réaction conservatrice. Dès le mois de mars, le gouvernement a mis sur pied une force d’ordre en créant 24 bataillons de gardes mobiles, corps soldé et recruté dans le sous-prolétariat, et s’est assuré un appoint en confiant un service d’ordre aux élèves des grandes écoles et à la jeunesse dorée des beaux quartiers. Émile Thomas, directeur des ateliers nationaux, organise militairement « ses » ouvriers en une véritable armée au service du pouvoir, utilisable comme troupe de choc, voire comme clientèle électorale. Dans un premier temps, le gouvernement manoeuvre
habilement.
Il fait d’abord échouer, le 16 mars, une manifestation des compagnies
d’élite de la garde nationale, les
« bonnets à poils », qui prennent pré-
texte de leur dissolution pour marcher sur la place de Grève, en poussant des cris hostiles aux socialistes et à Louis Blanc. Les clubs, rameutés en catastrophe, font une conduite de Grenoble aux « réactionnaires », un peu trop présomptueux. Le lendemain,
100 000 ouvriers défilent des Tuileries à l’Hôtel de Ville pour la défense de la République et font un triomphe au Gouvernement provisoire. Un mois
plus tard, retournement complet de la situation. Les élections à l’Assemblée constituante, primitivement fixées au 9 avril, ont été reculées au 23 sous la pression des clubs, conscients de la réaction conservatrice, qu’alimentent le mécontentement devant la dégradation de la situation économique et la peur du désordre. Les révolutionnaires veulent une nouvelle prorogation et lancent la journée du 16 avril. Échec complet. Quelques milliers d’ouvriers sont noyés au milieu d’une foule hostile de gardes nationaux mobiles et de leurs camarades des ateliers nationaux, soigneusement mis en place par Ledru-Rollin. Le gouvernement prend dans les jours suivants une grave décision : l’armée, exilée de Paris depuis février, rentre dans la capitale pour faire face à des affrontements plus sérieux, que bien des républicains dits « modérés »
appellent de leurs voeux.
Le climat préélectoral est inquiétant.
La crise financière s’aggrave. Louis Antoine Garnier-Pagès (1803-1878),
nouveau ministre des Finances, se heurte au « mur d’argent ». Les mesures prises pour relancer le crédit, en multipliant les comptoirs d’escompte en province, sont limitées par l’obstruction des possédants et des milieux d’affaires. L’encaisse de la Banque de France diminuant chaque jour, on décrète le 15 mars le cours forcé des billets et, pour trouver des ressources, un supplément d’impôt de 45 centimes par franc (18 mars). Compte tenu du système fiscal alors en vigueur, c’est faire peser la charge sur la paysannerie, déjà durement atteinte par la crise.
Ledru-Rollin entend contrecarrer l’action des notables. Pour stimuler le zèle républicain, il crée des « commissaires de la République » en province, initiative malheureuse qui aboutit au résultat inverse. Bien des commissaires ne sont que de maladroits agitateurs, dont l’activité désordonnée et l’autoritarisme verbal n’aboutissent qu’à semer la panique. De véritables émeutes sont déclenchées contre eux. Le jeu du ministre de l’Intérieur, qui se veut subtil, divise les forces démocratiques sans affaiblir les conservateurs.
D’un côté, il appuie en secret les légions de révolutionnaires étrangers, comme les Voraces lyonnais
qui attaquent en Savoie, avec un total insuccès d’ailleurs, au début d’avril.
De l’autre, il tisse de multiples intrigues pour déconsidérer les clubistes parisiens en prêtant la main à des manoeuvres antisocialistes, dont son collègue Louis Blanc est la première victime.
Le 23 avril 1848, le peuple français se prononce en envoyant à l’Assemblée une puissante majorité conservatrice.
Sur 880 sièges, 600 environ reviennent à un bloc de modérés, républicains du lendemain pour la plupart, farouchement antisocialistes. Lamartine, élu dans 10 départements et en tête à Paris, triomphe. Derrière viennent les royalistes, essentiellement légitimistes, avec 200 sièges. C’est la première revanche des vaincus de 1830
(Pierre Antoine Berryer, le comte Fré-
déric de Falloux) ou de février 1848
(Odilon Barrot, Armand Dufaure).
