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ou dans les bandes* dessinées, comme celle qui, dans les années 60, redonna vie un temps au Chéri-Bibi de Gaston Leroux (1868-1927).

Le préromantisme et le roman-

tisme se sont emparés du personnage du criminel pour le métamorphoser et l’ennoblir. C’est Karl Moor, le héros tragique des Brigands de Schiller*.

C’est l’outlaw de Walter Scott*, héros justicier et bienfaisant sorti tout droit de ballades populaires. C’est le héros de Byron*, révolté contre Dieu et contre les hommes, qui cherche dans le mal une issue vers un monde meilleur. Byron, d’ailleurs, écrivit en 1822

Werner, drame qui a la structure d’un roman policier et présente l’histoire d’un crime sous la forme d’un mystère que le lecteur voit se dénouer sous ses yeux.

D’Hernani aux Misérables, Victor

Hugo* fait faire une entrée triomphale

au hors-la-loi-héros dans la littérature française. On en trouvera la descendance dégénérée à la fin du siècle dans le Rocambole de P. A. Ponson du Terrail (1829-1871), ancêtre lui-même de toute une lignée, dont une des plus récentes manifestations est le célèbre

« Papillon », criminel repenti, comme le Jean Valjean de Hugo et le Vautrin de Balzac. Ces deux personnages dessinent également la silhouette d’un redresseur de torts qui se joue de la police, mais agit au nom d’une morale supérieure qui le conduit à faire la police lui-même, voire parfois à collaborer avec la police officielle. Dans une société où le nouveau lecteur, d’origine plus modeste, est de plus en plus conscient des injustices et des inégalités, le type de bandit chevalier rejoint d’anciennes traditions qui ont toujours plus ou moins existé dans la conscience populaire pour donner l’Arsène Lupin de Maurice Leblanc (1864-1941) et, plus récemment, le Saint de Leslie Charteris, le baron d’Anthony Morton ainsi que toute une descendance de

« chevaliers des temps modernes », dont relève, dans le style épique, le fameux San Antonio de Frédéric Dard.

Mais San Antonio est un commis-

saire et, même s’il s’écarte des règles, il appartient aux forces du maintien de l’ordre et non au monde du crime. Cela nous conduit à examiner la seconde orientation qu’a prise la littérature criminelle et qui nous mènera au roman policier proprement dit. Bien évidemment, on ne peut parler de roman policier qu’à partir du moment où il y a une police organisée. C’est ce qui a conduit à affirmer que le roman policier n’a pu naître qu’à partir du XIXe s. C’est exact pour l’Europe. Jusqu’au XIXe s., le pouvoir ne met quelque finesse que dans l’espionnage politique. La répression du crime est brutale et confiée à des gens d’armes qui sont surtout des exé-

cutants. Il faut tout l’esprit juridique et libéral du XVIIIe s., puis l’apparition d’États modernes ayant à résoudre des problèmes de sécurité intérieure pour que la police devienne un véritable service public destiné à la défense de l’ordre existant.

Cependant, d’autres sociétés ont

connu des besoins analogues et, sans posséder de police à proprement par-

ler, se sont intéressées à la détection du crime, à la recherche de la culpabilité. Sans remonter jusqu’aux jugements de Salomon ou du calife Hārūn al-Rachīd dans les Mille et Une Nuits, on peut citer le cas des Trois Enquêtes criminelles du juge Ti, recueil anonyme du XVIIIe s. découvert par le sinologue néerlandais R. H. Van Gulik (1910-1967) et qui montre comment un juge de district chinois ne se contentait pas de rendre des sentences, mais recherchait des preuves, vérifiait des pré-

somptions, interrogeait des suspects, tout comme un policier moderne.

L’État napoléonien est un des premiers États policiers du monde moderne. Les préoccupations de Fouché étaient surtout politiques, mais celui-ci a doté la France d’une armature policière qui, très vite, a pris une importance considérable dans la vie sociale.

Javert est, dans les Misérables, presque aussi important que Jean Valjean.

