Bientôt, les controverses christo-logiques vont provoquer le schisme d’Acace, sous les empereurs Zénon et Anastase (484-519), puis le schisme monothélite (638-681) [v. monophy-sisme], suivi de ceux qui seront provoqués par l’iconoclasme (726-787 ; 813-843) [v. Isauriens (dynastie des)]. Derrière ces dissensions, dans lesquelles la politique des empereurs byzantins joue un rôle prédominant, se dessinent des causes plus profondes de mésentente.
Depuis le règne d’Héraclius (610-641), la connaissance du latin a presque totalement disparu dans le monde byzantin ; il y a longtemps déjà — dès le début du Ve s. — que le grec est à peu près ignoré en Occident. Surtout, en raison des situations politiques, économiques et culturelles de plus en plus différentes, la discipline ecclésiastique évolue différemment dans les chré-
tientés latines et byzantines : quand le concile quinisexte (ou in Trullo, 691-92) codifie la discipline byzantine, celle-ci apparaît sur bien des points incompatible avec les usages de l’Occident. Les deux fractions du monde chrétien deviennent de plus en plus étrangères l’une à l’autre et l’on peut avec le P. Yves Congar parler d’un progressif estrangement.
L’affaire du « Filioque »
et la crise photienne
(866-890)
La reconstitution par le pape Léon III d’un Empire romain d’Occident en
faveur de Charlemagne (800), si elle ne soulève pas au départ de protestation de la part de Constantinople, n’en provoque pas moins à plusieurs égards une aggravation des tensions déjà existantes. Trois faits, bien différents, vont jouer un rôle de plus en plus important.
y Dès 794 (concile de Francfort), Charlemagne, avec l’approbation de Léon III, impose le chant du Credo de Nicée-Constanlinople avec l’incise Filioque (et du Fils) dans la phrase qui traite de l’origine (procession) du Saint-Esprit. En 807, après un voyage de leur abbé à Aix-la-Chapelle, les moines latins du mont des Oliviers à Jérusalem adoptent cet usage, que les Grecs leur reprochent
comme une inacceptable innovation.
Dans la controverse qui s’ensuit, ils ont la maladresse de reprocher aux Grecs d’avoir supprimé frauduleu-sement cette incise et les accusent d’hérésie. Il ne semble pas que, sur le moment, cette affaire ait eu de graves conséquences.
y Mais l’insertion du Filioque va rebondir dans le cadre autrement
complexe de la crise photienne. Au départ, il y a l’élévation au siège patriarcal de Constantinople d’un haut fonctionnaire impérial, Photios (858), Ignace, le patriarche légitime depuis 847, ayant été contraint d’abdiquer sous la pression de Bardas, oncle et ministre du faible empereur Michel III. Ignace ayant fait appel à Rome, le pape Nicolas Ier (858-867) convoque un synode qui réduit à l’état laïque le « patriarche intrus » (avr.
863), puis, devant son refus d’obtem-pérer, écrit à Michel III une longue lettre affirmant la primauté romaine (sept. 865). Photios ripostera bientôt dans une « encyclique aux patriarches orientaux » (été 867) et fait déposer et anathématiser le pape Nicolas par un synode, qu’il qualifie de concile oecuménique. Parmi les hérésies repro-chées au pape et aux Latins figure au premier rang l’insertion du Filioque.
Vers la fin de sa vie, Photios — qui, finalement déposé au concile de 869
et rétabli sur son siège patriarcal après la mort d’Ignace (877), abdique définitivement en 886 — développera sa propre théologie sur la procession du Saint-Esprit dans sa Mystagogie du Saint-Esprit (entre 886 et 890).
y Ces divergences doctrinales — du moins quant aux formulations — ne se seraient sans doute pas aussi gravement exacerbées si n’était venu interférer avec elles un lourd contentieux de politique ecclésiastique. Celui-ci prend origine dans la décision de l’empereur Léon III l’Isaurien et de Constantin V Copronyme (sans
doute en 732-33) de soumettre à la juridiction du patriarcat de Constantinople les évêchés de l’Illyricum oriental (Balkans) qui constituaient jusqu’alors un vicariat du patriarcat romain. La question rebondit avec l’adhésion au christianisme (v. 865)
du khanat bulgare, qui s’était implanté dans ces régions. Désireux de constituer une Église nationale, le khān Boris (852-889), qui, sous le nom de Michel, a reçu le baptême de missionnaires byzantins, se tourne un moment vers Rome, et Nicolas Ier répond à ses questions en exposant la discipline romaine. Ce sont préci-sément ces réponses qui provoquent l’encyclique de Photios et l’anathème qu’il lance en 867 contre Nicolas Ier.
