ainsi que l’indispensable Briand. Ce grand ministère (4e cabinet Poincaré) reste au pouvoir du 23 juillet 1926 au 6 novembre 1928. Président du Conseil et ministre des Finances, Poincaré — qui est investi de pouvoirs spéciaux — commence par réclamer
plus de 11 milliards de ressources nouvelles ; en même temps, il renforce la confiance des Français ; les capitaux expatriés rentrent. Après les élections d’avril 1928, qui sont un triomphe pour lui, Poincaré se résigne à faire voter la loi monétaire du 24 juin 1928, qui définit le franc* par un poids d’or, mais au
cinquième de sa valeur d’avant guerre.
Le bénéfice comptable ainsi dégagé est affecté au remboursement de la dette du Trésor.
La stabilisation monétaire acquise, les radicaux reprennent l’offensive anticléricale ; le 6 novembre, en dé-
saccord avec Briand au sujet des privilèges accordés aux congrégations missionnaires, les ministres radicaux se retirent. Poincaré reforme sans eux (5e cabinet Poincaré, 11 novembre 1928-27 juillet 1929) un ministère appuyé uniquement sur la droite et le centre : l’existence de ce cabinet est liée à la question des réparations et à celle des dettes de guerre. C’est alors qu’est élaboré le plan Young, que Poincaré appuie parce qu’il croit pouvoir lier les dettes de guerre aux réparations, ce que les Américains refusent. En juillet 1929, malade, Poincaré se retire de la vie politique. Dans sa retraite il met au point ses Mémoires (Au service de la France, 10 vol., 1926-1934).
P. P.
F République (IIIe).
P. Mendès France, l’OEuvre financière du gouvernement Poincaré (L. G. D. J., 1928). /