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roman policier ne sont claires ni avec
les écrits relevant d’une sorte de vulgarisation de la criminologie, ni avec les récits d’aventures mettant en scène des criminels ou des policiers, ni avec le roman traditionnel dont l’intrigue est fondée sur une enquête policière.
Les biographies de criminels ou
les récits détaillés de crimes célèbres, dont Moll Flanders de Defoe* est en 1722 une forme élaborée, trouvent à noire époque leur équivalent dans les enquêtes et les reportages d’une presse spécialisée dans le « sang à la une ». Les westerns, avec leurs shérifs et leurs bandits, ne sont souvent que des illustrations pittoresques de l’éternelle lutte du gendarme et du voleur, à laquelle l’imagination populaire n’a jamais cessé de prendre plaisir. Enfin, un roman psychologico-social comme Crime et Châtiment de Dostoïevski est entièrement bâti, comme son titre l’indique, sur une trame criminelle et policière.
En face de ces diverses utilisations de la délinquance et de la répression, mais uni à elles par de nombreux liens, le roman policier, au sens strict du terme, apparaît comme un genre littéraire bien défini, et dans le temps et dans l’évolution des structures sociales. La vie d’un genre littéraire suit à peu près toujours le même schéma. Il y a d’abord une période d’incubation, où apparaissent les premiers prototypes du genre qui serviront de référence à la production ultérieure, puis un âge d’or, qui dure une trentaine d’années et où est produite la masse des oeuvres maîtresses, mais où s’élabore aussi la codification des règles du genre, qui finiront par le scléroser. Vient ensuite une période de déclin, où persiste une production parfois non dénuée de valeur et qui reproduit indéfiniment les modèles sté-
réotypés, mais où le genre éclate dans diverses directions sous la poussée de nouveaux genres qui répondent mieux aux nouvelles situations historiques, et notamment au changement qualitatif et quantitatif du public.
Dans la préhistoire du genre, on peut considérer qu’Edgar Poe*, avec ses trois récits publiés entre 1841 et 1845
(la Lettre volée, le Mystère de Marie Rogêt, et Double Assassinat dans la
rue Morgue), fait figure de précurseur lointain, utilisant, comme on le verra, des éléments existant antérieurement pour élaborer un nouveau type de
narration possédant des caractéristiques particulières, qu’on retrouvera inchangées tout au long de l’histoire du roman policier proprement dit. Un demi-siècle plus tard, sir Arthur Conan Doyle (1859-1930) donne sa forme
définitive au genre en écrivant, entre 1891 et 1904, les trois premières séries des aventures de Sherlock Holmes.
C’est alors que commence l’âge d’or du roman policier, dont le point culminant se situe entre 1925 et 1935. Quand arrive la Seconde Guerre mondiale, le genre est déjà dans son déclin.
Ses caractéristiques générales sont aisées à définir. Vers la fin de cet âge d’or, S. S. Van Dine en a énoncé les
« vingt règles » fondamentales dans un article célèbre (Mystère Magazine, no 38, mars 1951), la première de ces règles étant que « le lecteur et le détective doivent avoir des chances égales de résoudre le problème ». Le roman policier est donc avant tout un jeu d’esprit qui tente un public petit-bourgeois plus enclin aux mots croisés et aux puzzles qu’à la littérature, mais d’un niveau d’éducation suffisant pour prendre goût à l’exercice intellectuel.
Il était particulièrement adapté aux besoins et aux aptitudes de la couche sociale dominante d’entre les deux guerres dans les pays anglo-saxons et particulièrement en Grande-Bretagne.
De fait, par son volume et, sauf exceptions notables, par sa qualité technique, la production anglaise de romans policiers « classiques » domine largement celle de tous les autres pays.
Jeu d’esprit, le roman policier ainsi conçu s’accommode mal des descriptions, des analyses, des détours du roman tel qu’on le conçoit depuis le XIXe s. La littérature policière est plus à l’aise dans la dimension de la nouvelle*, qui a été son premier mode d’expression. En tout état de cause, le roman policier est resté un roman court.
Ces quelques précautions prélimi-
naires étant prises, il est évident qu’on ne saurait ramener l’étude du roman
policier à un phénomène très limité dans le temps et dans l’espace, et qu’il convient de percevoir ce genre comme inséré dans un ensemble de grands mouvements et d’orientations de tous ordres qui affectent d’autres genres littéraires.
Les éléments sociaux
Il existe depuis longtemps une litté-
rature de la délinquance. Le personnage du criminel est ancien dans la conscience populaire : brigand sanguinaire, voleur de grand chemin ou délinquant mineur issu des structures de la société urbaine naissante, on le trouve dès la plus haute Antiquité. On note par exemple parmi les exploits des héros mythologiques Hercule ou Thésée —
des victoires contre tels ou tels bandits légendaires qui infestaient les routes de l’Hellade. La présence du bon et du mauvais larron à côté du Christ dans les Évangiles pose également à sa ma-nière le problème de la criminalité et de l’attitude envers elle.
Chez les conteurs orientaux et en Europe occidentale au bas Moyen
Âge, cette attitude se nuance et se différencie selon deux orientations distinctes : d’une part une certaine admiration pour l’ingéniosité ou l’audace du délinquant, qui peut devenir source d’amusement et sur laquelle peuvent venir se greffer d’une manière plus ou moins consciente des éléments de lutte politique ou de critique sociale ; d’autre part un intérêt attentif et parfois un peu soupçonneux pour la façon dont ceux qui sont chargés de maintenir l’ordre dans la société rendent la justice et, tout d’abord, déterminent la culpabilité.
La première orientation donnera
naissance dès le XVIe s. à une « litté-
rature de truands » qu’on appelle en Angleterre la rogue literature et dont certains romans picaresques espagnols portent témoignage. On a cru pouvoir lier ce phénomène à la démoralisation de sociétés en proie à de profondes mutations économico-sociales — afflux de l’or américain en Espagne, débuts de l’industrialisation en Angleterre —
et au décalage devenu évident entre les moeurs de cette société et les principes
qui prétendent la régir, notamment la morale chrétienne. Dans l’un et l’autre cas, mais sous des formes différentes, le cynisme amoral affiché par les premières oeuvres a été « récupéré » plus tard pour rétablir une forme de moralisation critique à base religieuse.
Mais en Angleterre en particulier subsiste dans la nouvelle bourgeoisie qui accède au pouvoir à la fin du XVIIe s.
ce goût de l’aventure criminelle dont nous avons décelé l’existence dans Moll Flanders. On en reconnaît la marque dans le roman anglais du XVIIIe s., chez downloadModeText.vue.download 45 sur 651
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Fielding* notamment. Réduit à ses traits événementiels les plus spectaculaires, ce type de récit a fourni pendant plusieurs siècles une abondance de modèles stéréotypés à la littérature de colportage*, dite « populaire ». On en trouve en France des exemples aussi bien dans le mélodrame que dans les romans feuilletons et les « canards »
du XIXe s. Pour être plus raffinée dans sa technique, la tradition n’en est pas moins vivace à notre époque dans les publications de la « sous-littérature »