Enfin, une centaine de démocrates et de socialistes, les grands perdants des
élections. La majorité de leurs listes, à commencer par celle du Luxembourg, est écrasée. Blanqui, F. V. Raspail*
sont largement battus. Louis Blanc est élu de justesse. Le résultat est clair.
Classes possédantes et paysannerie ont assuré le triomphe d’adversaires déterminés de la démocratie sociale et le succès d’adversaires de la République tout court.
Le Gouvernement provisoire cède la place à une Commission exécutive de cinq membres (10 mai). La nouvelle Chambre fait un choix significatif en n’élisant que les membres les plus modérés de l’ancien gouvernement
(Lamartine, Garnier-Pagès et Marie).
Elle veut écarter Ledru-Rollin et ne cède qu’à contrecoeur aux instances de Lamartine. Le nouveau ministère désigné par cette commission est à l’image de la majorité. Adrien Recurt (1798-1872) remplace Ledru-Rollin à l’Intérieur. Le ministère de la Guerre est confié à un homme à poigne, le gé-
néral Cavaignac (1802-1857), rappelé d’Algérie. La Constituante est bien dé-
cidée à mettre au pas les démagogues.
Elle refuse la création d’un ministère du Progrès, réclamé par Louis Blanc, et la modification de la loi sur les associations. Une agitation se déclenche en province, suscitée par les classes populaires exaspérées par les mauvais résultats des élections. À Rouen, les 27
et 28 avril, les quartiers ouvriers sont canonnés. Le 15 mai à Paris, les clubs manifestent contre la politique de non-intervention en faveur des révolutions européennes. La Chambre est envahie, sommée d’abord d’aider la Pologne*, puis de créer un impôt sur la fortune.
Dans un désordre invraisemblable, le meneur de cette action, un provocateur, Aloysius Huber (1815-1865), décrète la dissolution de l’Assemblée.
Armand Barbès, Blanqui et Raspail, pleinement inconscients, entraînent la foule à l’Hôtel de Ville et forment un gouvernement. Faute capitale. La garde nationale et l’armée nettoient le palais municipal et arrêtent les chefs clubistes, qui se sont mis eux-mêmes hors la loi. L’opinion est scandalisée par ce sacrilège commis à l’égard de la repré-
sentation nationale. Il est temps d’en finir. C’est ce que pense la majorité des Constituants, en particulier les roya-
listes, qui viennent, à la faveur d’élections complémentaires, de retrouver un leader, Thiers. La réaction attaque le downloadModeText.vue.download 33 sur 621
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 17
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ministre des Finances, Eugène Duclerc (1812-1888), auteur d’un projet de loi sur la nationalisation des chemins de fer et l’embauche des ouvriers sur les chantiers ferroviaires. L’assaut est donné aux ateliers nationaux, qui comptent plus de 100 000 inscrits à la fin de mai. Le 21 juin, un décret prononce leur dissolution de fait. La brutalité de la mesure, assortie de modalités inacceptables (« l’armée ou la Sologne »), renforce la thèse de la provocation délibérée. La réponse du prolétariat parisien, c’est l’insurrection du 23 au 26, les sanglantes journées de juin, noyées dans le sang par Cavaignac, muni des pleins pouvoirs.
Quelques soulèvements locaux à Marseille et à Lyon sont brisés. Mais la République a reçu un coup dont elle ne se relèvera pas.
La mise en place
des institutions
(juill.-déc. 1848)
Le retour à la paix intérieure se fait attendre. Le marasme économique
persiste, et, si une certaine reprise se fait sentir ici ou là dans l’industrie, le bâtiment est toujours au point mort.
Le mécontentement se déplace en province, en particulier dans la paysannerie. Les prix agricoles sont encore bas, et les 45 centimes, que l’on s’est gardé d’abroger, suscitent de violentes manifestations, qu’exploitent de nouveaux venus sur la scène politique, les bonapartistes. Louis Napoléon Bonaparte, en effet, élu en juin, a renoncé provisoirement à son siège. Il mène néanmoins en secret une action souterraine, recrutant des partisans et nouant de multiples relations. La tension qui persiste favorise la propagande des hommes d’ordre, regroupés dans le comité de la rue de Poitiers, d’obédience monarchiste. Cavaignac et ses amis du National, maîtres du gouvernement de-