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gner, Goethe* aussi avec son Götz von Berlichingen avaient trouvé le même public. Le Karl Moor de Schiller sut l’enflammer.

Le duc de Wurtemberg comprit le

danger de cet enthousiasme et fit interdire à Schiller de publier quoi que ce fût sans son autorisation. Il ne lui avait pas échappé que cette pièce visait son autorité. Ainsi l’entendit aussi à Paris l’Assemblée législative quand, en 1792, elle fit Schiller citoyen d’honneur, après avoir entendu l’éloge des Brigands.

La réponse de Schiller à son souverain maître fut de fuir le Wurtemberg, un jour de septembre 1782, en compagnie d’un ami sûr, le musicien Andreas Streicher (1761-1783). Alors commença une vie errante et parfois misé-

rable d’où Schiller devait être tiré par la générosité de plusieurs de ses amis.

C’est dans la solitude et la fièvre que Schiller, libre et fort de cette seule liberté aussi longtemps qu’il ne reverrait pas le Wurtemberg, a écrit ses pièces des années suivantes. La Conjuration de Fiesque à Gênes (Die Verschwörung des Fiesko von Genua, 1783) est plus politique et plus radicale encore que la première. Le républicain Fiesque, aussi passionné que Moor, est plus conquérant, plus seul aussi, car il ignore délibérément ce qui n’est pas sa foi : « Solitaire et inconnu, il engendre un monde [...] il roule dans son coeur ardent des plans titanesques. » Il complote pour la liberté et serait capable de faire sauter le monde.

En 1784, deux ans après les Bri-

gands, le théâtre de Mannheim donnait Intrigue et Amour (Kabale und Liebe), drame dont le décor et les personnages sont ceux d’une résidence princière de l’époque, où on voit s’opposer un monde aristocratique, cynique à la famille de l’honnête musicien Miller.

Luise Miller est aimée de Ferdinand, jeune officier honnête, mais le président Walter, père de celui-ci, monte contre eux une intrigue meurtrière où ils périssent l’un et l’autre. La scène la plus célèbre, et la plus audacieuse, de la pièce dénonce le commerce que faisaient alors certains princes allemands

en recrutant de force des hommes vendus ensuite au roi d’Angleterre pour ses troupes coloniales. Dénonciation demeurée fameuse parce qu’elle fut la seule sur la scène allemande et qu’elle est dite avec une éloquence émouvante dont les pièces de Schiller ont toutes gardé la marque. Le drame bourgeois allemand avait trouvé son expression achevée. Avec les Brigands, c’est la pièce qui a gardé la faveur des metteurs en scène du XXe s.

L’hymne à la joie

Le théâtre, même après deux succès, n’assurait à Friedrich von Schiller qu’une existence très précaire. Au lendemain de sa fuite, il avait accepté de se réfugier dans un village de Thuringe perdu dans les bois et de vivre dans une ferme que lui offrait la mère d’un de ses condisciples : Karoline von Wolzogen.

En 1785 se produisit le tournant de sa vie, grâce à un lecteur de ses drames devenu son ami, Christian Gottfried Körner (1756-1831). La famille Körner offrit à Schiller une maison et un soutien, d’abord à Gohlis près de Leipzig, puis à Loschwitz près de Dresde.

Avec Körner commençait une

longue amitié : jusqu’à la mort du poète, Körner n’a jamais cessé de lui écrire, de l’écouter et de l’aider. Dans l’existence de Schiller révolté contre tout ordre despotique, l’amitié d’êtres libres a joué plusieurs fois un rôle dé-

terminant. Cet homme assoiffé d’indé-

pendance a trouvé le soutien d’amitiés exceptionnelles. En 1790, il devait accepter une pension du duc d’Augus-tenberg, qu’il n’avait jamais vu, mais qui s’était alarmé à la nouvelle de la maladie du poète.

