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Les comportements élémentaires

Selon Durkheim, ces formes élémentaires de l’opération religieuse de première main sont celles dans lesquelles une collectivité connaît et pratique l’expérience du sacré dans le culte qui rassemble périodiquement ses

membres et les transporte au-dessus d’eux-mêmes dans ce qui serait une contre-société si ce n’était en même temps et surtout une sur-société. Ces formes élémentaires ne sont pas limitées aux sociétés primitives. Comme l’a noté Durkheim : « C’est en effet dans les moments d’effervescence de ce genre que se sont de tout temps constitués les grands idéaux sur lesquels reposent les civilisations. » Si les cultes de possession sont surtout localisés dans les sociétés établies sous le signe d’un éternel retour, leur équivalent est repérable dans les sociétés entrant ou entrées dans l’histoire : c’est même cette entrée qui se signale par des mouvements messianiques ou/et millénaristes (v. millénarisme) souvent étudiés aujourd’hui et dont le profil sociologique se superpose assez exactement à ceux des cultes de possession traditionnels, dont ils sont d’ailleurs parfois la réactivation. Dans la genèse des différenciations plus mineures que sont les sectes, les congrégations, les ordres, les mouvements missionnaires, les revivals, on repère également ces comportements élémentaires en quelque sorte matriciels. Ceux-ci ont pour noyau tantôt une collectivité qui les diffuse en des individus et tantôt une individualité qui les catalyse dans un groupe social. À la limite, ils sont le fait de l’individualité elle-même et de son histoire intérieure, le mysticisme ou/et l’utopie jouant alors les rôles que messianismes et millénarismes jouent pour et sur les collectivités. La plupart du temps, enfin, c’est par la médiation ou la procuration de ces comporte-downloadModeText.vue.download 636 sur 651

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 16

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ments religieux de première main que se greffent les comportements religieux de deuxième main, moins intensifs, mais plus extensifs, qui se cristallisent dans des filières attestataires ou contestataires.

Les comportements attestataires

Religio societatis vinculum (« religion, lien suprême d’une société ») : cet aphorisme célèbre a été souvent commenté. L’intégration sociale, qui est le fait, pour une société, de former un tout, est en effet congénitalement entamée par le potentiel centrifuge de ses parties. Le contrôle d’un tel potentiel n’a jamais été et ne sera probablement jamais que de deux types : un contrôle externe par la coercition et un contrôle interne par un maximum d’unanimité dans l’adhésion au tout. Une religion représente un tel système d’adhésion : en elle, le tout et les parties s’attestent les uns les autres dans la mesure du moins où la religion légale coïncide avec la religion vécue. C’est pourquoi, sans doute, l’approche sociologique s’est évertuée à dénombrer, à mesurer et à classer de tels comportements attestataires. L’oeuvre la plus considé-

rable en ce sens a été celle de Gabriel Le Bras, initiateur de très nombreuses enquêtes sur la pratique religieuse. Les grilles proposées distinguent généralement : 1o les dévots, fervents ou militants chez qui cette pratique déborde les actes « de précepte » pour aborder les actes « de conseil » ; 2o les pratiquants réguliers, dont la pratique du culte et des sacrements coïncide avec la légalité requise ; 3o les conformistes saisonniers, dont la pratique, limitée à certaines saisons de l’année ou de la vie, rejoindrait plutôt le socle des religions naturelles ; 4o les déviants, ou dissidents, enfin, passifs ou actifs, absentéistes ou objecteurs, dont la pratique est nulle ou même oppositionnelle.

Ces enquêtes montrent, en outre,

que, si la fidélité à la pratique correspond souvent au loyalisme (ou au conformisme) à une culture (déterminée socialement, géographiquement

ou même ethniquement), la récession de cette pratique correspond souvent à l’irruption ou à l’agression d’une autre culture, déclenchant, selon les cas, soit une déculturation, soit une transcultu-ration, auxquelles ripostent, avec une pertinence inégale, des acculturations plus ou moins contrôlées ou même des contre-acculturations.

Les comportements contestataires

Le sociologue Joachim Wach en distingue deux catégories, selon qu’il s’agit de la contestation ad intra, se réalisant par une opposition ou une résistance dans le cadre, cependant, d’une soumission, ou selon qu’il s’agit d’une contestation ad extra, dans laquelle l’opposition a conduit jusqu’à la récession, à partir de laquelle elle se radicalise. Les comportements religieux sont nombreux à relever de l’un ou l’autre type ; on pourrait même établir un continuum de leur gradation.

La contestation intérieure peut être soit individuelle et prophétique, soit collective et faisant école. Elle peut être également moderniste et s’exercer contre des traditions dénoncées comme caduques ; ou bien elle peut être « fon-damentaliste » ou « intégriste », s’exer-

çant alors contre des innovations ou des aggiornamentos tenus pour fos-soyeurs des valeurs essentielles. Individuelle, elle sera volontiers charismatique, inspirée, héroïque... Collective, elle pourra donner naissance à toutes les formes d’ecclesiola in Ecclesia : groupes d’études, cercles, communautés, mouvements, réseaux de résistance spirituelle, organes de propagande et, à la limite, congrégations, ordres, etc.

Quant à la contestation externe,

elle peut n’être que le passage à la limite de la précédente, le franchissement d’un seuil de rupture. Bien des groupements, souvent baptisés sectes, n’ont été, ainsi, que des mouvements religieux revivalistes qui auraient pu s’inscrire ad intra si ce seuil de rupture n’avait pas été atteint du fait de l’impatience des uns ou/et de l’inertie des autres. Inversement, d’ailleurs, un ordre religieux dûment habilité n’aura pu être, selon E. Troeltsch, que l’« ec-clésification d’une secte », c’est-à-dire la récupération, au centre du corps

ecclésiastique, d’une contestation qui, sans cela, aurait coulé à sa périphérie.

Cette contestation externe peut encore aller plus loin : radicaliser sa dissidence dans une grève du culte ou de la culture, dont elle tend à se distancer, fomenter d’autres cultes ou d’autres cultures, répudier tout culte et toute croyance ou même se conjuguer avec des courants de dissidence politique, économique ou sociale pour prospecter, selon son langage, des « nouveaux cieux sur une nouvelle terre », c’est-

à-dire recommencer une religion en attestant une autre théologie dans une autre politique, un autre culte dans une autre culture...

Dans un commentaire de son oeuvre, Émile Durkheim insistait sur un postulat, fondamental à ses yeux, de l’approche sociologique du phénomène religieux. C’est celui aux termes duquel un phénomène religieux n’est pas tant un « système d’idées » qu’un système de « forces ». Plus précisément encore, l’approche sociologique discerne dans le phénomène religieux deux systèmes de forces : des forces de gravitation, celles qui expliquent que sociétés religieuses et comportements religieux tournent sur leur orbite moyennant accélérations ou décélérations secondaires... ; des forces d’explosion, celles qui ont placé tel phénomène sur telle orbite, même si cette opération date de plusieurs décennies, de plusieurs siècles ou de plusieurs millénaires...

C’est pourquoi, comme le souli-

gnait G. Le Bras, une sociologie religieuse doit être aussi une sociologie historique.

Et cette sociologie historique ne peut qu’inscrire son objet entre l’histoire plurimillénaire de l’humanité, en laquelle toutes les religions se touchent, et l’histoire secrète, parfois refoulée, en tout cas occultée, non seulement de chaque groupe, mais aussi de chaque individu, qui, en entrant en religion, devient acteur de cette histoire universelle.