grâce à l’influence de son ami Richard Strauss*, professeur au conservatoire Stern de Berlin. Sa musique commence à être connue à l’étranger ; il est invité à conduire ses oeuvres à Amsterdam, à Londres, à Saint-Pétersbourg (1912). Il compose Pierrot lunaire (1912), qui le rendra célèbre.
Après Pierrot lunaire, Schönberg
entre dans une longue période de ré-
flexion. Il abandonne une symphonie, dont certains éléments seront utilisés dans l’oratorio l’Échelle de Jacob (1915-1917), lui-même inachevé. Pendant la Première Guerre mondiale, Schönberg est mobilisé une première fois en 1915-16, une seconde fois au cours de l’été 1917. Vers la fin de la guerre, il s’installe aux environs de
Vienne ; il enseigne de nouveau aux écoles Schwarzwald (1917-1920) et fonde l’Association d’exécutions privées d’oeuvres musicales.
À près de cinquante ans, Schönberg revient à la composition avec les Cinq Pièces pour piano (1920-1923). OEuvre historique, la cinquième pièce, Valse (1921), inaugure l’écriture dodécaphonique : la série est née (v. dodécaphonie ou dodécaphonisme). Schönberg confie à l’un de ses élèves : « J’ai fait une découverte qui assurera la prépondérance de la musique allemande pendant cent ans : celle d’une méthode de composition sur douze sons. »
En 1923, Schönberg perd sa femme.
Il se remarie, l’année suivante, avec Gertrud Kolisch. En 1925, il est nommé professeur à l’académie des arts de Berlin. Pendant toute cette période, il expérimente la série en quelques oeuvres pour le piano ou pour de petites formations instrumentales ou vocales.
Les Trois Satires op. 28 (1925), virulente attaque contre le néo-classicisme de Stravinski et de ses disciples, lui font, a noté Heinrich Strobel, beaucoup d’ennemis nouveaux. En 1927, il se sent assez sûr du bien-fondé de sa technique — Berg et Webern l’ont utilisée avec succès — pour entreprendre une oeuvre destinée au grand orchestre, qu’il avait abandonné depuis les Cinq Pièces de 1909. Ce sont les Variations op. 31, qui dominent cette période de reconstruction ; elles seront créées le 2 décembre 1928 sous la direction de Wilhelm Furtwängler (1886-1954).
La période heureuse que Schönberg vit à Berlin, jalonnée d’oeuvres moins importantes, mais aussi des esquisses de l’opéra Moïse et Aaron — que
beaucoup tiennent pour l’une de ses oeuvres majeures —, prend fin avec l’avènement du nazisme. D’origine juive, et bien qu’il ait été nommé à vie, Schönberg est, dès 1933, révoqué de ses fonctions à l’académie de Berlin.
Comme beaucoup d’autres artistes, il doit quitter l’Allemagne. Plutôt que de rentrer à Vienne, il préfère s’exiler.
Après un séjour à Paris, où, par solidarité avec ses frères persécutés, il se reconvertit au judaïsme (qu’il a abandonné en 1892 pour le protestantisme),
il se rend aux États-Unis. Il y professe, d’abord à Boston, puis à l’université de Los Angeles (1935-1944). Il devient citoyen américain en 1940.
Au cours de cette dernière partie de sa vie, assombrie, sur la fin, par la maladie, Schönberg ne se consacre pas seulement à la pédagogie, encore qu’il publie en 1942 Models for Beginners in Composition et, qu’en 1954 paraisse Structural Functions of Harmony. Le concerto pour violon op. 36 (1936), le quatrième quatuor op. 37 (1936), le Kol Nidre, op. 39 (1938), le concerto pour piano op. 42 (1942), le trio à cordes op. 45 (1946), les Psaumes modernes (1950) marquent ces années au cours desquelles Schönberg compose deux oeuvres « engagées » : l’Ode à Napoléon (1942), d’après un texte satirique de Byron, et Un survivant de Varsovie (1947), « épisode héroïque de la lutte des juifs polonais contre leurs exterminateurs ».
Arnold Schönberg meurt à Los An-
geles le 13 juillet 1951, laissant inachevés, outre Moïse et Aaron et l’Échelle de Jacob, les Psaumes modernes, dont il avait écrit lui-même les textes, reflets de ses préoccupations religieuses.
