Après un bref retour au romantisme avec J’ai le droit de vivre (You only live once de F. Lang, 1937), dont les préoccupations sociales font un film charnière, le policier se lance dans la morale et expose à longueur de films toutes sortes de théories sociales relatives aux crimes et aux criminels. Rue sans issue (Dead End de W. Wyler, 1937), l’École du crime (Crime School de L. Seiler, 1938) et surtout les Anges aux figures sales (Angels with Dirty Faces de M. Curtiz, 1938) nous démontrent que la misère mène fatalement au crime la jeunesse vouée à la rue. Souvent brillants par leur interpré-
tation, leur photographie et leur mise en scène, ces films n’évitent pas toujours les pièges du prêche moralisateur et marquent le point limite d’un genre qui se doit, pour survivre, d’évoluer considérablement. Les années 30 ont vécu.
Aux États-Unis, elles laissent surtout le souvenir d’acteurs exceptionnels. Il est difficile d’oublier J. Cagney, E. G. Robinson, P. Muni ou la Bette Davis de Femme marquée (Marked Woman de
L. Bacon, 1937). En France, l’entre-deux-guerres a vu le genre policier prendre les chemins de l’exotisme avec Pépé le Moko (1937) de J. Duvivier ou de l’expressionnisme poétique avec Le jour se lève (1939) de M. Carné, tandis que l’enquête policière traditionnelle inspire des cinéastes comme M. L’Herbier (le Parfum de la dame en noir, 1931, d’après G. Leroux), J. Tarride (le Chien jaune, 1932), J. Renoir (la Nuit du carrefour, 1932), P. Chenal (Alibi, 1937), Christian-Jaque (les Disparus de Saint-Agil, 1938) ou Robert Siodmak (Pièges, 1939).
En 1941, le film policier connaît aux États-Unis une nouvelle métamorphose. La guerre des gangs n’est plus qu’un souvenir illustré par les cara-
colantes Roaring Twenties (1939) de R. Walsh. Le film noir fait son apparition, et, avec lui, c’est l’ère du détective privé qui débute, dans une atmosphère d’intrigues compliquées, de violence nocturne et de psychanalyse. Le Faucon maltais (The Maltese Falcon de J. Huston, 1941), Tueur à gages (This Gun for Hire de F. Tuttle, 1942, d’après G. Greene), Assurance sur la mort (Double Indemnity de B. Wilder, 1944, d’après J. Cain) véhiculent le mythe tout neuf de la femme fatale : Vero-nica Lake dans Tueur à gages, Barbara Stanwyck dans Assurance sur la mort, mais aussi la Gene Tierney de Laura (de O. Preminger, 1944), la Claire Trevor d’Adieu, ma belle (Murder my Sweet de E. Dmytryk, 1944), film dans lequel s’approfondit le mythe du détective privé, dû à la foisonnante imagination de R. Chandler. Le personnage de Philip Marlowe, d’abord interprété par Dick Powell dans le film de Dmytryk, le sera ensuite par Robert Montgomery dans la Dame du lac (Lady in the Lake de R. Montgomery, 1946) et par Humphrey Bogart dans le Grand Sommeil (The Big Sleep de H. Hawks, 1946), qui constitue l’apothéose du film noir avec ses péripéties difficilement compréhensibles et sa photo en clair obscur très sensuelle. Les amants poursuivis de la Grande Évasion (High Sierra de R. Walsh, 1941) le sont encore dans les Amants de la nuit (They live by Night de N. Ray, 1948) et les Amants traqués (Kiss the Blood off my Hands de N. Foster, 1949). L’humour, même dans le crime, ne perd pas ses droits : A. Hitchcock le prouve avec l’Ombre d’un doute (Shadow of a Doubt, 1943), un de ses films les plus réussis. Peu à peu, le genre connaît un nouveau changement, s’alourdit de démonstrations (le Poison [Lost Weekend de B. Wilder, 1945] se sert d’un schéma policier pour faire campagne contre l’alcoolisme) et s’oriente vers la violence quasi systématique. L’Impasse tragique (The Dark Corner de H. Hathaway, 1946), les Tueurs (The Killers de R. Siodmak, 1946, d’après E. Hemingway), les Démons de la liberté (Brute Force de J. Dassin, 1947) illustrent ce parti pris, auquel vient s’opposer le semi-documentaire policier, dont le spécialiste est H. Hathaway, avec notamment la Maison de la 92e rue (The House on
92nd Street, 1945), Appelez Nord 777
(Call Northside 777, 1948), qui sont à l’origine du tournage en extérieurs des films du genre. Indépendamment de l’incursion de plus en plus insistante de la psychanalyse dans la dramaturgie du film noir, comme en témoignent L’enfer est à lui (White Heat de
R. Walsh, 1949) ou la Fin d’un tueur (The Dark Past de R. Maté, 1949), il faut noter qu’entre 1945 et 1950 un certain nombre de cinéastes de gauche ont utilisé le « thriller » comme support d’une analyse critique et synthé-
tique de la plupart des troubles sociaux qu’ils avaient à coeur de dénoncer.
