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Ce peut être une petite palette dont on appuie la tranche chauffée sur le cuir humide pour tracer les traits droits ou courbes, ou bien un motif de dimen-

sions variables (de 20 sur 20 mm environ), qui, au milieu du XIIe s., est emprunté à la fantaisie des enluminures accompagnant le texte ; les dessins sont disposés sur les plats en bandes horizontales ou verticales, en encadre-ments ou à la façon d’un carrelage.

La roulette est créée pour rendre plus rapide une partie du travail au petit fer.

C’est un cercle de métal tournant librement sur un axe dont les extrémités sont fixées sur un étrier monté sur un manche en bois. La mince bordure du cercle, avançant en roulant sur le cuir, y laisse la trace d’un filet plus ou moins large suivant l’épaisseur du cercle, plus ou moins brillant suivant la température à laquelle on a porté la roulette. Si le cercle est remplacé par un cylindre plat de quelques centimètres d’épaisseur gravé d’un motif se répétant sans discontinuité, on laissera sur le cuir la trace répétée de ce motif : fleurettes, rinceaux, losanges, spirales, armoiries, voire petits personnages.

À la fin du XVe s., la plaque, d’abord utilisée en Flandre, est un rectangle de métal gravé, mesurant jusqu’à 85

sur 140 mm. Les plus célèbres plaques portent le nom d’André Boule, libraire qui, vers 1520, en fit un commerce prospère. Elles représentent les mêmes sujets religieux qu’on trouvait sur l’ivoire et les émaux à l’époque pré-

cédente. Sur le plat de cuir humide, la plaque chauffée est appliquée, pressée et laisse les traces de sa gravure en creux et en reliefs. Ainsi, dès cette époque, les techniques du travail à froid sont connues et les outils qu’on utilise encore à l’heure actuelle existent. Mais, au Proche-Orient, ils sont déjà employés pour la dorure ; avec ses fines arabesques dorées, la reliure persane est un art original dont vont s’inspirer les Byzantins. La prise de Constantinople en 1453 précipite l’émigration de ces techniques vers la Méditerranée occidentale : Naples, Venise et l’Espagne. En 1494, les premières reliures décorées à l’or fin sont mentionnées en France. En 1507, l’atelier de Blois exécute pour Louis XII une reliure où voisinent le décor à froid et le décor doré. Le procédé de fixation de l’or sur le cuir subira peu de modifications jusqu’à nos jours.

Dorure

Le doreur procède d’abord au traçage : sur le cuir imbibé d’eau pure, il enfonce le fer chauffé, pratiquant un creux régulier et net dans lequel il dépose une légère couche de colle de pâte.

Un second passage dans cette trace lui donnera le brillant qui la distinguera de la surface mate du cuir. Pour fixer l’or, le doreur dépose dans la trace un apprêt (sang de boeuf, blanc d’oeuf délayé dans du vinaigre d’alcool, solution à base de gomme laque). Lorsque l’apprêt est sec, il passe sur le cuir un tampon imbibé d’huile d’amandes douces, puis il couche la feuille d’or avec la lame d’un couteau, reprend son fer chauffé et, le plaçant au-dessus de la trace, très exactement au même endroit, exerce une pression verticale qui fixe l’or sur le cuir. Les bavures sont enlevées avec une brosse. L’ensemble des opérations est recommencé deux ou trois fois de manière à laisser dans le creux des traces une épaisseur d’or d’un brillant très vif.

La décoration à froid et à l’or fin a été complétée par l’emploi de la couleur. L’incrustation de médailles métalliques ou de cires colorées, la mosaïque surtout, qui est l’application sur le cuir d’un morceau de cuir aminci, ou l’incrustation d’un cuir épais, de couleurs différentes, sont quelques-uns des procédés employés pour enrichir l’aspect de la reliure. De nos jours, le doreur emploie aussi la couleur en feuilles, dite couleur en pâte ou décalque, procédant avec une minutie plus attentive encore que pour la feuille d’or : tra-

çage léger, faible chaleur du fer, qui ne passe qu’une fois sur la feuille de couleur.

