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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 16

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car une société n’est elle-même que lorsque brûle en elle le feu de son culte ou, du moins, son dérivé, la flamme de sa culture. Une expérience sociale du sacré s’identifie ainsi avec une expé-

rience sacrale de la société. La religion est chose sociale non pas parce qu’elle serait le « reflet » d’une société toute faite, mais parce qu’elle est l’emblème d’une société se faisant.

Religion et société

globale

Quelle définition le sociologue peut-il donner du phénomène religieux ? Peut-

être pourrait-on avancer que la religion est une viabilisation du sacré*, c’est-à-

dire l’ensemble des procédures doctrinales, culturelles et organisationnelles par lesquelles on assure ses voies d’aller et ses voies de retour à l’expérience du sacré. On peut préférer le terme de viabilisation à d’autres termes qui ont été également suggérés, comme administration ou routinisation, termes qui impliqueraient une nuance péjorative.

Car si les procédures de la religion sont une retombée sociologique et, pour ainsi dire, la lave refroidie de l’expé-

rience toujours un peu volcanique du sacré, elles représentent aussi les multiples manières de rendre pérenne et transmissible ce qui, sans elles, serait

éphémère et intransmissible. L’expé-

rience du sacré, qu’elle soit personnelle ou collective, est une expérience simultanément fascinante et redoutable, exaltante et aliénante, mêlée d’extases et de délires, équivoquement et doublement folle, au sens où Érasme emploie ce mot.

Plus généralement, l’approche

sociologique distingue dans le phéno-mène religieux un double palier : une religion de première main, impliquant cette expérience vivante du sacré ; une religion de deuxième main, impliquant sa mise en conserve dans les dogmes, les rites et les organisations. Le phé-

nomène religieux devient ainsi un phé-

nomène oscillatoire, semi-théurgique, semi-théologique, menacé à la fois par les évanescences fiévreuses de ses aspects « urgiques » et par la pétrification rigide de ses aspects « logiques » : ce que les vieux sociologues français apercevaient comme étant l’alternance des périodes « critiques » et des pé-

riodes « organiques ». C’est pourquoi, d’ailleurs, l’acte faiseur de sacré — le sacrifice —, qui est aussi l’acte central du phénomène religieux, se déroule comme un aménagement méthodique

des voies d’aller et des voies de retour.

On est tenté de dire : un aménagement des systèmes de compression et des systèmes de décompression pour que la plongée dans les profondeurs du sacré ne soit pas mortelle pour le corps et l’esprit du sacrificateur.

Cette connivence entre l’expérience du sacré et sa viabilisation religieuse se retrouve dans les trois phases souvent distinguées soit dans l’évolution des formes religieuses, soit dans la stratification de toute religion, puisqu’en chaque religion s’anticipe ou se récapitule l’évolution ou l’involution de telles formes.

Les religions de la nature

Correspondant aux sociétés traditionnelles, l’expérience du sacré s’y révèle dans les cultes de possession largement analysés par E. Durkheim et étudiés aujourd’hui dans les colloques internationaux. « C’est dans ces milieux sociaux effervescents et de cette effervescence même que paraît être née l’idée

religieuse [...] » (Durkheim). L’expé-

rience du sacré est alors l’expérience d’une société chaude, au-dessus de la société encore froide ou déjà refroidie, et donc, en ce sens, l’expérience d’une sur-société. Plus généralement, elle accompagne rituellement les diverses conduites de passage : celles de la naissance, celles de l’amour, celles de la mort ; et ces rites, justement nommés rites de passage, forment le socle sur lequel seront bâties la pratique et la théorie des actes justement dénommés sacrements dans les théologies ou les théurgies plus évoluées.

Les religions de la cité

Correspondant aux sociétés deve-

nant ou devenues nationales, avec ou sans État, ces religions émergent soit comme extension attestataire et fédé-

raliste des religions de la nature, soit comme retraits contestataires et auto-nomisants vis-à-vis des religions universelles, perçues alors comme religions arbitrairement dominantes. C’est dire qu’elles peuvent être antécédentes ou consécutives à une telle religion universelle. Antécédentes, elles sont alors religion d’une cité, d’une fédé-

ration, d’un État, voire d’un empire, même si, à l’intérieur d’elles-mêmes, elles connaissent déjà des clivages à la fois plus personnalisants et plus uni-versalisants, comme ceux qui ont été introduits dans l’Antiquité gréco-romaine par les cultes à mystères. Consé-

cutives, elles tendent alors à dédoubler une religion universelle devenant dominante pour l’accepter et la refuser en y distinguant une religion des dominateurs — refusée — et une religion des dominés — acceptée —, cette dernière épousant la conscience nationale et ses postulats culturels ; le catholicisme philippin a connu un tel dédoublement devant l’importation religieuse espagnole, et c’est un dédoublement de ce genre qui différencie l’islām chī‘ite, comme iranisation de l’islām vis-à-vis de l’islām arabe, mobilisé et immobilisé dans l’islām sunnite...

Les religions de l’univers

Correspondant à l’ordre ou à l’hypothèse d’une société universelle, ces religions sont peu nombreuses (boudd-

hisme*, islām*, christianisme*), et leur expansion dans l’univers est demeurée aléatoire. Elles ne sont devenues dominantes que dans la mesure où elles ont eu partie liée avec une civilisation dominante. L’extension de l’islām fut ainsi liée au flux de l’expansionnisme arabe, en attendant que le reflux de celui-ci se traduise par le plafonne-ment de l’universalisation escomptée.

L’expansion du ou des christianismes fut liée à l’expansionnisme européen dans des aires occupées soit par des religions traditionnelles de la nature (Afrique noire), soit par des religions de la cité ou même de l’empire (Pérou, Mexique), ou même par d’autres religions universelles du Moyen- ou de l’Extrême-Orient. Le reflux de cette expansion, contemporain de la décolonisation, s’accompagne également d’un renouveau des religions endogènes, comme force de résistance aux christianismes importés. En certains cas, des syncrétismes nourris de cette importation et de sa trame messianique ne sont pas sans forger des messianismes autochtones, préconscience collective d’une résistance, voire d’une révolte ou d’une révolution et tête de pont d’une émancipation politique, économique et culturelle. Les divers oecuménismes du XXe s. opèrent sur cet échiquier, où la stratégie des croisades et des expéditions politico-ecclésiastiques, après avoir été relayée par celle des missions, laisse de plus en plus le champ libre à celle des dialogues ou même des symbioses.

Approche sociologique

des comportements

religieux

Ce premier et sommaire panorama

manifeste déjà, dans les comportements religieux, une diversité qui interdit les slogans de toute approche moniste, ceux qui sont dictés en particulier par une prétendue progression ou une non moins prétendue régression du phénomène religieux, ceux de la religion « gardienne de l’ordre établi », « opium du peuple », ou ceux, inverses, d’une religion clef de voûte d’une cohésion sociale ou point oméga de l’avenir humain. Car, selon les cas, le phénomène religieux intègre ou dé-

sintègre la société, favorise la soumis-

sion ou fomente la révolte, s’intériorise ou s’extériorise, connaît des essors qui sont des déclins ou bien des déclins qui sont des essors, s’unifie ou se pluralise et généralement connaît une intensité inversement proportionnelle à son extension. On peut distinguer cependant trois types de comportements.