créter le droit au travail et l’organisation du travail (25 févr.). À défaut de mesures pratiques immédiates, c’est déjà un engagement d’une grande portée sociale. Nouvelle manifestation le 28, menée par les corporations de travailleurs avec bannières et chants professionnels.
On réclame cette fois un ministre du Travail et des mesures précises concernant le régime salarial et la durée du travail. Louis Blanc et Albert arrachent à leurs collègues, sinon ce ministère du Travail, que refusent obstinément Lamartine et Marie (1795-1870), du moins une « Commission du gouvernement pour les travailleurs », chargée d’étudier les problèmes du travail et de proposer des solutions. On lui af-fectera le palais de l’ex-Chambre des pairs, d’où le nom de Commission du Luxembourg. À vrai dire, dans leur majorité, les républicains au pouvoir apparaissent débordés par ces événements, qu’ils n’ont pas prévus, et par ces exigences sociales, qu’ils n’étaient guère préparés, par leur origine sociale, à comprendre et à satisfaire. La pré-
sidence du gouvernement est confiée à Jacques Charles Dupont de l’Eure (1767-1855), octogénaire survivant de la révolution de 1830. Un glorieux ancêtre sans plus.
Lamartine, fraîchement converti à l’idée républicaine, prend les Affaires
étrangères. Le prestigieux écrivain s’en tient aux grands principes. Paix à l’extérieur, paix à l’intérieur, une république fraternelle sans factions, sans classes et sans démagogues. Au ministère de l’Intérieur siège Ledru-Rollin*, chef de file des radicaux, un politicien d’envergure médiocre, un tribun qui singe Danton, généreux et sincère, mais irréfléchi et influençable.
Pour lui, la démocratie politique est la panacée, susceptible de régler tous les problèmes, à commencer par ceux du travail. Le banquier Michel Goudchaux (1797-1862) aux Finances, Marie aux Travaux publics et Adolphe Crémieux (1796-1880) à la Justice représentent la bourgeoisie. La révolution est pour eux un simple changement dans le personnel dirigeant et dans la représentation des vrais intérêts du pays, trop longtemps mis à l’écart par l’exclusivisme des notables orléanistes.
Les premières décisions du Gouvernement provisoire sont d’inspiration nettement démocratique : abolition de la peine de mort en matière politique (26 févr.), liberté de presse et liberté de réunion, déclaration de paix au monde due à Lamartine (4 mars).
La peur du vide et de l’anarchie
entraîne un ralliement massif de certains milieux d’affaires, de l’administration, du clergé et de l’armée aux nouvelles autorités. Ces républicains du lendemain accourent en foule aux cérémonies, aux réceptions du nouveau régime, bien décidés à soutenir les ré-
publicains de la veille, qui constituent encore pour eux un pis-aller, face au péril socialiste qui grandit. C’est que les travailleurs semblent alors obtenir d’évidentes satisfactions. Le 27 février sont créés des ateliers nationaux, que beaucoup imaginent être la réalisation du projet d’ateliers sociaux de Louis Blanc. Le 2 mars, la Commission du Luxembourg obtient l’abolition du marchandage et la réduction de la journée de travail de 11 à 10 heures à Paris et de 12 à 11 heures en province. Bien plus, les 700 délégués, faisant preuve d’une remarquable maturité, exigent à leurs côtés des représentants patronaux (ils seront plus de 200), afin d’assurer la validité des décisions prises. La commission intervient dans de nom-
breux conflits du travail et contribue au succès de certaines négociations.
Mais, surtout, elle favorise la création de multiples associations coopératives de production (Société fraternelle des tailleurs de Paris, Association des mé-
caniciens de Cail), bénéficiant parfois des commandes de l’État.
La grande peur
du printemps 1848
La révolution avait relancé et aggravé la crise économique. En quelques
semaines, c’est une fuite généralisée de capitaux. Le crédit étant mort, de nombreuses entreprises industrielles et maisons de commerce ferment. Bientôt, c’est le tour de l’atelier et de la boutique. La crise s’étend en province.
Partout des faillites à la chaîne, et les loyers ne rentrent pas dans cette na-downloadModeText.vue.download 32 sur 621
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 17
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tion de propriétaires. Les riches fuient Paris comme à l’époque du choléra en 1832. Les bureaux des compagnies de transport sont assiégés. Dans certains quartiers riches, on brade chevaux, tableaux de maître, bijoux et on renvoie les domestiques. Le chômage s’étend, les grèves se multiplient et s’éternisent.
Longtemps, l’historiographie de 1848
a fait une large part, une trop large part au climat de fraternité généreuse et de concorde démocratique qui avait jailli dans le sillage de février. De bons prêtres bénissaient les arbres de la liberté plantés en choeur par l’ouvrier et le bourgeois. Le travailleur barbu et musclé devenait l’apôtre du temps de la réconciliation : « Chapeau bas devant la casquette. » Image d’Épinal que tout cela, assez loin de la réalité. La révolution a libéré des forces puissantes et réveillé des haines farouches. À Lyon, la patrie des canuts, les ouvriers brisent les métiers concurrents, saccagent les ateliers des couvents et des prisons.
Partout bateliers et rouliers, vaincus de la révolution industrielle, se lancent à l’assaut des lignes de chemin de fer, brûlent les gares et les entrepôts. Dans les campagnes, ouvriers agricoles et paysans ruinés réoccupent les terres
communales amodiées. Des châteaux sont pillés ; on fait un mauvais sort aux usuriers, gardes forestiers et receveurs des contributions. Les prolétaires s’en prennent aussi aux ouvriers étrangers qui acceptent de bas salaires. Des Belges, des Piémontais sont lynchés.
Les travailleurs de Rouen marchent sur Sotteville en hurlant : « Mort aux Anglais ! »
Le désordre s’amplifie. Le succès relatif du mouvement coopératif terro-rise le patronat, qui y voit une menace d’expropriation générale entreprise avec la complicité de l’État républicain. L’action des clubs populaires, surgis en masse dans les grandes villes, contribue à accréditer l’idée d’une vague socialiste irréversible. À Paris, les lieux de travail, ateliers ou chantiers, sont le siège de multiples assemblées de corporations, fort pacifiques d’ailleurs. On discute et on proclame d’abondance dans les arrière-salles de cabarets, dans les églises et les guinguettes des barrières.
C’est le temps des universités populaires, des sociétés pour l’instruction du peuple et des clubs de femmes. Ici, des apôtres du progrès, confus et empha-tiques, vaticinent autour de mirifiques projets de société. Là, au contraire, on traite de problèmes réels et urgents, bureaux de placement, assistance aux infirmes, travail des enfants. Il y a les doux illuminés et les violents, les évangélistes et les sectaires. L’influence de ces derniers, comme la Société républicaine centrale d’A. Blanqui*, est encore modeste. Mais l’écho que rencontrent les théoriciens du communisme de 1848, avec leurs projets de répartition des biens et des richesses, est chaque jour plus profond dans la masse de chômeurs qui se rue sur Paris.
La défaite du prolétariat
parisien (avr.-juin 1848)
Le Gouvernement provisoire, placé dans une situation impossible, se contente de louvoyer. Céder constamment à la pression de la rue, c’est s’aliéner la classe moyenne, discré-
diter l’idée républicaine et achever la ruine de l’État. Il faut rassurer, tout en veillant à éviter une dangereuse