Au lendemain de la Libération, les pouvoirs publics, renouant avec une tradition qui avait été ouverte par l’Organisation internationale du travail, ont décidé de distinguer entre les organisations syndicales celles qui seraient dotées de la représentativité nationale et les autres. Les premières ont divers avantages — notamment celui de pouvoir présenter partout des candidats aux élections professionnelles, de pouvoir être représentées au Conseil économique et de prétendre aux subventions accordées par l’État aux organisations syndicales pour la formation de leurs militants. Pour accéder à la représentativité nationale, il faut répondre à divers critères concernant le nombre des adhérents, l’importance et la régularité des cotisations versées, l’ancienneté de l’organisation (ou, à défaut, les titres syndicaux des dirigeants), l’indépendance (surtout vis-à-vis du patronat) et — en 1946 — la participation à la résistance. Sont actuellement admises à la représentativité nationale la C. G. T., la C. F. D. T., la C. F. T. C., la C. G. T.-F. O., la C. G. C., la F. E. N.
(en ce qui la concerne) ; sont au contraire exclues, pour des raisons différentes, la C. F. T. et l’U. C. T.
À diverses reprises, il a été question de renoncer à ces critères et à ces distinctions. Mais les organisations qui bénéficient de ce statut souhaitent en conserver les avantages. La C. G. T. de-
mande même que le statut soit réservé dans chaque secteur aux organisations faisant la preuve qu’elles bénéficient de 10 p. 100 des voix exprimées aux consultations professionnelles, ce qui jouerait contre plusieurs de ses rivales.
Parmi les originalités du syndi-
calisme français des salariés, il faut signaler l’importance du syndicalisme chez les fonctionnaires (depuis l’entre-deux-guerres) et chez les cadres (depuis 1944).
Unité et pluralisme
syndical à l’étranger
En Italie comme en France, mais à un moindre degré, le pluralisme syndical est la règle, avec quatre confédérations rivales :
— la Confederazione generale italiana del lavoro (CGIL), à dominante communiste ;
— la Confederazione italiana sin-dacati lavorati (CISL), à dominante chrétienne ;
— l’Unione italiana del lavoro (UIL), à dominante socialiste ;
— la Confederazione italiana sinda-cati nazionali lavorati (CISNAL), que ses adversaires assurent de nostalgie fasciste.
À partir de 1969, un mouvement unitaire a paru remettre en cause le pluralisme. Il a abouti à la constitution d’une Fédération unique de la métallurgie.
Mais, sur le plan confédéral, le processus paraît bloqué par les réticences de l’UIL et d’une partie de la CISL.
Dans des pays comme la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique, le pluralisme existe aussi, mais moins accentué. En Allemagne, malgré l’existence d’un syndicalisme libéral et d’un syndicalisme catholique, le Deutscher Gewerkschaftsbund (DGB) exerce un monopole de fait. Il en est de même en Grande-Bretagne, où le Trades Union Congress (TUC) rassemble l’immense majorité des syndiqués.
La situation est plus complexe aux États-Unis. De 1935 à 1955, deux orga-
nisations se sont opposées : l’American Federation of Labor (AFL), qui groupait surtout des syndicats de métier, et le Congress of Industrial Organiza-tions (CIO), qui groupait surtout des syndicats d’industries. Elles sont aujourd’hui rassemblées dans une seule organisation, l’AFLCIO. Mais en dehors d’elle subsistent des organisations qui sont restées autonomes ou qui le sont devenues : syndicats des cheminots, des mineurs, des routiers (exclus de l’AFLCIO), de l’automobile.
Dans les pays socialistes, le syndicalisme est nécessairement unique : il ne peut en être autrement dans des États qui ne connaissent qu’un parti.
Pour la même raison, le syndicat est nécessairement subordonné au parti, conformément aux théories de Lé-
nine. Mais, contrairement à ce qu’on pense à l’ordinaire, le syndicalisme n’est nullement obligatoire, bien qu’à divers égards il soit plus avantageux d’y adhérer. (En U. R. S. S., les prestations d’assurances sociales sont plus fortes pour les syndiqués que pour les non-syndiqués.)