L’oeuvre
Par référence aux « manières » de Beethoven, on divise habituellement l’oeuvre de Schönberg en quatre « pé-
riodes ». La première manière — celle des oeuvres de jeunesse —, dominée par l’influence de Gustav Mahler* et de Richard Strauss et, au-delà, par celle de Wagner*, est incontestablement postromantique. C’est l’univers de Tristan et Isolde qui entoure la Nuit transfigurée, Pelléas et Mélisande et les Gurrelieder, comme il entoure les Kinder-totenlieder (Chants pour des enfants morts) de Mahler et comme il entourera encore les Quatre Lieder, op. 2, de Berg. La personnalité de Schönberg s’y exprime dans sa volonté d’aller au bout des fantasmes romantiques. Le poème symphonique s’insinue dans une oeuvre de musique de chambre ; l’ampleur colossale des Gurrelieder imite le gigantisme mahlérien de la Symphonie des Mille.
Au cours de la deuxième période —
celle où Schönberg fait preuve de la plus grande créativité —, des oeuvres très dissemblables sont élaborées : rien ne ressemble moins à Pierrot lunaire que la Symphonie de chambre. Le
musicien est entraîné par la dynamique de son langage en pleine transformation : peut-être à son corps défendant.
Il avouera, sur la fin de sa vie : « Il ne m’était pas donné de continuer dans la ligne des Gurrelieder ou de Pelléas et Mélisande ; le destin m’a imposé une voie plus dure ; néanmoins, mon désir de revenir à mon ancien style demeure toujours aussi vif ; de temps à autre, je cède à ce besoin. »
Pendant cette période se produit pour la première fois, dans les dernières pages du deuxième quatuor à cordes, la suspension des fonctions tonales, aboutissement inéluctable, semble-t-il, du style hyperchromatique issu de Tristan. C’est au contraire d’une réaction contre la sonorité trop opulente de l’orchestre romantique que va naître, dans les Cinq Pièces pour orchestre, op. 16, la « Klangfarbenmelodie »
(« mélodie de timbres »). Sur le plan vocal, Pierrot lunaire met en jeu un nouveau type de déclamation lyrique : le « Sprechgesang » (« mélodie parlée »). Enfin, bien que Schönberg reste fidèle aux formes classiques, il pousse très loin le principe de non-répétition des motifs et tend ainsi à une variation continue.
La troisième période est celle de la mise en oeuvre du système sériel, d’abord fragmentaire dans les Cinq Pièces pour piano, op. 23, et la Séré-
nade, op. 24, puis étendue, à partir du quintette à vent op. 26, à l’oeuvre entière. Le système sériel organise le
« chaos atonal » né des oeuvres précé-
dentes. À la hiérarchie des degrés, base du système tonal, il substitue l’égalité des douze sons du tonal chromatique, dont la succession est déterminée par un ordre, une série, que choisit librement le compositeur, sorte de code gé-
nétique qui préside à la conception de l’oeuvre. Schönberg n’aperçoit pas que la nouvelle syntaxe devrait engendrer une nouvelle rythmique et déboucher sur de nouvelles formes. Très traditionaliste au fond, ce grand novateur
continue de penser en fonction de mo-dèles établis : la suite op. 29 s’achève sur une fugue, les variations op. 31 ont pour sujet le nom de Bach. La série devrait mener à l’athématisme (ce qu’elle fera chez Webern) ; Schönberg en fait un ultrathème.
La quatrième manière de Schön-
berg, enfin, qui correspond à la
« période californienne » de la vie du musicien, est caractérisée par une tentative de retour aux structures tonales.
Sans renier le principe de l’écriture sé-
rielle, Schönberg essaie de l’intégrer à une dialectique de type tonal, en une synthèse que son disciple Berg a déjà esquissée dans ses dernières oeuvres.
Schönberg vieillissant veut parachever l’édifice de la musique tonale qu’il a lui-même détruit : « L’harmonie des Variations sur un récitatif (op. 40, 1941), écrit-il, comble le hiatus entre mes symphonies de chambre et la musique dissonante. »