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On appréciait déjà chez Rembrandt ses qualités d’historien et d’illustrateur qui lui font représenter une scène avec un souci convaincant de la vérité psychologique et archéologique ; mais, au contraire de ses contemporains, l’artiste ajoute à cela une dynamique dramatique donnée par l’intensité des expressions (le Christ chassant les marchands du Temple, 1626, Moscou, musée Pouchkine) et la violence du jeu des lumières (les Pèlerins d’Emmaüs, 1629, Paris, musée Jacquemart-André).

Déjà il montre son habileté à situer les scènes bibliques dans une composition où la grandiloquence n’a rien de conventionnel, en s’inspirant d’études naturalistes et avec beaucoup d’audace technique (Judas rendant les trente deniers, 1629, déjà apprécié du poète Constantijn Huygens [1596-1687] et souvent copié dès cette époque ; Mise au Tombeau, 1630, British Museum).

Sa célébrité rapide, son

génie, son influence

Le succès de Rembrandt est tel que, dès l’âge de vingt-quatre ans, il doit aller s’installer à Amsterdam pour répondre aux nombreuses commandes. Le stathouder de La Haye et l’ambassadeur d’Angleterre sont ses clients. Une reconnaissance de dette de 1631 prouve que Rembrandt est associé au commerce d’oeuvres d’art d’un riche marchand, Hendrick Van Uylenburgh, dont il épousera la nièce, Saskia, en 1634. Il doit délaisser le « grand genre », ambi-

tion de tout peintre, au profit de commandes qui sont surtout des portraits de notables et de bourgeois. Il trouve dans ce travail une double compensation : non seulement celui-ci est très lucratif et asseoit sa renommée, mais il lui fournit un champ d’expérience pour l’étude du « visage intérieur », qu’il a déjà largement sondé dans des autoportraits et des portraits de ses parents, gravés à l’eau-forte, sans doute comme un exercice. Cette nouvelle approche de la physionomie, plus intense, plus réaliste que tout ce qu’on faisait alors, sera l’une des passions du peintre et un élément fondamental de sa réussite.

Avec ses eaux-fortes (portraits grima-

çants, 1630), Rembrandt peut aller plus loin dans la trivialité qu’avec le portrait d’apparat. Il applique ensuite sa technique au portrait de groupe, qu’il compose avec la même intensité dramatique qu’une scène historique. La Leçon d’anatomie* du docteur Tulp (1632, La Haye, Mauritshuis) fera beaucoup pour sa renommée. Il entreprend alors, rivalisant avec Rubens*, une grande série de tableaux religieux qui l’occuperont pendant les années 30

(Élévation de Croix, Descente de

Croix, Mise au Tombeau, Résurrection, Ascension, auj. à la Alte Pinakothek de Munich) et qu’il gravera à l’eau-forte, sans doute cette fois avec le souci de les populariser.

De plus en plus, pendant cette période de formation, le style de Rembrandt est dépouillé de tout effet emphatique conventionnel et évolue vers une intensité psychologique parfois brutale, par la concentration de l’action, la cohé-

sion renforcée de la composition, le jeu puissant des regards, des expressions, des attitudes, soutenu par des empâtements de plus en plus audacieux, des downloadModeText.vue.download 641 sur 651

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 16

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contrastes violents de lumières, des couleurs riches et brillantes ; ce style est condamné par plusieurs critiques, mais il a la faveur du public en raison de son efficacité dramatique. Pour parvenir à ce renouvellement du traitement technique et iconographique

des thèmes traditionnels, Rembrandt exécute de nombreuses études d’après nature : paysages, portraits, objets de curiosité divers qu’il collectionne, armes, costumes orientaux, documents du folklore, etc. Vers 1635, la violence baroque, mouvementée et naturaliste (Samson aveuglé par les Philistins, 1636, Francfort, Städelsches Kunstins-titut) perd de sa vigueur au profit de décors plus équilibrés, pourvus d’architectures, au style plus calme (Saskia en Flore, 1634, Leningrad, Ermitage, et 1635, Londres, National Gallery).

