Il la doit à l’éclat chaud de sa couleur comme à l’harmonie des ordonnances, à la beauté blonde des courtisanes vé-
nitiennes transmuées en déesses (cycle mythologique peint dès 1523 pour le duc de Ferrare) : c’est le début d’une longue royauté.
Cependant, tandis que la Lombardie recueille la tradition léonardesque avec plus de suavité (Bernardino Luini), un isolé, le Corrège*, apporte à Parme une note personnelle : son clair-obscur chatoyant, fluide et vaporeux — aussi bien dans les grandes décorations que dans les figures féminines, madones ou saintes Catherines, Lédas ou Danaés, presque égales en langueur volup-tueuse — est à l’origine d’un courant durable dans la peinture européenne.
Cette période exceptionnelle est
aussi celle où l’Europe est conquise par la Renaissance. Jusqu’alors, l’italianisme n’avait pénétré en d’autre
pays que par des décors figurés sur des peintures et des miniatures (Fouquet*), à la rigueur par des tombeaux commandés en Italie ou par des sculptures dues à des Italiens de passage (Francesco Laurana à la cour d’Aix-en-Provence, pour le roi René* d’Anjou). Mais, à la suite des expéditions françaises à Naples et dans le Milanais, à partir de 1494, les luttes confuses qui opposent Français et Espagnols vont mettre en contact avec l’Italie une élite de grands seigneurs et de prélats qui s’émerveillent des palais, des villas, des jardins riches de statues et de fontaines, et s’efforcent de les transplanter dans leur pays. Cet italianisme ne pénètre d’abord que très superficiellement : il se limite à un placage de décors nouveaux sur les structures traditionnelles.
Mais des situations presque sem-
blables ont des résultats quelque peu différents. L’Espagne*, déjà implantée solidement à Naples, est plus précoce que la France. La grande famille des Mendoza, diplomates ou guerriers, emploie un architecte castillan sans doute formé en Italie, Lorenzo Vázquez.
Celui-ci, vers 1490, dresse au collège de Santa Cruz de Valladolid*, sur fond de bossages florentins, une juxtaposition d’ordres classiques et de pilastres gothiques. À Valence, trait d’union entre Naples et l’Espagne, Fernando Yáñez et Fernando de Llanos peignent entre 1507 et 1510 le grand retable léonardesque de la cathédrale. Mais c’est surtout Grenade*, reconquise en 1492, qui va devenir le « banc d’essai » de l’italianisme : le château de Calahorra, qui se dresse dans la sierra à 1 200 m, fief d’un Mendoza, cache dans son enceinte un patio à médaillons et à frises exécuté sur place par des sculpteurs génois. À ces oeuvres s’ajoutent les décors architecturaux qu’on appelle plateresques, traités en faible relief comme des retables extérieurs et dont la broderie associe souvent les motifs mudéjars de stuc aux marbres italiens (patio « trilingue » de l’université d’Alcalá de Henares, avant-salle capi-tulaire de la cathédrale de Tolède). Dès le début du règne de Charles Quint, si le plateresque transforme surtout l’aspect d’édifices civils (comme la façade de l’université de Salamanque*), il touche très vite l’art religieux. À côté de décors exécutés par des sculpteurs
italiens, à côté des grilles monumentales de chapelles qui adoptent le vocabulaire nouveau, absides et fa-
çades reçoivent des décors plaqués de grande envergure tout en conservant les formules caractéristiques du style
« Isabelle » (motifs héraldiques monumentaux) ; c’est ainsi que Rodrigo Gil de Hontañón travaille à la cathé-
drale de Plasencia et à San Esteban de Salamanque.
Beaucoup plus lente est la péné-
tration de l’italianisme au Portugal*.
C’est seulement vers 1520 qu’il se manifeste à Lisbonne*, au monastère de Belém, avec l’entrée en scène de nouveaux maîtres d’oeuvre, et à Coimbra, avec l’apparition d’une équipe de sculpteurs d’origine française.
