Objet trop vaste, car tout pouvoir n’est pas forcément politique. Il existe d’autres pouvoirs : économique, sacré, militaire..., dont l’étude ne relève pas de la science politique. Perdant alors sa spécificité, la « science politique devrait s’intégrer dans une science du pouvoir plus étendue [...] Cette nouvelle discipline engloberait toute activité sociale en rapport avec des institutions et des organisations dont l’étude relèverait des accords de puissance. » (T. J. Cook.) L’entreprise* en est un cas typique, de même que les syndicats*.
Objet trop étroit, car, s’il a le mérite d’élargir le domaine de la science politique en lui assignant comme champ d’observation tous les phénomènes de lutte pour le pouvoir, il la réduit, par contre, en ignorant que la vie politique est aussi le fruit d’idéologies, de traditions, d’aspirations, qui ne sauraient être imputées au seul désir du pouvoir.
La science politique, science des rapports politiques
Pour reprendre la formule de P. Duclos : « Ce n’est pas le pouvoir, mais le rapport politique qui fait l’objet unique, distinct et irremplaçable de la science politique. » Ce rapport spé-
cial, différent des autres rapports sociaux, qui « apparaît dès qu’une force publique est appliquée au maintien de la cohésion sociale », est tantôt conçu comme un rapport de conciliation par l’Italien B. Croce*, tantôt envisagé, avec l’Allemand C. Schmitt, comme un rapport d’hostilité, dans lequel « la relation spécifique fondamentale est celle d’ami ou d’ennemi ».
Loin de s’opposer, ces deux conceptions se rejoignent, car « le sens de cette distinction de l’ami et de l’ennemi est d’exprimer le degré extrême d’union ou de désunion, d’association ou de dissociation » (C. Schmitt, Der Begriff des Politischen, 1928). Et B. de Jouvenel rejoint cette inspiration quand, à la recherche du politique en tant que tel, il écrit : « L’action de politique pure est nécessairement agrégative [...]. Où l’action de grouper a pour but final l’existence du groupe, il y a politique pure. » (De la souveraineté, 1955.) Ainsi, ce qui fait la spécificité du politique et, donc, l’objet de la science politique, c’est l’établissement de
« hiérarchies » dans un dessein de construction et de maîtrise de la société globale, de « l’édifice humain ». Une telle conception montre bien l’ambivalence du pouvoir, recherché par les hommes comme un besoin et en même temps rejeté comme une atteinte à leur liberté, et fait exister le politique dans sa réalité propre indépendamment des structures (étatiques le plus souvent) qui lui servent de support.
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 16
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En définitive, on peut dire avec
A. Grosser et S. Hurtig : « La science politique se propose d’analyser et d’interpréter les structures, les forces, les comportements et les problèmes qui déterminent les décisions politiques, c’est-à-dire affectant l’avenir commun de la société globale, en général au niveau de l’État. »
Les méthodes de
la science politique
La valeur et le progrès d’une science sont conditionnés dans une large mesure par les méthodes qu’elle utilise.
L’approche historique de la science politique montre que trois sortes de méthodes ont été utilisées, l’emploi de chacune correspondant à un progrès de la science politique.
Les méthodes subjectives
Ce sont les méthodes auxquelles ont eu recours tous les auteurs classiques.
Fondées sur la raison et l’abstraction (rationalisme de Platon et de Thomas More), sur les dogmes de la religion chrétienne (théologisme des Pères de l’Église) ou même sur l’observation des faits (empirisme de Machiavel et de Locke), ces méthodes ont en commun d’être des réflexions personnelles,
« subjectives », de leur auteur sur la polis ou la res politica. Usant de l’intuition, de la spéculation, voire de l’utopie*, comme outils principaux, ces mé-
thodes n’ont pu permettre d’obtenir des résultats rigoureux susceptibles d’une systématisation scientifique. Bien que fondée sur l’analyse tirée elle-même de l’observation du réel, la généralisation à laquelle se livre un Aristote par exemple traduit plus des conceptions personnelles que des faits vérifiés.
Loin d’être une étude des phéno-
mènes politiques dans leur réalité, les théories élaborées sont en fait des interprétations individualistes qui reflètent les valeurs auxquelles sont attachés leurs auteurs, moralistes, historiens, philosophes le plus souvent. L’optique méthodologique est toujours la même : il s’agit de fixer les normes qui vont permettre d’atteindre le régime considéré comme le meilleur possible. Finaliste et normative, la science politique, malgré ses réussites, ne s’est pas alors encore détachée de la philosophie et ne constitue pas une science véritable.
Les méthodes des sciences
sociales
Fondées sur l’idée qu’il existe, à côté du déterminisme naturel, un déterminisme social, les sciences sociales utilisent la méthode scientifique que Fran-
çois Simiand a définie par son double aspect d’observation et d’explication
des faits. Observer les faits tels qu’ils sont (par le recours à des techniques comme les sondages* d’opinion, les interviews, les analyses de journaux, de programmes de partis, de déclarations politiques) et les expliquer, c’est-à-dire généraliser, systématiser (par l’élaboration de théories, de lois), font de la science politique, qui adopte résolument ces méthodes au XXe s., une science positive.
Mais le recours à de telles méthodes suppose que l’étude scientifique de la réalité politique soit possible. Or, si Durkheim, suivi par l’école sociologique française, a démontré le caractère objectif et généralisable des faits sociaux, Wilhelm Dilthey, lui, préconise une méthode spécifique en raison du caractère subjectif et particulier des phénomènes sociaux. Classant les sciences sociales dans les sciences de l’esprit, ou sciences « noologiques », qu’il oppose aux sciences de la ma-tière, il propose de substituer la compréhension à l’explication scientifique, car « la nature, nous l’expliquons, la vie de l’âme nous la comprenons » (et les phénomènes sociaux, en particulier les phénomènes politiques, sont moins ce qu’ils sont réellement que ce que l’homme pense qu’ils sont). L’expé-
rience vécue serait le moteur de cette compréhension. La complexité de
la vie politique montre la difficulté d’une telle méthode, qui a le mérite néanmoins d’insister sur la « subjectivité » du comportement du politicologue, quasi intrinsèque à sa mission elle-même.
Les méthodes mathématiques
Constatant l’apport décisif des mathé-
matiques à la science économique, un certain nombre de politicologues américains tentent depuis quelques années d’utiliser en science politique l’approche mathématique de façon systématique, voire exclusive. La science politique va ainsi pouvoir devenir une science prospective.
L’exemple de la théorie des mo-
dèles* montre l’apport des méthodes mathématiques à la science politique.
Alain Touraine classe les modèles mathématiques de la science politique parmi les analyses fonctionnalistes de
la société (c’est-à-dire les analyses des rapports entre les individus et les institutions). Ainsi tous les problèmes du système politique vont bénéficier, grâce à la modélisation, d’instruments d’une efficacité inconnue jusqu’ici.
y Les problèmes constitutionnels.
S’inspirant de Condorcet*, l’Américain Kenneth J. Arrow démontre, en 1951 (Social Choice and Individual Values), qu’il ne peut exister de procédures constitutionnelles respectant certaines exigences démocratiques.