Cette évolution coïncide avec celle du public, qui, à l’art dynamique consé-

cutif à la conquête de l’indépendance, préfère de plus en plus l’art tranquille qui célèbre un pays paisible et prospère, illustré par les lumières de Vermeer* et par la peinture de paysage de la seconde moitié du siècle. Rembrandt n’ira pas si loin dans cette évolution et conservera ses élans picturaux avec, simplement, plus de majesté que de violence. Son opposition avec le goût des contemporains sera donc de plus en plus sensible, ce qui explique que, si sa renommée est définitivement établie très tôt, son succès n’ira pas croissant après 1640.

C’est en 1642 qu’il produit son

oeuvre la plus célèbre, faussement appelée, d’après un catalogue de 1808, la Ronde de nuit et qui décrit la Sortie du capitaine Frans Banning Cocq et de son lieutenant Willem van Ruytenburch (Rijksmuseum, Amsterdam). C’est un portrait de groupe de la compagnie honorifique des gardes civiques d’Amsterdam. Comparée aux autres portraits des compagnies de gardes civiques qui ont été réunis dans la même salle, au Rijksmuseum d’Amsterdam, la puissance originale de l’oeuvre de Rembrandt apparaît clairement : refusant l’artificielle galerie de portraits en pied, d’une technique monotone et froide, l’artiste a intégré son groupe dans une scène d’une richesse picturale et iconographique inépuisable. Le spectateur se trouve entraîné par les profondeurs, les contrastes, les couleurs brillantes, les regards expressifs, les gestes saisis dans l’instantané d’une composition où les détails multiples n’en sont pas moins soumis à une forte cohésion, charpentée par la lumière et l’ombre.

Rembrandt est alors à son apogée.

Riche, considéré, il ajoute aux revenus de ses propres oeuvres celui d’un atelier fréquenté par de nombreux élèves — il en eut jusqu’à trente —, parmi lesquels se distinguent surtout Ferdinand Bol (1616-1680) et Carel Fabritius (1622-1654). Ce dernier, qui deviendra le maître de Vermeer, constitue la transition entre le style agité et obscur de son maître et celui, calme et lumineux, de son élève. Les nombreuses oeuvres d’atelier, peintes en collaboration, les copies d’élèves, les imitations, qui, dès cette époque, prennent une valeur commerciale, rendent délicates les authentifications et expliquent les divergences des catalogues. L’influence de Rembrandt sur les peintres de son temps est difficilement estimable, car autant son oeuvre marque une nouvelle dimension de la représentation picturale, autant sa grande originalité frappe de banalité les artistes qui s’en inspirent trop directement. Comme beaucoup de grand novateurs, Rembrandt n’a eu que des épigones, chez qui ses audaces — le clair-obscur en particulier — sont devenues des procédés pesants, appliqués de façon systématique. Il n’est pas un théoricien : il se nourrit de pratique et d’exemples.

Tel était sans doute son enseignement, qui semble avoir profité avant tout au maître. Celui-ci ne mène dans son atelier que des expériences empiriques, d’observation curieuse, et collectionne pour cela, avec un éclectisme étonnant à son époque, toutes sortes d’objets et d’oeuvres. Une eau-forte s’inspire du Castiglione de Raphaël* (autoportrait) une autre, plus tardive, de miniatures orientales (Abraham servi par les anges), mais ces influences sont noyées dans la particularité de sa manière.

D’autres tableaux de

Rembrandt dans les

musées du monde

y Amsterdam. RIJKSMUSEUM : Jéré-

mie pleurant la destruction de Jérusalem (1630) ; le Pont de pierre (v. 1637) ; Titus en habit de moine (v. 1655) ; la Leçon d’anatomie du Dr Deyman (fragment, 1656) ; le Reniement de saint Pierre (1660) ; Portrait de Rembrandt en apôtre Paul (v. 1661) ; la Fiancée juive (v. 1668).

y Berlin. STAATLICHE MUSEEN ; Samson et Dalila (1628) ; Portrait de Saskia (1631) ; Suzanne et les vieillards (1638) ; Paysage (v. 1640) ; le Songe de Joseph (1645) ; l’Homme au casque d’or (v. 1650) ; Joseph accusé par la femme de Putiphar (1655) ; Combat de Jacob avec l’ange (v. 1660).