différent. C’est par dizaine de milliers que la science-fiction nous présente des mondes qui ont changé. Mais ces mondes ne sont pas totalement déta-chés du réel. Ce qui s’y passe peut nous fournir des avertissements et même des raisons d’agir dans notre monde à nous. Ainsi, le film réalisé pour la télévision anglaise par Patrick McGoo-han, le Prisonnier, présente un homme détenu dans une prison sans barreaux qui ressemble à un village de vacances, gardée par les « Rôdeurs », créatures ou machines non humaines qui empêchent toute évasion. Les maîtres inconnus de cette prison passent leur temps à interroger le détenu en lui posant des questions dont il ne possède pas la réponse, ni consciemment, ni inconsciemment. Le prisonnier se rend compte que ces interrogatoires tendent à le dépersonnaliser, à en faire non plus un homme, mais un numéro : il finit par détruire l’univers concentrationnaire où il est enfermé et se retrouve dans notre monde, où il poursuivra la lutte pour que les êtres humains ne soient nulle part des numéros, mais des noms.
L’auteur prétend se fonder sur les travaux de Marshall McLuhan, sur la transformation du globe terrestre, par l’électronique, en un village inquié-
tant. Mais le Prisonnier n’est en aucune façon une série de conférences : c’est un drame dont l’intérêt s’accroît à chaque épisode et qui témoigne du pouvoir à la fois de la télévision et de la science-fiction.
Les trois pays où l’on vend le plus de livres de science-fiction sont, dans l’ordre, l’Union soviétique, les États-Unis et le Japon. Les autres pays se disposent dans un ordre correspondant exactement à leur développement technologique, ce qui veut dire que la France est encore assez loin. Mais, la revue la plus élaborée est espagnole, et la science-fiction la plus audacieuse et la plus riche dans la recherche de ses thèmes est roumaine. Quant au domaine anglais, il se signale par son souci de qualité littéraire.
On peut estimer à 100 millions le nombre de volumes de science-fiction vendus chaque année dans le monde entier. Il s’agit surtout d’ouvrages de poche, bien qu’on trouve également
des éditions courantes et de beaux livres reliés diffusés par des clubs dans le monde occidental et par abonnements souscrits au bureau de poste dans les pays socialistes. Cela repré-
sente à peu près 500 millions de lecteurs, car ces livres circulent beaucoup.
C’est un chiffre considérable et qui ne tient pas compte du public de la bande dessinée de science-fiction.
Les auteurs de science-fiction sont d’origine et de nature diverses. On trouve parmi eux, dans les plus anciennes générations, des savants éminents comme Eric Temple Bell ou Fred Hoyle. Mais il y a des équipes d’auteurs professionnels, qui composent des séries populaires : tel est le cas de la série allemande Perry Rhodan, qui comprend plus de 400 fascicules hebdomadaires et qui compte près de 50 millions de lecteurs dans le monde entier. On trouve aussi, plus récemment, des auteurs venus de la littérature ou de la pratique d’autres arts. Cette nouvelle génération a donné naissance à la « nouvelle vague de science-downloadModeText.vue.download 3 sur 627
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fiction ». Ce phénomène nouveau se signale par deux traits remarquables : ces nouveaux venus étant souvent incapables de reconnaître un électron d’une locomotive, la base technique de leurs récits est, la plupart du temps, assez faible ; en revanche, ils ont lu autre chose que de la science-fiction, ils connaissent Jarry, Freud et les surréalistes, ils élargissent le domaine de la science-fiction jusqu’au point où il commence à empiéter sur d’autres régions de l’art. Le plus intéressant d’entre eux est l’Anglais Jim G. Bal-lard, qui pense que notre monde est insupportable dans sa démence, mais que, en le brisant en tous petits morceaux — dont la description tient dans une demi-page dactylographiée — et en rassemblant ces fragments, on peut en avoir une image plus satisfaisante pour l’esprit et qui, en outre, procure plus de dépaysement que la science-fiction la plus exotique. Ce dépassement de la science-fiction, ce double
mouvement d’atomisation et de grossissement peuvent aboutir à une forme d’expression dans laquelle la théorie de l’information jouera certainement un rôle.
Les attaques dirigées contre la
science-fiction à ses débuts (Branly interdisait à ses enfants de lire Jules Verne) se sont atténuées, cependant, selon la célèbre formule de Max
Planck : « La vérité ne triomphe jamais, mais ses adversaires finissent par mourir. » D’autre part, la bombe atomique, le débarquement sur la Lune, l’atterris-sage en douceur d’un robot sur Mars ont montré que la technique change le monde. Ce qu’on reproche encore à la science-fiction, c’est, au fond, que les univers qu’elle imagine sont trop près du monde réel, qu’ils nous rappellent trop nos soucis et nos angoisses. Aussi le besoin de s’évader totalement a-t-il conduit à la création d’un genre nouveau, la « fantaisie héroïque » (heroic fantasy), qui n’a, à vrai dire, plus rien à voir avec la science-fiction. Cette curieuse résurrection du roman de la chevalerie est un signe intéressant des temps.
L’avenir de la science-fiction
semble double, lié d’une part au livre de poche, d’autre part aux arts ciné-
tiques comme le cinéma et la télévision. Les plus récents chefs-d’oeuvre de la science-fiction appartiennent à la télévision (comme le Prisonnier déjà cité et la série américaine Star Trek) ou au cinéma (comme 2001 d’Arthur C. Clarke et Stanley Kubrick). Les revues connaissent une baisse sensible, mais les ventes de livres de poche ne font que croître. Les livres de poche soviétiques à grand tirage comportent des anthologies traduites aussi bien du japonais que du suédois, du roumain que du polonais. La science-fiction touche déjà des dizaines de millions de lecteurs, de téléspectateurs et de spectateurs de cinéma. Elle en touchera encore plus. Mais elle ne remplacera pas la littérature et les arts, et ne pourra guère développer cette fonction secondaire qui consiste à fournir parfois des idées aux techniciens, voire aux savants.
Mais, plus que les longs récits réa-
listes, la science-fiction, dans sa fantaisie angoissante et son délire minutieux, peut jeter une lumière plus vive sur le monde, sur nous-mêmes, sur notre réalité.
J. B.
La science-fiction
au cinéma
La science-fiction cinématographique a relativement peu inspiré de grands réalisateurs. Infiniment moins riche et diversifiée qu’elle ne l’est en litté-
rature, elle ne laisse apparaître qu’un très petit nombre d’oeuvres marquantes malgré une production qui, du moins aux États-Unis dans les années 50, est presque aussi importante que n’importe quel autre genre cinématographique.
On relève certes les noms de Georges Méliès (le Voyage dans la Lune, 1902), de Fritz Lang (la Femme sur la Lune, 1928), de Howard Hawks (la Chose venue d’un autre monde, 1951, en collaboration avec Christian Nyby) au générique d’oeuvres de science-fiction, mais celles-ci n’apparaissent pas — le cas de Méliès excepté — comme capitales dans leur carrière.
La science-fiction ne se développe que par à-coups, suivant les modes de l’époque et la demande du public, voire en fonction du climat politique.
Il serait vain de recenser par exemple, au moment de la guerre froide, toutes les formes empruntées par les envahisseurs extraterrestres qui, menaçant la paix du monde, ont déferlé, maladroits et peu crédibles, sur les écrans de notre bonne vieille planète ou qui ont resurgi, venus de l’abîme du temps, à sa surface. On ne compte plus les fourmis géantes, les sauterelles monstrueuses, les poissons et les reptiles humanoïdes, ni les avatars de King Kong et autres créatures génératrices d’épouvantés un peu puériles.