En France*, c’est dans des zones
très localisées que la Renaissance apparaît autour de 1500 : en Touraine (Amboise, Blois*, l’atelier des Juste à Tours) et, grâce au mécénat du cardinal d’Amboise, dans la haute Normandie (château de Gaillon). La « détente » de la seconde moitié du XVe s., la transformation des châteaux avec leurs façades régulières sur les jardins lui avaient déjà préparé la voie, et le décor nouveau s’entrelace naturellement aux éléments gothiques. En revanche, après 1515, les châteaux de François Ier et de son entourage (aile nouvelle à Blois, Azayle-Rideau, Chenonceaux...) éliminent le décor gothique tout en conservant l’asymétrie pittoresque, les tourelles d’escalier saillantes, des toitures aiguës du siècle précédent.
On voit se dessiner, à la façade de Blois donnant sur les jardins et surtout à Chambord*, un souci nouveau de régularité et de grandeur. Mais la sculpture et le vitrail, très florissants en Normandie et en Champagne, ne se teintent que superficiellement et lentement d’italianisme.
Si la Grande-Bretagne* ne fait appel qu’épisodiquement au concours de
décorateurs italiens, les Flandres et l’Allemagne, en revanche, manifestent une curiosité assez chaleureuse pour la Renaissance. Mais l’architecture n’y joue qu’un rôle secondaire, quelle que soit la précocité relative du palais de Marguerite d’Autriche à Malines*
(aile de 1517). Ce sont les peintres qui, au terme de l’éclatante « renaissance septentrionale » du siècle précédent —
celle des « primitifs flamands » (v. Belgique, l’art en Belgique), dont les recherches étaient, sur le plan gothique, parallèles à celles des Florentins —, se mettent à l’école des humanistes, tel Érasme*, dont les relations avec les peintres d’Anvers* furent particulièrement cordiales. Le changement des dé-
cors d’architecture et des draperies est downloadModeText.vue.download 647 sur 651
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 16
9332
déjà sensible chez des maîtres de transition comme Gerard David* et surtout Quinten Matsys*. Mais une étape décisive est marquée par le voyage de Jan Gossart* à Rome (1508) avec Philippe le Beau. On doit à Jan Gossart, selon Carel Van Mander, « la véritable ma-nière de composer des histoires pleines de figures nues et de toutes sortes de poésie [...] ». Même si ses Èves et ses Danaés ne sont que des bourgeoises déshabillées, d’un réalisme parfois cruel, il ouvre l’ère du « romanisme ».
Après lui, Van Orley*, imitateur de Raphaël dans ses cartons de tapisserie, Van Scorel*, etc., attestent le progrès rapide du goût nouveau.
L’Allemagne* connaît de son côté le rapide et brillant essor d’une Renaissance encore très marquée de gothique
— par le dessin tourmenté, le mélange de moralisme religieux et de fantastique
— et où la gravure égale en importance la peinture. L’empereur Maximilien, la riche bourgeoisie de Nuremberg* et d’Augsbourg* (les Fugger*), les imprimeurs partagent les mêmes curiosités, qui se portent vers Venise plus que vers Rome. Les deux voyages de Dürer* à Venise, en 1494 et en 1506, ont élargi l’horizon d’un artiste de génie ; Dürer recueille l’héritage médiéval et reflète l’inquiétude religieuse de son temps, mais il s’exprime avec des formes plus largement plastiques — tributaires des leçons de Bellini — et avec une curiosité quasi mystique du paysage, de l’insecte, de l’oiseau — qui l’apparente à l’universalisme de Léonard. À coté de lui, Holbein* le Jeune, avec le grand
style de ses portraits comme avec ses décorations à l’antique de Bâle (1521-22), qui introduisent la fresque en pays germanique, Cranach* et Baldung*
Grien, avec leurs nudités grinçantes, les Suisses Urs Graf et Niklaus Manuel Deutsch, avec leurs reîtres habillés à l’antique, attestent la force et la diversité de la pénétration italienne. Celle-ci, plus lente dans la sculpture, où la tradition d’un réalisme expressionniste s’est maintenue avec éclat, apparaît pourtant dans les grandes oeuvres fu-néraires de Riemenschneider* ou des Vischer*.