Le premier problème à soulever est celui du statut de l’institution policière dans la trame narrative. Il est important de noter que cette institution est rarement problématique, et c’est pour cela que Javert n’est pas et ne peut être un personnage de roman policier. Le goût du roman policier s’est développé essentiellement dans une classe sociale petite-bourgeoise, éprise d’ordre public. Mais l’attitude de cette classe n’est pas de même nature, par exemple, en France et dans les pays anglo-saxons.

Dans ces derniers subsiste une certaine méfiance envers la police, corps officiel plus ou moins centralisé, bien que le policier ne soit pas a priori considéré comme un ennemi. Le schéma initial qui s’est imposé est celui d’un brillant outsider (Dupin chez Poe, Sherlock Holmes chez Conan Doyle, Hercule

Poirot chez Agatha Christie) qui collabore avec une police bien intentionnée, mais souvent un peu balourde ou même brutale. En Amérique, celui-ci peut même en arriver à devenir, comme l’avocat Perry Mason d’Erle Stanley Gardner, un défenseur hétérodoxe des droits de l’individu contre une police oppressive.

En France, au contraire, comme pour contrebalancer une tradition frondeuse

qui fait instinctivement prendre parti contre le gendarme pour le voleur, dès 1869 le Lecoq d’Émile Gaboriau (1832-1873) est un policier professionnel. Il est l’ancêtre de toute une lignée d’inspecteurs et de commissaires, dont le plus célèbre est le Maigret de Georges Simenon. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il n’y ait pas aussi en Angleterre et aux États-Unis des romans policiers où le policier professionnel et tout l’appareil administratif et technique qui l’encadre et l’appuie tiennent la vedette. Scotland Yard, le CID (Criminal Investigation Department), les bureaux de district attorneys et de shérifs sont des lieux au moins aussi privilégiés que la rue des Saussaies ou le quai des Orfèvres.

Mais, toutefois, on notera que, même dans le cas des romans d’Ellery Queen, où l’inspecteur Queen mène officiellement l’enquête, c’est un « marginal », son fils Ellery, qui est le cerveau de l’équipe.

En fait, ce n’est que dans les formes tardives du genre que les problèmes moraux ou sociaux de la police sont abordés de manière critique, aux États-Unis par exemple avec le thème du policier corrompu.

D’autre part, le développement

scientifique de la criminologie et le développement technique de la lutte contre le crime faussent les règles du jeu telles qu’elles s’établissent pendant l’âge d’or du roman policier. Sherlock Holmes fait, en ce domaine, figure de précurseur, mais Maigret soupire nostalgiquement en évoquant les vieilles méthodes.

Ces méthodes étaient celles qui mettaient un homme seul en face d’une énigme à résoudre. C’est là la structure de base du roman policier. Ce n’est plus forcément celle de la police moderne.

Les éléments structuraux

La littérature d’énigme a des antécé-

dents au moins aussi lointains que la littérature criminelle, avec laquelle, d’ailleurs, elle est parfois liée, mais non toujours. L’énigme est une des formes les plus anciennes de diver-

tissement intellectuel. Il ne s’agit pas toujours d’un divertissement littéraire, comme le montre le succès persistant des mots croisés et celui, plus récent, des jeux télévisés.

Les conteurs populaires de tous les pays ont largement utilisé l’énigme, notamment les conteurs orientaux, mais la littérature lettrée s’en est servi pour des fins didactiques ou ésotériques.

Dans son livre le « Detective Novel »

et l’influence de la pensée scientifique (1929), Régis Messac suit une piste qui part de lointains écrits indiens, peut-

être de textes grecs maintenant perdus, qui passe par des textes talmudiques du IIIe s., des récits arabes du IXe s., certains contes des Mille et Une Nuits pour aboutir à un ouvrage prétendument traduit du persan par un Vénitien du nom de Cristoforo Romano sous le titre de Peregrinaggio di tre giovanni figliuoli del Re di Serendippo en 1557.