Pour inscrire sur le dos les mentions d’identification du livre, le doreur dispose de lettres gravées qu’il peut employer une par une ou appliquer ligne par ligne à la surface du dos en cuir.

S’il s’agit d’un dos à nerfs, les mentions seront poussées dans les entre-nerfs : en principe, le nom de l’auteur dans le deuxième et le titre dans le cinquième, les autres entre-nerfs étant souvent décorés de petits fers dorés ou de mosaïques, et les nerfs étant cernés

de filets à froid ou dorés ; on appelle nerfs prolongés les filets dorés ou à froid prolongeant ces filets sur les plats à droite et à gauche du dos. Lorsque les plats sont faits de carton épais, les tranches du carton couvertes par le cuir peuvent être ornées de petits motifs tels que tirets, étoiles, losanges ou points, pleins ou creux ; de même, les remplis du cuir à l’intérieur des plats, restant visibles après le collage des gardes, peuvent recevoir une bordure ornée à la roulette, qu’on appelle le crétage ; enfin, l’envers des plats, au lieu de la garde en papier, peut être doublé de tissu ou de peau, encadré d’un listel de filets dorés et décoré avec le même luxe que l’extérieur de la couverture.

Sous l’influence du souverain ou des nobles érudits, ou suivant les tendances artistiques de l’époque dans d’autres disciplines, chaque époque marque de son style les fers à dorer et enrichit les collections des ateliers des doreurs.

François Ier surmonte la salamandre de ses armes par ses initiales couronnées. En 1532, Jean Grolier, vicomte d’Aiguisy (1479-1565), trésorier de France et le plus célèbre des bibliophiles français, rapporta d’Italie des modèles de fers à dorer largement utilisés ensuite par les doreurs français : fers de feuillages stylisés, tantôt pleins, tantôt évidés (seul le contour du motif est une ligne dorée), tantôt azurés, l’intérieur du motif étant comblé par de fines hachures horizontales.

Les initiales d’Henri II sont entrelacées avec celles de Catherine de Médicis ou avec celles de Diane de Poitiers et avec le croissant lunaire, emblème de la déesse dont cette dernière porte le nom. Le double écusson des armes de France et de Pologne, entouré du collier de l’ordre du Saint-Esprit des premières reliures d’Henri III, est placé au centre d’un semé de fleurs et d’em-blèmes funèbres. Pour Jacques de Thou (1533-1617), Nicolas Ève († 1581) et son fils Clovis († 1634) créent leurs plus belles reliures à la fanfare, qui doivent leur nom à la copie qu’en fit exécuter Charles Nodier en 1829. C’est dans les ruelles des précieuses que Le Gascon fait admirer les semés d’initiales et les fers pointillés des reliures de la bibliothèque de Julie d’Angennes, fille de Catherine de Vivonne, mar-

quise de Rambouillet. Les artisans qui décorent les demeures royales fournissent à Antoine Michel Pade-loup (1685-1758) ainsi qu’à Jacques Antoine Derome (1696-1760) et à son fils Nicolas Denis, dit Derome le Jeune (1731-1788), les modèles des reliures à l’oiseau et des motifs de dentelles qui ornent les maroquins rouges du règne de Louis XV. Les roulettes de l’époque napoléonienne gravées pour Bozérian sont inspirées des motifs architecturaux de Charles Percier, et les reliures d’Alphonse Simier et de Joseph Thou-venin (1790-1834), à l’époque ro-

mantique, reproduisent les arcartures gothiques. À la fin du XIXe s., Henri Marius-Michel (1846-1925) introduit dans la reliure le large décor floral stylisé, qui se retrouve dans le mobilier, l’orfè-

vrerie et l’architecture. Dans la Reliure française, publiée en 1880, il énonce le principe suivant lequel le décor de la reliure doit être approprié au volume auquel il est destiné. Pierre Legrain (1889-1929), relieur des manuscrits de Paul Valéry et d’André Gide pour le bibliophile Jacques Doucet, mettra, de propos délibéré, le décor au service du texte, cherchant, à tout le moins, à en suggérer le sujet ou le climat. Paul Bonet (1889-1971) s’illustrera dans la même voie de manière exemplaire.