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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 17

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même temps sur un espace donné, de génération en génération, c’est s’impo-

ser de peindre le « tableau des progrès de l’esprit humain ».

La philosophie du XVIIIe s. veut non seulement expliquer le monde, mais aussi le transformer, et c’est en l’expliquant qu’elle croyait le transformer.

Dans cette croyance en la puissance de la vérité et de la raison, elle se sent confirmée par l’histoire. C’est l’histoire elle-même qui montre la réalité du progrès.

Comte :

histoire des sciences ou histoire de l’esprit ?

La philosophie de la connaissance assumée par le positivisme est largement connue : « Nous voyons [...] que le caractère fondamental de la philosophie positive est de regarder tous les phé-

nomènes comme assujettis à des lois naturelles invariables, dont la découverte précise et la réduction au moindre nombre possible sont le but de tous nos efforts, en considérant comme absolument inaccessible et vide de sens pour nous la recherche de ce qu’on appelle les causes, soit premières, soit finales »

(A. Comte, Cours de philosophie positive, 1re leçon).

Profession de foi légaliste, anticau-saliste qui salue dans la loi de la gravitation newtonienne la plus grande conquête de l’esprit positif. C’est qu’une telle loi réussit à unifier les multiples faits astronomiques, répétant dans leur diversité un seul et même phénomène selon des points de vue différents, et découvre le « fait géné-

ral » de l’attraction comme l’extension du phénomène facilement observable et communément observé de la pesanteur des corps à la surface de la Terre.

La détermination de la nature intime de l’attraction et de la pesanteur ainsi que la quête de leurs causes ne servent guère qu’à flatter l’imagination des

« théologiens » et l’ardeur critique des

« métaphysiciens ».

Le légalisme résume le travail de la science en une organisation des « phé-

nomènes » selon des relations de succession et de ressemblance. Le phéno-ménal est l’observable. L’observation sollicite l’activité de systématisation,

effet spontané de la nature de l’esprit humain.

Quel lien entre cette prise de position qui refuse, comme impossible et inutile, l’explicitation du processus de production causale des phénomènes et la nécessité — celle de la pensée philosophique du XIXe s. — d’élaborer une philosophie de l’histoire cohérente ?

Si la nature ne nous livre pas ses secrets, c’est qu’une autre « nature »

pèse de tout son poids idéologique : celle de l’esprit humain. L’histoire ne se confond pas avec un approfondissement de la connaissance du monde naturel, mais s’offre comme le lieu d’une explication, toujours plus clairvoyante, du contenu de l’esprit humain, comme l’occasion d’une révélation de la nature de l’esprit humain.

La réflexion comtienne commence

par la constatation d’une crise qui frappe la société française, voire la société occidentale dans son ensemble.

Crise dont les manifestations sociale, politique et économique ne sont que les symptômes d’un état d’anarchie plus profond : la « désorganisation intellectuelle ».

L’unité sociale ne peut être pré-

servée et maintenue que par l’univer-salité des croyances. Croyance qui peut s’abîmer dans le mysticisme ou accepter la démonstration de la raison.

L’universalisation de la « foi raisonnée » ou « positive » doit assurer la stabilité sociale et prévenir tout excès d’individualisme.

Or, si l’esprit positif est bien

« réel », il n’est encore que « spécial ».

L’esprit positif est « réel » puisque les phénomènes astronomiques, mécaniques, chimiques et biologiques lui sont soumis, mais il est « spécial »

dans la mesure où les faits sociaux lui échappent encore. Une telle contradiction interdit la satisfaction du besoin d’unité de l’esprit et assure la pérennité du désordre. Aussi la tâche urgente est-elle de résoudre cette contradiction ?

Rôle — théorique — dévolu à la loi des trois états. Trois états qui désignent autant de méthodes de philosopher,

de systèmes généraux supportant une conception de l’ensemble des phéno-mènes s’excluant mutuellement : l’état théologique, l’état métaphysique et l’état positif.

Les progrès de l’esprit humain — du fait de sa nature — passent inévitable-ment, dans chacune des branches de la connaissance, par ces trois états théoriques distincts.

Aucune conciliation promettant la coexistence harmonieuse des diffé-

rents modes de penser, aucune restauration permettant le rétablissement de l’unité par universalisation de la mé-

thode théologico-métaphysique n’est possible. L’accession à l’état positif ruine la validité des états précédents.

Disparition par désuétude, qui ne suppose pas le recours à tout l’appareil dialectique.

Autant dire que la contradiction n’a d’efficacité que par défaut ; par défaut d’un développement complet de l’esprit positif. Autant dire que « la création de la sociologie vient aujourd’hui constituer l’unité fondamentale dans le système entier de la philosophie moderne » (A. Comte, Cours de philosophie positive, t. VI).

L’hypothèse de la loi subit un double traitement :

— une vérification historique — chacune des connaissances se développe selon ces trois états sans jamais rétrograder, même si toutes les connaissances ne sont pas encore parvenues au stade positif ;

— une démonstration « directe », par position d’une nature de l’esprit qui rend « inévitable » en même temps qu’« indispensable » l’allure de l’évolution intellectuelle selon la loi des trois états — l’être se confond avec le devoir être.

L’esprit humain ne peut manquer

d’interpréter d’abord la nature selon le mode de penser théologique (état théologique ou « fictif »), car c’est le seul qui se produise spontanément, ne supposant rien d’antérieur pour être.

Condamné à observer pour concevoir

et à concevoir pour observer, il répond à cette double obligation par la philosophie théologique. Les phénomènes sont assimilés à des actes selon une compré-

hension de type anthropomorphique.

La philosophie théologique fortifie la cohésion sociale en offrant d’emblée un ensemble de croyances communes et favorise l’apparition d’une classe spéciale, consacrée à l’activité spéculative, la classe sacerdotale.

L’état métaphysique (ou « abs-

trait ») sert de transition : à la diffé-

rence des deux autres états, aucun principe propre ne le définit. C’est à peine un état. La philosophie métaphysique (philosophie des lumières*) réalise une simple modification de l’état théologique en substituant aux « volontés », causes des phénomènes (comme des

actes), des « entités abstraites ». Elle réalise cependant une vertu critique en autorisant l’existence simultanée de la philosophie théologique et de la philosophie positive avant que celle-ci ne se soit imposée définitivement.

L’état théologique et l’état positif donnent lieu à des modes de penser organiques, capables d’offrir un fondement à la morale et à la religion ; l’état métaphysique promeut un compromis instable, qui ne dure qu’à l’occasion d’un changement continuel.

L’esprit positif s’est désormais

reconnu et peut jouer comme norme, comme critère régulateur. La philosophie positive impose un ordre, une échelle permettant de mesurer à quel degré de positivité est parvenue la conception d’une catégorie donnée de phénomènes. Ordre qui n’est autre que la classification des sciences fondamentales. La classification n’est pas un simple procédé d’exposition, mais apparaît comme le « complément naturel » de la loi des trois états.