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Une science complémentaire

Pour d’autres auteurs, la science politique existe comme discipline, mais à titre secondaire : elle est la science de complément de disciplines plus importantes qui lui apportent leur appui.

Cette conception découle directe-

ment de la formation des adeptes de la science politique. Comme l’a noté Raymond Aron* : « La science politique a été soit le violon d’Ingres de spécialistes d’autres disciplines, soit le fait d’amateurs. » Tout se passe comme si ces spécialistes, incertains des possibilités de la science politique, avaient peur de quitter le support que leur apporte leur propre science, reconnue comme telle, pour s’engager totalement dans une discipline dont le domaine reste à définir.

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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 16

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À la limite, il existe moins, dans cette optique, une science politique qu’un « point de vue » de science politique destiné à enrichir les autres sciences : sociologie, histoire, géographie... Une telle conception présente le risque de voir supplanter la science politique par la science de référence : ainsi en témoignent les excès de certaines écoles américaines qui, en expliquant tous les phénomènes politiques par la seule évolution économique ou en déniant toute importance aux structures politiques au profit du seul comportement, aboutissent à la disparition des phénomènes politiques comme

phénomènes particuliers et, par là, à celle de la science politique ; mais le plus souvent, la science politique a réalisé, grâce aux méthodes apportées par les sciences d’appui, des progrès si considérables qu’elle est devenue en fait la science principale.

L’exemple du droit montre bien

celle évolution. Étudié dans la perspective de science de référence, le droit, comme approche de la science politique, permet d’éclairer le rôle majeur des institutions et des règles dans la création et l’évolution des phénomènes politiques. Inversement, en apportant au juriste un point de vue qui privilé-

gie les facteurs de la vie politique, la science politique permet d’enrichir la vision purement statique donnée par l’approche juridique traditionnelle.

C’est, en France, Adhémar Esmein*

qui ouvre la voie avec ses Éléments de droit constitutionnel (1896), où, pour la première fois, les institutions sont comparées et examinées en fonction des idées et des forces en présence.

En traitant, à la conférence d’agrégation de droit public, le même sujet du point de vue de la science politique et du point de vue du droit strict, Louis Rolland (1877-1956) montre l’intérêt de séparer les deux domaines. En 1949, enfin, Georges Burdeau accomplit le pas décisif en faisant de son livre, paru en 1943 sous le titre le Pouvoir politique et l’État, le premier tome d’un Traité de science politique. Du même coup, la science politique acquiert droit de cité.

Une science autonome

Désormais, la science politique s’affirme sous son nom véritable comme discipline indépendante. Les années 1950 — avec la parution, sous l’égide de l’Unesco, de la Science politique contemporaine (1951) — consacrent son existence sur le plan international.

Dans la plupart des pays d’Occident, la science politique connaît un développement prodigieux.

Mais la science politique ne peut se prétendre une science qu’autant qu’elle a un objet propre, déterminé, qui puisse la distinguer des autres sciences. L’objet de la science politique va être désormais au centre des controverses.

L’objet de la science politique

Spécificité du politique ou spécificité de la politique ? Immédiatement, le concept de « politique » révèle son ambiguïté. Et le désaccord des « political scientists » sur leur nom traduit bien leurs conceptions différentes de la discipline. Faut-il, par référence à la polis, se dire « politologues » comme le prétend Marcel Prélot, « politistes »

comme François Goguel et Alfred Grosser, ou bien « politicologues » comme se nomment Georges Burdeau et Maurice Duverger, qui ont conscience de s’occuper de « politique » ?

Si, comme le soutient Bertrand de Jouvenel (De la politique pure, 1963),

« nous devons considérer comme

« politique » tout effort systématique, accompli en quelque endroit que ce soit du champ social, pour entraî-

ner d’autres hommes à la poursuite de quelque dessein... », le mot politique perd toute signification propre et, puisque tout acte est politique, la science politique ne peut se prétendre science particulière.

Si le mot « politique » a par contre un sens, ne serait-ce que par le rapport qu’il implique avec la polis (cité), trois conceptions de la science politique sont alors possibles.

La science politique, science de

l’État

Les auteurs classiques font de l’État,

transposition moderne de la cité antique, l’objet de la science politique. C’est la thèse des publicistes allemands théoriciens de l’allgemeine Staatslehre, comme Georg Jellinek, pour qui « politique » signifie « étatique ». Mais, comme l’a montré un autre Allemand, Carl Schmitt, le politique ne peut se réduire à ce qui n’est finalement qu’une manifestation historiquement contingente : « Le politique préexiste et survit à l’État. »

Pour M. Prélot, l’État, institution suprême, permet de rendre compte de toute la science politique, qui intègre alors l’étude de ce qui a précédé l’État (phénomènes préétatiques), de ce qui le remplace (phénomènes paraétatiques) et de ce qui en est l’accomplissement (phénomènes supra-étatiques). Une telle conception, que l’on pourrait qualifier d’« institutionnelle », réduit en fait la science politique à l’étude de structures et de formes particulières d’organisation, sous-estime les problèmes d’évolution des systèmes politiques et ramène l’objet de la science politique aux seules manifestations de pouvoir de l’État.

La science politique, science du

pouvoir

Ne se sentant pas liés par les traditions de la science politique européenne, de nombreux chercheurs américains ont assigné à leur discipline un objet tout différent : « La notion de pouvoir est l’objet de la science politique. »

(T. J. Cook.) La science politique vise donc l’étude générale des phénomènes du pouvoir : ses techniques et ses fondements, ses buts et ses limites, son utilisation et ses conditions. Certes, le plus souvent, le pouvoir se confond avec l’État, qui dispose de l’appareil de contrainte le plus perfectionné, mais il ne se limite pas à lui, car « tout groupement, dès qu’il comporte un pouvoir, relève de la science politique » (Watkins). Moins novatrice que ses auteurs ne l’ont prétendu, puisque Platon* et Machiavel* assimilaient déjà « politique » et « contrainte », cette conception a eu le mérite de susciter, aussi bien aux États-Unis (avec Georges E. Catlin et Harold D. Lasswell) qu’en Europe, là où elle a été adoptée (G. Burdeau,

R. Aron), une série d’études et de recherches qui ont démontré l’aspect dynamique, par essence, du politique.

Cette conception suscite pourtant des réserves. D’abord, elle pose le problème de l’identification du concept de

« pouvoir » ici visé. Au vocable unique des Américains power correspondent en effet deux mots français : pouvoir et puissance. Si l’on reprend la distinction faite par Max Weber* entre la

« puissance » (Macht), concept abstrait et diffus, et la « puissance politique devenue institutionnelle » — le « pouvoir politique » (Herrschaft) —, c’est ce

« pouvoir politique » qui est l’objet de la science politique. Le simple concept de « pouvoir » reste difficile à définir ; il est décevant (James G. March), vague et ambigu (Gérard Bergeron), et, surtout, il risque de trahir la science politique en lui assignant un objet à la fois trop vaste et trop étroit.