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À partir de 1840, nombre de mu-

tuelles se transforment en sociétés de résistance (résistance au patronat et à ses tentatives de baisse de salaires), qui soutiennent des grèves. Ces sociétés de résistance deviendront des chambres syndicales, en partie par imitation de ce qui s’était passé en Grande-Bretagne, où, déjà depuis plusieurs décennies, des trade-unions étaient apparues, et

à la suite du voyage qu’avaient fait à l’Exposition universelle de Londres de 1862 un certain nombre d’ouvriers envoyés par l’empereur. Les travailleurs auraient souhaité recevoir le droit légal de s’organiser ; mais le pouvoir ne leur accordait qu’une tolérance précaire, remise en question lorsque certains militants syndicalistes, comme Eugène Varlin (1839-1871), adhéraient à l’Association internationale des travailleurs et qu’éclataient des grèves menaçant l’ordre public.

Déjà, cependant, les syndicats qui se sont constitués tendent à s’organiser en fédérations nationales professionnelles de métier ou d’industrie et en unions locales ou départementales interpro-fessionnelles. Mais, dans l’évolution qui s’amorce, la guerre de 1870-71, la Commune* et la répression introduisent une brutale coupure. Nombre de militants syndicalistes parisiens

— tel Varlin — disparaissent, tués au combat, condamnés ou en fuite.

Il faut attendre plusieurs années pour que le mouvement reprenne timidement et qu’un premier congrès des chambres syndicales se tienne à Paris, salle d’Arras, en octobre 1876. À partir de 1887 s’accélère le mouvement qui, à travers la France entière, constitue des Bourses du travail. Une Bourse du travail est un local mis à la disposition des syndicats d’une localité par la municipalité, qui les laisse l’administrer eux-mêmes. On compte 40 Bourses du travail en 1895 et 157 en 1908. Pendant un temps, on peut penser que c’est la Fédération des Bourses du travail, créée à Saint-Étienne en 1892, qui va constituer le groupement représentatif de tous les syndicats de France. Mais des oppositions de personne et de tendance font qu’en 1895, à Limoges, la création de la Confédération générale du travail (C. G. T.) vient coiffer l’ensemble de l’édifice, dont la Fédération des Bourses du travail n’est plus qu’un étage. Pendant quelques années, il subsiste entre la Confédération générale du travail et la Fédération des Bourses du travail une certaine rivalité. Mais, à partir du congrès de Montpellier (1902), la C. G. T. l’emporte.

Dans cette évolution, plusieurs traits

apparaissent : si le syndicalisme est issu de la révolution industrielle, il n’en est pas la conséquence mécanique. Car il a cheminé plus vite dans les métiers d’industries ayant conservé longtemps une structure artisanale (chapellerie, imprimerie, bâtiment, habillement) que dans les métiers bouleversés par la technique nouvelle et la révolution industrielle (textile, métallurgie, mines).

Tout se passe comme si la syndicalisation était alors moins le résultat de la prolétarisation que d’un certain refus downloadModeText.vue.download 622 sur 627

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 18

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de la prolétarisation au nom d’idéaux et d’habitudes antérieures.

Par ailleurs, à la différence du socialisme*, qui a d’abord été pensé par un certain nombre d’hommes, créant leurs systèmes, avant de s’incarner en un mouvement collectif, le syndicalisme est apparu en premier lieu comme un mouvement que personne n’avait pensé au préalable, mais sur lequel sont venues se greffer après coup un certain nombre d’idéologies plus ou moins rivales, plus ou moins bien acceptées. Même si ces idéologies ont, à leur tour, agi sur le syndicalisme, celui-ci apparaît comme ayant conservé un caractère plus pragmatique que le socialisme, avec lequel il entretient, en France et à l’étranger, des relations complexes, oscillant entre la collaboration et la rivalité.

Dans la période d’avant 1914, deux lois tracent le cadre légal du syndicalisme. Celle de 1864, rapportée par Émile Ollivier, supprime le caractère délictueux de la grève, que le pouvoir, depuis le XVIe s. et à travers les régimes successifs, n’a cessé de poursuivre ; mais il reste interdit de porter atteinte à la liberté du travail, et nul ne pense alors que la grève puisse être le fait de fonctionnaires. La loi de 1884, que font voter Jules Ferry*, président du Conseil, et Waldeck-Rousseau*, ministre de l’Intérieur, donne l’autorisation de se syndiquer aux personnes exerçant la même profession ou des professions connexes ;

elle interdit au syndicat toute activité religieuse ou politique. Comme les syndicats, les unions de syndicats sont autorisées ; les fédérations seront donc tolérées comme unions. Mais le texte est muet quant aux confédérations, qui n’existent pas alors. À partir de la Constitution de 1946, le droit syndical et le droit de grève deviendront le droit commun de tous les Français.

De cette évolution, les militants syndicalistes ont retiré plus ou moins consciemment le sentiment que la loi ne fait que consacrer l’évolution déjà survenue dans la réalité. Leur aurait-on reconnu le droit de grève s’ils n’avaient fait grève avant d’en avoir le droit ? Leur aurait-on reconnu le droit syndical s’ils ne s’étaient syndiqués avant d’en avoir le droit ? Il en résulte que la plupart des syndicalistes jugent normal, s’ils ont le sentiment que le rapport des forces leur est favorable, d’aller de l’avant sans s’occuper des textes, dans lesquels, s’ils sont, au contraire, en position de faiblesse, ils auront tendance à chercher un bouclier et un refuge.

De cette époque également date le mécanisme de perception des cotisations syndicales. Le syndiqué doit acheter une carte annuelle et douze timbres mensuels, qu’il appose sur les douze cases prévues à cet effet.

L’échelonnement des versements est donc possible pendant toute l’année.

Mais nombre de syndiqués se

contentent de l’achat de quelques timbres. Dès lors, sur quelle base évaluer les effectifs ? Considérera-t-on comme syndiqué quiconque possède une carte, même s’il n’a acheté qu’un timbre au lieu de douze ? Exigera-t-on douze timbres ? Ou bien acceptera-t-on de se contenter d’une moyenne qui pourrait se situer vers sept ou huit timbres ? Selon qu’on adopte telle ou telle réponse, les évaluations numé-

riques pourront varier du simple au double.

Les conceptions diverses

du syndicalisme

Il ne semble pas établi qu’en France ni dans les autres pays le syndicalisme, en

ses débuts, se soit prononcé pour une transformation radicale de la société.

Son existence était trop précaire pour qu’il affichât de telles ambitions, même s’il les avait nourries ; mais sans doute ne les nourrissait-il pas.

y Dans ces conditions, on pourrait soutenir que la première attitude du syndicalisme est réformiste, et elle le demeure dans divers pays, au moins pour la grande majorité des syndiqués. Ce que veut ce syndicalisme réformiste, c’est seulement, à l’inté-

rieur du régime capitaliste (dont il ne conteste pas le principe, mais seulement les modalités), agir pour que la condition des travailleurs soit sans cesse améliorée, par une augmentation de salaires, par une réduction du temps de travail et par un réseau de mesures protectrices (lois ou conventions) apportant quelque sécurité.