monde déterminé, elle est libre comme tout ce qui est de l’esprit, elle renaît en se sacrifiant, elle entre aussi dans le souvenir des générations à venir. Peut-
être Schiller, évoquant Jeanne d’Arc, pensait-il déjà à la lutte patriotique contre l’occupant.
Destin et liberté
Après la Pucelle d’Orléans, Schiller écrit une pièce qui ne s’est jamais imposée sur la scène et qui représente dans son oeuvre comme un essai formel dans la direction de la tragédie antique : la Fiancée de Messine, où il retrace l’histoire d’une lutte fratricide en Sicile au temps des rois normands. C’est un drame de la destinée (Schicksalsdrama) comme c’était alors la mode en Allemagne, avec intervention d’un oracle et surtout d’un choeur.
La pièce est précédée d’un essai : Sur l’emploi du choeur dans la tragédie, qui veut justifier la résurrection d’un moyen scénique destiné, selon Schiller, à rehausser la poésie du drame et à mieux disposer le spectateur à recevoir les messages mystérieux de la destinée.
La pièce est d’une très haute tenue, dans une langue dépouillée, harmonieuse ou violente suivant les scènes.
Mais cette résurrection d’un théâtre à la manière de Sophocle demeure sans vie véritable : ce sujet médiéval, traité à l’antique, est demeuré une tentative unique.
Avec Guillaume Tell au contraire, Schiller, poursuivant la voie ouverte par la Pucelle d’Orléans, fait entrer en scène l’idée de nation. Ce n’est pas la nation allemande ; mais le sens politique de la pièce n’en est pas moins évident, c’est celui d’un grand poème de la liberté.
L’histoire des Suisses des cantons anciens (Urkantone), conjurés pour mettre fin à l’oppression étrangère, offrait à Schiller un sujet et des personnages propres à incarner la liberté, non plus cette fois vue du dehors comme dans Wallenstein, mais en action. Les conjurés du Rütli sont, pris ensemble, le peuple tel que Schiller voulait qu’il fût, et Tell lui-même ne cesse guère d’être le porte-parole du poète.
La pièce est construite autour d’une question de morale civique et politique : est-il légitime de prendre les armes, au risque de tuer, pour sauver sa liberté ? Tell y répond dans son monologue de l’acte IV (sc. III) et dans sa discussion avec Jean le Parricide. Il sera le modèle de l’insurgé, qui n’agit que quand il est sûr d’être justifié et pour défendre les biens les plus sacrés.
Sa justification dernière est la pureté du coeur : il dialogue avec l’Être suprême, dans la solitude de la montagne et de sa conscience.
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 17
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Comme Jeanne d’Arc, il est
conscience de son peuple, mais il reste toujours maître de lui. Il se soumet à l’épreuve inhumaine que lui impose le bailli Gessler pour s’assurer qu’il ne tuera pas sous l’empire immédiat de la colère ; il accepte une sorte de jugement de Dieu avant de se faire lui-même justicier. En lui, pourtant, il n’y a pas de place pour le doute, il n’est à aucun moment divisé contre lui-même ; c’est un homme sans faille, comme était aussi Posa, mais porté par la confiance de ses concitoyens, uni à tout moment et heureusement à son peuple.
Mais il n’était pas présent à la rencontre de Rütli et il n’a pas prêté le serment des conjurés pour conserver toute sa liberté et ne jamais céder aux emportements collectifs. On voit là quelle conception hautement idéaliste Schiller avait d’un héros national.
Guillaume Tell donnait par avance une réponse aux questions que les étudiants de Berlin allaient poser en 1808
au philosophe Fichte* pour savoir s’il était moralement légitime de conspirer contre l’occupation étrangère. Comme les conjurés suisses, Fichte répondait qu’un peuple qui conquiert sa liberté défend en même temps sa propre cause et celle de l’humanité. Les Suisses de Guillaume Tell, entre les Français de 1793 et les Discours à la nation allemande, avaient déjà donné leur ré-
ponse : « Plutôt mourir que vivre dans
la servitude. »
Avec cette pièce, Schiller se rapprochait d’un public populaire, il tendait à sortir du cadre des cercles cultivés, des hommes qui auraient reçu l’éducation esthétique weimarienne. Il avait retrouvé quelque chose de sa jeunesse, surtout il donnait l’image du monde où il serait heureux. Mais il y avait aussi la jeunesse héroïque, l’élan vers l’avenir qui est un trait foncier, inaltérable de sa nature comme de son oeuvre. Tell a été créé à Weimar le 17 mars 1804, puis donné aussitôt sur plusieurs autres scènes, en particulier à Berlin le 4 juin, avec si grand succès que Schiller fut invité à venir s’installer dans la capitale prussienne. Il mourut moins d’un an plus tard, le 9 mai 1805.
