Mais le personnage le plus intéressant est celui sur qui va s’abattre le destin tragique et qui ne peut plus rien, car il a mis en route la machine qui va le broyer. C’est à Max que Wallenstein se confie dans une scène centrale (I, III), où il expose en termes pathétiques et profonds le déterminisme de l’action.
Celui qui voulait exercer le pouvoir tout en demeurant libre va périr : la puissance aliène celui qui la détient.
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 17
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Wallenstein a envoyé un homme sonder les Suédois ; il a été pris par les agents de Vienne ; bien qu’il n’ait pu encore traiter, nul ne peut imaginer que le général en chef voulait seulement s’informer, il est perdu aux yeux de tous, sauf à ceux de Max Piccolomini, qui est un soldat sentimental, sans peur et sans faille. Celui-ci chargera une dernière fois à la tête de ses cuirassiers.
Lui aussi s’en remet au destin, comme Wallenstein, qui avait voulu demeurer libre d’agir et qui a été écrasé par la logique tragique de l’histoire.
Il s’agit d’une pièce pessimiste, aux antipodes de Don Carlos, où le personnage du marquis de Posa réalisait au contraire l’union de l’action et de la liberté dans une conscience heureuse, sans division. De sorte que la mort de Posa est glorieuse, alors que Wallenstein meurt déchiré : sa tragédie est l’agonie de la liberté. Les hommes se
croient libres et ils sont déterminés ; plus ils seront ambitieux, plus amère sera leur déception. C’est de la Révolution française que Schiller avait tiré cette leçon : il y avait aperçu le jeu de forces aveugles et tragiques. Wallenstein réfléchit sur une liberté perdue, sur un divorce qu’il voit sans remède entre l’histoire et la volonté libre. Au moment où, dix ans après Don Carlos et immédiatement après la Terreur, le poète désespérait de la liberté, il compose, logiquement, cette pièce magnifique, pesante aussi par son ampleur et qui décrit un moment sans espoir de l’histoire des pays allemands. Mais Schiller donnera encore, avant dix ans, un grand poème dramatique sur la liberté avec Guillaume Tell.
« Marie Stuart »
Entre-temps, deux héroïnes tragiques ont occupé son imagination : Marie Stuart et Jeanne d’Arc. Leurs vies ne se ressemblent pas, mais leurs morts sont également tragiques.
Marie Stuart est la plus classique des pièces de Schiller, puisque toute son action tient dans les derniers jours de la reine malheureuse. En prison, environnée de menaces, celle-ci revient sur son passé, qu’elle confie par allusions. Elle ne nie pas que ses passions l’ont égarée ; elle espère retrouver le droit de vivre en paix. Autour d’elle, amis et ennemis s’emploient et s’affrontent ; elle ne détermine plus rien ; les conséquences du passé se déroulent seulement autour d’elle. Frère de Max Piccolomini, sorti de l’imagination idéaliste de Schiller, le jeune Mortimer la touche, mais elle ne peut plus être sauvée. Schiller avait, à coup sûr, une prédilection pour ces soldats jeunes et sans tache, aussi blancs et plus simples que le prince de Hombourg de Kleist*.
Dans un dernier aveuglement, Marie Stuart va se jeter aux pieds de la reine, pour lui raconter une vie qui est celle de tous les héros malheureux de Schiller : elle a été gâtée par le monde, elle voudrait échapper aux astres malé-
fiques et à la fin elle écoute les conseils de sa nourrice pour retrouver la paix du coeur. Elle est l’implication tragique de toute vie ardente ; le temps
de la passion, celui de l’ambition sont également tragiques. Pour échapper, il faut mourir. N’y échappent vivants que ceux qui sont assez simples pour passer à travers le feu, sans que leur visage ni leur âme n’en soient marqués. Posa, Max entrent dans la mort comme ils avaient vécu.