Il est difficile de donner une idée du syndicalisme dans les pays du tiers monde. La situation y est sensiblement différente. Parfois, le syndicalisme est un syndicalisme d’encadrement contrôlé par le pouvoir (c’est le cas en Tunisie, en Algérie, au Brésil). Parfois, il semble, au contraire, entretenir de bons rapports avec l’opposition (comme au Maroc).
Le record des adhésions est battu par le syndicalisme de l’U. R. S. S.
(94 millions). Viennent ensuite les États-Unis (15 millions), la Grande-Bretagne (10 millions), l’Allemagne (10 millions). Mais peut-on comparer valablement des syndicalismes aussi différents ?
Il est plus intéressant, sans doute, de comparer dans les pays de structure analogue le taux de syndicalisation. On entend par là le rapport du nombre des syndiqués au nombre des syndicables.
D’après un document de la Commu-
nauté économique européenne, com-plété pour les pays situés hors d’Europe, ce taux s’établirait ainsi en 1971 :
Suède, 70 p. 100 ; Belgique, 66 p. 100 ; Autriche, Danemark, Luxembourg,
50 p. 100 ; Grande-Bretagne, Norvège, Pays-Bas, 40 p. 100 ; Irlande, Italie, Japon, 30 p. 100 ; Allemagne fédérale, Suisse, 25 p. 100 ; États-Unis, France, 20 p. 100.
Mais il convient de signaler que cette moyenne est elle-même trompeuse, car, dans certains pays, comme la France, le taux de syndicalisation est élevé dans la fonction publique, alors que, dans d’autres, il est faible. Un taux de syndicalisation ouvrière placerait les États-Unis au-dessus de la France.
Dans divers pays et dans certains cas, la clause dite de la closed shop interdit à l’employeur d’embaucher des non-syndiqués. Elle peut être considérée comme attentatoire à la liberté individuelle. Aussi a-t-elle été interdite aux États-Unis par la loi Taft-Hartley (1947). Mais cette loi autorise la clause dite de l’union shop, qui ne comporte pas l’affiliation obligatoire au préalable et lors de l’embauche, mais qui la prescrit au bout d’un certain nombre de mois. On revient donc à une obligation.
Le taux de syndicalisation élevé dans l’industrie des États-Unis s’explique ainsi.
Syndicalisme et crise des
relations industrielles
Depuis un demi-siècle, un nouvel ordre social paraissait en voie de se construire lentement, par des voies réformistes, dans les sociétés occidentales, les syndicats acceptant d’assumer des responsabilités dans le cadre des conventions collectives librement signées par eux. Mais, à partir de 1965, une série de mouvements d’origine diverse ont tout remis en question.
Dans les pays de syndicalisme pratiquement unique, comme dans les pays Scandinaves ou en Grande-Bretagne, downloadModeText.vue.download 624 sur 627
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 18
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on a vu surgir des grèves dites, chez les Britanniques, non officielles (en France
on parle de grèves sauvages), qui naissent et se développent en dehors du syndicat et parfois contre lui. Ces grèves sont souvent le fait de jeunes délégués d’atelier, non permanents, qui protestent contre ce qu’ils appellent la sclérose syndicale. Contestataire dans son principe, le syndicalisme se trouve ainsi contesté à son tour par certains de ses adhérents ou par des inorganisés.
(Les maoïstes sont en général hostiles au principe de l’organisation syndicale ; les anarchistes le sont parfois ; les trotskistes ne le sont jamais.) Dans les pays de pluralisme syndical, ces mouvements, s’ils existent, ne demeurent pas longtemps « sauvages »
ou non officiels. Il se trouve presque toujours une organisation qui les prend en charge et les cautionne devant l’opinion publique. Mais le problème est le même dans les deux cas : reprendre en main le mouvement et le canaliser vers des objectifs réalisables. C’était déjà le cas en France dans l’explosion sociale de mai-juin 1936 — comme ce fut le cas lors des grèves de mai-juin 1968.