P. G.
F Goethe / Kant / Romantisme.
F. Mehring, Schiller (Leipzig, 1905). /
R. d’Harcourt, la Jeunesse de Schiller (Plon, 1929). / H. Cysarz, Schiller (Halle, 1934). / E. Ton-nelat, Schiller (Didier, 1935). / R. Buchwald, Schiller (Leipzig, 1937 ; 2e éd., Wiesbaden, 1953-54, 2 vol.). / B. von Wiese, Friedrich Schiller (Stuttgart, 1959). / R. Cannac, Théâtre et révolte. Essai sur la jeunesse de Schiller (Pavot, 1966). / E. Staiger, Friedrich Schiller (Zurich, 1967). / V. Hell, Schiller. Théories esthétiques et structures dramatiques (Aubier, 1974).
Schinkel
(Karl Friedrich)
Architecte allemand (Neuruppin 1781 -
Berlin 1841).
Il fut, avec l’Anglais Soane*, un des plus brillants représentants de l’académisme international, participant à la fois du néo-classicisme (v. classicisme) et du romantisme* ; mais les destructions de 1945 ont anéanti la meilleure part de son oeuvre et il n’est plus possible d’en juger d’une manière équitable.
Fils d’un petit fonctionnaire, orphelin à six ans et fixé avec sa mère à Berlin, Schinkel entre en 1798 dans l’atelier d’un visionnaire à la Ledoux, Friedrich Gilly (1772-1800) ; à son exemple, il sera peintre autant qu’ar-
chitecte, passionné de compositions historiques, de paysages composés.
Le maître prématurément disparu,
Schinkel part pour l’Italie, s’attarde en Bavière, en Istrie, en Sicile, réunit une masse de croquis et d’études allant des ruines antiques aux châteaux arabes.
Moisson précieuse, car les revers de la Prusse vont interdire toute construction durant les dix années qui suivront son retour (1805) ; l’artiste devra se consacrer à des décors d’intérieurs, des panoramas ou des dioramas de Taormina et de Palerme. Il y gagnera au moins une incomparable habileté dans la composition des lignes et des masses, et dans leur accord avec l’environnement.
S’il est fortement imprégné de la philosophie de Fichte*, Schinkel n’a pas de titre académique ; et il lui faudra l’artifice d’une exposition sonorisée de ses tableaux pour obtenir la protection de la reine Louise, devenir en 1810 assesseur, puis membre (1815) du Conseil des bâtiments. Pour longtemps encore, il doit se borner à imaginer des décors d’opéras gothiques ou byzantins, participer même aux modèles d’art industriels publiés par son ami P. C. W. Beuth (1781-1853).
Quand la Prusse retrouve sa puis-
sance, Schinkel, nommé architecte de l’État, va l’exprimer dans une suite de monuments berlinois. D’abord
un prétoire militaire, la Neue Wache (1816-1818) dans Unter den Linden, cette voie bornée par la porte de Brandebourg où, dès 1788, Carl Gotthard Langhans (1732-1808) avait amorcé le retour à l’antique et un urbanisme que Schinkel va étendre à des rues entières, des entrées et un pont. Dans le même temps, il effectue des transformations à la cathédrale (1816-1821) et réalise le théâtre royal (1818-1821, refait en 1968), où le jeu des volumes est habilement composé en accord avec le site.
Enfin, de 1822 à 1830, c’est l’Altes Museum, galerie ionique autour d’une sorte de panthéon accessible par un portique original. Si on se contente alors en France d’aménager le Louvre, le musée est pour l’académisme germanique une sorte de sanctuaire ; la glyp-tothèque et l’ancienne pinacothèque