Avec beaucoup de poésie, la Marie Stuart de Schiller, frivole en vérité et chrétienne, jusqu’au bout supersti-tieuse, est finalement exaucée. Il est possible que le poète se soit souvenu de la Phèdre de Racine, mais l’héroïne de Schiller a plus de naïveté. Sa victoire finale est, au demeurant, tout intérieure : « Les mauvais triomphent, mais l’innocence et la noblesse d’âme demeurent un bien absolu. » Consolation et certitude que n’avait pas eues Wallenstein mourant.
« la Pucelle d’Orléans »
Vue par Schiller, Jeanne d’Arc n’est pas, non plus, à l’abri de la faute et c’est probablement pourquoi la pièce a été souvent mal comprise. Mais elle est bien trop idéaliste, d’autre part, pour pouvoir satisfaire Bernard Shaw, qui avait étudié l’histoire de plus près que Schiller, sans, pour autant, comprendre le personnage de Jeanne d’Arc.
Schiller a voulu, d’abord, venger la mémoire de son héroïne contre les gau-loiseries de Voltaire. En un temps où les Français l’avaient oubliée, c’est un poète de Weimar qui est allé sortir, de la légende autant que de l’histoire, la figure de la bergère de Domrémy.
Il la montre d’abord dans son pays natal, avec son attachement aux prairies de la Meuse et au bois du coteau, au milieu de ses parents, des gens de Vaucouleurs et des villages alentour.
Quand elle va quitter ce coin de terre, elle est douce et déterminée, presque comme la Jeanne de Charles Péguy.
C’est que Schiller, le premier, lui a fait incarner l’amour du pays et de la patrie, alors qu’en France on disputait sur la réalité des voix et sur les torts des évêques. Schiller, historien et prophète à la fois, avait mesuré l’unicité du personnage, sorti du Moyen Âge avec une conscience toute moderne du
génie national ; de sorte que la Pucelle d’Orléans mérite d’être appelée une allégorie poétique : Schiller, lui, l’appelait une tragédie romantique.
Il entendait par là que le décor, les personnages et les péripéties empruntées au Moyen Âge lui avaient paru convenir au roman de chevalerie et qu’il ne fallait pas y chercher trop d’exactitude. Il a usé ici de la liberté d’invention du poète, et de plusieurs façons. D’abord avec le personnage du chevalier noir que Jeanne rencontre dans les rangs anglais, qu’elle épargne alors qu’elle le tient au bout de sa lance, car elle a été touchée par son regard. Péripétie inventée puisque Jeanne d’Arc allait au combat avec une oriflamme et non une lance ou une épée, mais dont le sens est clair : faire naître en elle la division de la conscience. Elle est, par là, infidèle à sa mission, qui était de combattre, et accessible à la faiblesse de la chair, puisqu’elle a été touchée par la beauté du mystérieux ennemi.
Alors, elle se met à douter d’elle-même, elle est abandonnée par l’inspiration, le Ciel n’est plus avec elle : elle se laissera prendre et on la retrouve, au dernier acte, enchaînée. Prisonnière douloureuse, elle est retombée dans la destinée commune. Quand elle avait accepté sa mission, elle avait aussi conquis la liberté, en se donnant à l’idéal ; elle cessait alors d’être soumise aux contraintes du sort humain.
Sur le champ de bataille, elle valait, à elle seule, les meilleures armées, car elle était l’âme même du combat ; la pure flamme de l’esprit à laquelle rien ne résiste.
Elle le redevient, d’un coup, quand, du haut de la tour où ses gardes la tiennent, elle aperçoit au loin, dans la mêlée, les bannières de France parmi ceux qui viennent à son secours. Tout renaît alors en elle, la certitude et la force, ses chaînes tombent d’elles-mêmes ; ses gardes sont paralysés comme les gardiens du sépulcre à la ré-
surrection. Elle se jette dans la mêlée et y meurt. Mais qu’importe puisqu’elle a été, tout comme le marquis Posa, heureuse de mourir, redevenue elle-même, libre, et sans tache, incarnation de l’amour de la patrie. Elle a échappé au