A. Polonsky donne une vision terrible de l’Enfer de la corruption (Force of Evil, 1949), R. Rossen stigmatise une société à l’Heure du crime (Johnny O’Clock, 1947), J. Losey décrit les Haines (The Lawless, 1949) raciales, F. Dmytryk dénonce l’antisémitisme sous les Feux croisés (Crossfire, 1947) de ses caméras, E. Kazan fait de même dans le Mur invisible (Gentleman’s Agreement, 1947), J. Huston peint la fascination de l’argent Quand la ville dort (Asphalt Jungle, 1950), J. Dassin filme la Cité sans voiles (Naked City, 1948) ou les Bas-Fonds de Frisco
(Thieves’ Highway, 1949).
Puis c’est la chasse aux sorcières.
L’enquête policière déserte les écrans pour envahir la vie privée de nombreux créateurs. Peu s’en relèveront, et, durant la période du maccar-thysme, le thriller se survit en adaptant par exemple les romans de Mickey
Spillane. À partir d’un argument limité, R. Aldrich réussit une inquiétante para-bole mi-policière mi-fantastique avec En quatrième vitesse (Kiss me deadly, 1955). Les années 50 permettent néanmoins à de nouveaux metteurs en scène de s’affirmer. Ultime Razzia (The Killing, 1956) révèle S. Kubrick, qui avait auparavant réalisé un film d’amateur « noir », le Baiser du tueur (The Killer’s Kiss, 1954), et le Port de la drogue (Pick up on South Street, 1953) met en évidence les dons de S. Fuller pour le thriller violent. En face de ces débutants, nous trouvons encore de prestigieux metteurs en scène, tels Fritz Lang, qui donne avec la Femme au gardénia (The Blue Gardenia,
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 16
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1953), Règlement de comptes (The
Big Heat, 1953), la Cinquième Victime (While the City sleeps, 1955) et l’Invraisemblable Vérité (Beyond a Reasonable Doubt, 1956) quatre variations en forme d’épures sur le désarroi moral des États-Unis, qui sont moins des films noirs véritables que des études policières « en gris ». R. Walsh perpétue le mythe du détective privé en terminant la Femme à abattre (The Enforcer, 1950), commencé par le
metteur en scène de théâtre B. Windust, tandis que A. Hitchcock, adaptant P. Highsmith, réalise l’Inconnu du Nord-Express (Strangers on a Train, 1951), qui appartient plus au suspense criminel freudien qu’au thriller.
La fin des années 50 fait apparaître un genre pratiquement inédit jusque-là : la biographie de gangsters célèbres durant la prohibition. Se penchant sur les sombres héros qui font (aussi) partie de leur histoire, les États-Unis applaudissent aux exploits cinématographiques de l’Ennemi public (Baby face Nelson de D. Siegel, 1957), de Mitraillette Kelly (Machine-gun Kelly de R. Corman, 1958), d’Al Capone
(de R. Wilson, 1959), mais s’en
lassent vite, car ni la Chute d’un caïd (The Rise and Fall of Legs Diamond de B. Boetticher, 1960), ni La police fédérale enquête (The F. B. I. Story de M. Le Roy, 1959), qui raconte en un seul film l’histoire d’au moins dix hors-la-loi, ne connaissent le succès.
De son côté, N. Ray, à qui l’on doit quelques-uns des derniers films noirs de H. Bogart (les Ruelles du malheur
[Knock on any Door, 1949] et le Violent [In a Lonely Place, 1950]), évoque dans un style flamboyant l’agonie d’un gangster et de son mythe ; son Traque-nard (Party Girl, 1958) marque aussi le terme du règne de la femme fatale.