Elle n’enferme que les sciences
théoriques qui ne se préoccupent que de la connaissance des lois. De l’astronomie à la sociologie, en passant respectivement par la physique, la chimie, la biologie — les mathématiques sont à part —, le principe de classement est celui d’une généralité décroissante ou d’une complexité croissante des phé-
nomènes étudiés.
La classification des sciences vient s’intercaler entre la prise de conscience de soi de l’esprit positif et la réalisation incomplète de cet esprit : en ce sens, elle est le complément indispensable de la loi des trois états.
Loi et classification définissent le concept comtien d’histoire des sciences. Définition qui a tenté
E. Mach dans Die Mechanik in ihrer Entwicklung historisch-kritisch
dargestellt (1879). Définition ou restriction qui risque fort d’être fatale à l’activité scientifique elle-même !
« Le procédé le plus simple pour
dominer les questions soulevées par les transformations continuelles des sciences consiste à s’efforcer de stabiliser celles-ci en cherchant, d’une part, à délimiter leurs frontières contre toute incursion possible de la métaphysique et, d’autre part, à fixer une fois pour toutes les principes et les méthodes de ces sciences elles-mêmes. Tel est le double objectif que s’est proposé d’atteindre A. Comte en son cours de philosophie positive [...]. Nous ne retiendrons naturellement du comtisme que ce qui touche aux sciences proprement dites, par opposition à sa « synthèse subjective » et à sa sociologie encore toute spéculative, bien que le conservatisme social de Comte, curieusement combiné avec sa croyance au progrès, n’ait pas été peut-être sans influence sur son conservatisme scientifique »
(J. Piagel, Logique et connaissance scientifique, 1967).
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 17
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Koyré :
histoire des sciences ou histoire des concepts ?
La science moderne vient à l’être par
« transformation », par « mutation », par « révolution ». Révolution qui ne veut pas dire « instantanéité », puisque, après tout, ce processus commence avec Copernic* pour s’achever
avec le triomphe de la « philosophie naturelle » de Newton*. Si la révolution est nécessaire, c’est que les pré-
jugés sont tenaces. Révolution qui impose un long cheminement à cause de la positivité des erreurs. A. Koyré rompt avec l’optimisme du rationalisme idéaliste, qui ne découvre dans l’erreur que du négatif, un néant d’être. Les erreurs sont pesantes d’autant qu’elles s’organisent en une conception générale et cohérente du monde. Ainsi, la physique d’Aristote est fausse, périmée, antimathématique, mais n’en reste pas moins une théorie hautement élaborée, « une doctrine qui, partant naturellement des données du sens commun, les soumet à un traitement cohérent et systématique » (A. Koyré, Études d’histoire de la pensée scientifique, 1966).
Comprendre que la science mo-
derne est tout à la fois le fruit d’un long effort de pensée et le résultat d’une révolution menée victorieusement, c’est reconnaître l’influence exercée par la « substructure » ou l’« horizon » philosophique qui « limite » les théories scientifiques. La conviction première de A. Koyré est que l’influence des conceptions philosophiques sur le développement de la science a été aussi déterminante que celle des conceptions scientifiques sur le développement de la philosophie.
L’histoire de la pensée scien-
tifique inspire à A. Koyré trois
enseignements :
— la pensée scientifique ne s’est jamais rendue indépendante de la pen-sée philosophique ;
— la raison des grandes révolu-
tions scientifiques est à découvrir dans les changements de conception philosophique ;
— la pensée scientifique ne peut se dé-
velopper que dans le cadre dessiné par des « principes fondamentaux », des
« évidences axiomatiques » qui ressortissent à la réflexion philosophique.
Retenir ces leçons ne revient pas à négliger le rôle joué dans le développement de l’activité scientifique par l’apport de faits nouveaux et surtout
à remettre en cause l’autonomie du développement de la pensée scientifique. Ancrée dans une substructure philosophique, la pensée scientifique n’en conserve pas moins sa propriété.
Insister sur l’influence des conceptions philosophiques, c’est aussi affirmer que la philosophie sert au déploiement de l’essor scientifique.
Pas n’importe quelle prise de position philosophique.
« Le positivisme est fils de l’échec et du renoncement. [...] Le positivisme fut conçu et développé non par les philosophes du XIIIe s., mais par les astronomes grecs qui, ayant élaboré et perfectionné la méthode de la pensée scientifique — observation, théorie hypothétique, déduction et finalement vérification par des nouvelles observations — se trouvèrent dans l’incapacité de pénétrer le mystère des mouvements vrais des corps célestes et qui, en conséquence, limitèrent leurs ambitions à « un sauvetage des phénomènes », c’est-à-dire à un traitement purement formel des prédictions valables, mais dont le prix était l’acceptation d’un divorce définitif entre la théorie mathématique et la réalité sous-jacente. [...] Et c’est par révolte contre ce défaitisme traditionnel que la science moderne, de Copernic à Galilée et à Newton, a mené sa révolution, qui est basée sur la conviction profonde que les mathématiques sont plus qu’un moyen formel d’ordonner les faits et sont la clef même de la compréhension de la nature »
(A. Koyré, les Origines de la science moderne, 1956).
Positivisme et empirisme pur tra-
cent des « chemins qui ne mènent
nulle part ». C’est seulement en se proposant la connaissance du réel que la science progresse. D’où la nécessité de reconnaître que l’aspect théorique du processus de développement de la science est essentiel et commande l’aspect expérimental. Si la découverte des faits nouveaux favorise la rupture avec l’état donné de l’explication scientifique, les révolutions scientifiques sont d’abord théoriques, en ce qu’elles ne se contentent pas de mieux lier entre elles les
« données de l’expérience », mais
revendiquent, comme leur titre, une nouvelle conception de la réalité sous-jacente à ces données.
Deux thèses — l’influence déterminante de la substructure philosophique et la volonté réaliste de la pensée scientifique — convergent pour fonder une interprétation « théoriciste »
de l’histoire des sciences. Théoricisme qui témoigne contre le positivisme et l’expérimentalisme (en tant que compréhension globale de l’activité scientifique).
Deux traits, forts, définissent la révolution scientifique du XVIIe s.
comme révolution et la singularisent : la destruction du Cosmos et la géomé-
trisation de l’espace.
Le Cosmos des Grecs s’unifie à
la manière d’un tout fermé sur lui-même : monde fini, qualitativement organisé et hiérarchiquement ordonné.
La Terre et le Ciel, parties du Tout, sont soumis à des lois différentes.
S’il est vrai que la physique mo-
derne privilégie comme objet d’étude le mouvement des corps pesants, il est pertinent de remarquer qu’elle ne doit pas son avènement à la « Terre seule », mais « tout autant aux Cieux ».
Que la science moderne trouve
son origine dans l’explication des phénomènes astronomiques entraîne l’abandon de la conception grecque et médiévale du Cosmos au profit de la systématisation de la notion d’Univers. Univers lié par l’identité de ses éléments composants et l’uniformité de ses lois, qui se donne pour un ensemble ouvert à l’infini. Affrontant l’Univers, la science moderne pratique la fusion de la physique terrestre avec la physique céleste : la première peut appliquer les méthodes mathé-