À Gohlis, dans la maison de Kör-

ner, Schiller vivra dans un milieu bourgeois, cultivé, sans faste, avec des échanges amicaux incessants qui lui donneront comme l’image d’une communauté vraiment humaine, d’une utopie idyllique d’hommes occupés de science, de beauté et d’harmonie. Plus tard, cet idéal, celui de gens de bien, groupés dans une ville de dimensions modestes, devait reparaître dans la politique comme dans la philosophie morale de Schiller à Weimar. Le bonheur nouveau de se trouver en com-

munion avec ses contemporains, sans autres liens que ceux d’amitiés désintéressées, inspirait à Schiller, en 1785, l’Hymne à la joie (An die Freude), qu’on appelle aussi Hymne de Gohlis, sur lequel Beethoven* devait composer le final de sa neuvième symphonie.

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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 17

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Assuré désormais contre la soli-

tude et la gêne, Schiller exalte l’amitié, le dévouement pour l’humanité, le triomphe de l’association contre les tyrans et les lâches. La violence agressive de son verbe s’estompe, la nature oratoire de son génie apparaît mieux ainsi que cet optimisme exigeant qui ne se sent lui-même que dans l’enthousiaste dévouement à l’idéal. Le discours de Schiller, d’abord brutal et directement provocant, devient hymne, ode, bientôt dithyrambe et toujours s’attache à exalter et transformer le réel. L’esthé-

tique idéaliste commence à se former.

Schiller renonce à l’action directe, prend les chemins de la rhétorique, de la métaphore, du rythme de la ballade et du drame. L’amitié de Körner et des siens efface le souvenir du duc Charles Eugène — « vieil Hérode », dit de lui le poète au moment de sa mort, en 1793.

« Don Carlos »

Au théâtre, la transformation a été marquée par Don Carlos, publié en 1787. Ce drame politique à la cour d’Espagne est aussi une tragédie de la liberté, mais une tragédie « optimiste », c’est-à-dire ouverte sur l’avenir.

De l’histoire, Schiller retient l’anecdote de Carlos, jeune prince généreux révolté contre son père Philippe II, qui vient d’épouser une jeune princesse de France dont l’infant était épris. Il y a de quoi écrire un drame sombre, complexe et meurtrier à la manière de Shakespeare, ce que Schiller aurait fait sans doute quelques années plus tôt. Pendant qu’il y travaille, dans sa retraite de Bauerbach, les perspectives ont changé, l’intérêt s’est porté sur les idées et les révolutions. Schiller, en qui grandit l’historien, se prend d’intérêt

pour les courants politiques et les idées qui les ont menés. L’esprit de tolérance opposé à l’Inquisition, la liberté des Flandres qui va secouer le despotisme de Philippe II lui apparaissent comme les linéaments de la libération par ces dernières en même temps que le retour au « droit naturel ». Don Carlos devient un sujet politique.

L’intrigue amoureuse y demeure

— elle y est même double —, mais le plus souvent dans la coulisse et, quand elle est sur scène, elle ne peut faire oublier tout à fait la politique. Car le personnage principal, autant que Carlos ou Philippe son père, est devenu le marquis de Posa, une invention de Schiller : noble dévoué au bien public, animé par l’amour des hommes, sans peur et sans reproche, Posa voudrait faire de Carlos, son élève, le modèle des souverains humanistes. De tous les personnages de Schiller, il est probablement le plus proche de ce que le poète lui-même aurait rêvé d’être.

Chevalier de Malte et grand d’Es-

pagne, Posa aurait été citoyen du monde et franc-maçon au siècle de Lessing et de Schiller. Brave comme le Cid ou comme Bayard, défenseur des libertés flamandes comme le comte d’Egmont, il est aussi un disciple de Rousseau : il veut redonner aux hommes, rendus à la liberté, leur visage altéré par la servitude, l’hypocrisie, la superstition. Mais ce n’est pas un rêveur et il va droit chez le roi lui réclamer la liberté pour les opprimés, de sorte que ce personnage fait de Don Carlos une pièce politique, la seule où se soit exprimée, à la veille de 1789, une génération qui était en même temps « éclairée » et rousseauiste.

Don Carlos est une pièce trop compliquée. Schiller l’a reconnu quand il l’a comparée à l’Egmont de Goethe, écrit au même moment et dont le plan est bien mieux tracé. Les personnages ont de la couleur ; ceux de Schiller ont du feu et une éloquence qui les dévore.