Les événements de 1054
La dislocation de l’Empire carolingien et l’affaiblissement de la papauté mettent en sommeil durant plus d’un siècle les dissensions entre Rome et Constantinople ; elles vont réapparaître et se durcir à l’extrême au milieu du XIe s. Peut-être faudrait-il accorder plus d’importance qu’on ne l’a fait à une rupture provoquée vers 1028 par le refus du pape Jean XIX (1024-1032) de reconnaître le titre d’« oecumé-
nique » au patriarche de Constantinople. Mais ce sont les raideurs et les maladresses réciproques du patriarche Michel Keroularios — ou Cérulaire —
(1043-1059) et du cardinal Humbert de Moyenmoutier († 1061), légat du pape alsacien Léon IX (1048-1054), qui provoqueront l’irréparable. Au départ, il y a une futile querelle provoquée par le refus d’un condottiere d’origine lombarde, Argyros, gouverneur de l’Italie byzantine, d’abandonner le rite latin et l’usage du pain azyme pour la communion. Keroularios y voit, comme dans l’usage latin de jeûner le samedi, des signes d’hérésie judaïque. Au début de 1053, il fait fermer les églises latines de Constantinople et pousse l’archevêque bulgare d’Ohrid, Léon, à dénoncer dans un violent manifeste les héré-
sies latines.
Mais, à la suite d’une défaite d’Argyros par les Normands qui affaiblit les positions byzantines en Italie, Keroularios lui-même tente une réconciliation avec Léon IX. Malheureusement, le se-crétaire du pape, le cardinal Humbert, homme érudit et connaissant le grec, mais altier et intransigeant, rédige une réponse cassante au manifeste de Léon d’Ohrid. Or, c’est lui qui est choisi comme chef de l’ambassade envoyée
en 1054 à l’empereur Constantin IX
Monomaque en vue d’une alliance
contre les incursions normandes. Dès la première entrevue avec le patriarche, une contestation protocolaire prend de part et d’autre figure d’offense personnelle. Surtout, le ton de la lettre remise au nom de Léon IX fait considérer celle-ci par Keroularios comme falsifiée sous l’influence d’Argyros. Enfin, Humbert publie une traduction grecque de sa Réfutation de Léon d’Ohrid, s’at-tirant ainsi une violente riposte d’un moine du Stoudios, Nicétas Stéthatos.
Humbert y répond en mêlant l’ironie à l’indignation et, bien maladroitement, reprend à l’égard des Grecs l’accusation d’avoir falsifié le Credo en supprimant le Filioque. L’empereur tente de s’entremettre ; Nicétas accepte de se rétracter (24 juin 1054), mais Michel Keroularios, se refusant toujours à une nouvelle entrevue avec les légats, ceux-ci, le 16 juillet, déposent solennellement sur l’autel de Sainte-Sophie une sentence d’excommunication du patriarche.
Or, Léon IX est mort en avril, et il est douteux qu’Humbert ait pu ignorer que sa légation se trouvait, de ce fait, inter-downloadModeText.vue.download 592 sur 621
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 17
9927
rompue ; on n’a d’ailleurs aucune trace que cette sentence ait jamais été confirmée par la suite. En fait, à la demande de l’empereur, les légats acceptent de retourner à Constantinople, qu’ils viennent de quitter le 18 juillet ; mais un accord ne peut être trouvé, Humbert et ses compagnons quittent définitivement la ville impériale, l’émeute gronde. Le 20 juillet, Michel Keroularios convoque le synode permanent et lance l’anathème contre « le libelle impie » et ses auteurs. La sentence est solennellement confirmée le 24 juillet à Sainte-Sophie. Le texte alors rédigé n’est en rien une rupture avec l’Église de Rome et son chef, mais un énoncé des erreurs multiples reprochées aux Latins ; quant à la suppression du nom du pape sur les « diptyques » de l’Église de Constantinople — signe traditionnel d’absence de communion