pondérance s’étend, en Syrie, de l’Euphrate à l’Oronte.
C’est à cet État d’organisation très lâche que va se heurter l’impérialisme égyptien. Ahmosis, le pharaon fondateur de la XVIIIe dynastie et du Nouvel* Empire, ayant chassé les Hyksos d’Avaris, leur capitale au Delta oriental, les poursuit en Palestine, où il prend leur grande forteresse, Sha-rouhen, après trois ans de siège. Par la suite, les Hyksos s’étant définitivement éparpillés, Ahmosis et ses successeurs immédiats se contentent de raids destinés à lever des tributs sur les cités du couloir syrien. C’est ainsi que Thoutmosis Ier va dresser sa stèle sur la rive de l’Euphrate, dans le secteur de la grande boucle, mais on peut douter qu’il ait, selon ses inscriptions, dominé réellement en Asie jusqu’à ce grand fleuve, et le domaine égyptien en Syrie semble limité au sud-ouest lorsque Thoutmosis III* inaugure la conquête méthodique.
Le grand pharaon conduit dans le
couloir syrien dix-sept expéditions annuelles. Il se heurte d’abord aux coalitions dirigées par le roitelet de Kadesh, puis par celui de Tounip, deux cités de la vallée de l’Oronte moyen, puis il rencontre l’armée du Mitanni, qui soutient les adversaires et les sujets révoltés du pharaon, et qui bénéficie de la solidarité hourrite. Les insurrections et les hostilités avec les Mitanniens continuent en Syrie sous le règne d’Aménophis II, mais, sous son successeur, Thoutmosis IV, le roi de Mitanni, craignant que les puissances voisines ne rallient durablement le camp égyptien, traite avec le pharaon sur la base du statu quo. L’Empire mitannien continue à dominer jusqu’à la vallée de l’Oronte, dont il dépasse parfois le cours, et l’Égypte garde les conquêtes de Thoutmosis III.
Vers 1355, le Mitanni, miné par
des querelles dynastiques, s’effondre sous les coups du roi hittite Souppi-louliouma Ier, qui annexe le domaine syrien de son adversaire. Le vainqueur déporte les rois hourrites de la région et confie leurs royaumes à des princes de sa famille. Au cours de ses conquêtes, le Hittite a empiété sur le domaine égyptien, et ses intrigues y suscitent des désordres. C’est alors le règne d’Aménophis IV*, qui, sous le nom
nouveau d’Akhenaton, se consacre
essentiellement à la diffusion du culte d’Aton (le disque solaire), un dieu universel qui convienne à la fois aux Égyptiens et aux Asiatiques. Les roitelets restés fidèles au pharaon réclament inutilement des secours, et, lorsque le trône d’Égypte passe à l’énergique Horemheb, ce dernier représentant de la XVIIIe dynastie peut tout juste sauver une partie de la Palestine. Le premier grand roi de la XIXe dynastie, Seti Ier, rétablit la domination égyptienne sur les roitelets palestiniens et reconquiert une partie de la Syrie centrale. Son fils, Ramsès II*, subit des échecs dans ses deux principales campagnes (dont la première est marquée par la bataille de Kadesh). Finalement, le roi hittite et le pharaon concluent une paix, fondée sur le statu quo, qui laisse les possessions égyptiennes diminuées par rapport au début du XIVe s. (le royaume d’Amourrou, en Syrie centrale, et celui d’Ougarit dépendent maintenant de l’Empire
hittite).
La civilisation syrienne
au bronze récent
Le pays entre Oronte et Euphrate,
dominé successivement par les Mitanniens et par les Hittites, reste très mal connu. On peut lui attribuer cependant quelques traits originaux : le rôle des Hourrites, qui y sont plus nombreux et dont le panthéon tend à éclipser celui des Amorrites ; la parenté artistique avec le monde anatolien, qui explique l’importance de la grande statuaire de pierre et de la glyptique syro-hittite ; enfin, l’apparition du bît-hilani, bâtiment royal dont les pièces sont groupées suivant un plan en largeur et pré-
cédées par un portique.
Mais les caractères essentiels de la civilisation du couloir syrien entre le XVe et le XIIe s. sont en fait ceux de la zone dominée par les Égyptiens, le pays de Kinahhou (d’où vient le Canaan de la Bible), qui comprend toute la Palestine, le Liban (avec sa plaine côtière et sa dépression intérieure), la région de Damas ainsi que, plus au nord, la bande littorale jusqu’à Ougarit et une partie de la vallée moyenne de l’Oronte. Les cités de cet ensemble nous sont bien connues grâce aux Annales de Thoutmosis III, aux textes d’Ougarit (XIVe-XIIIe s.) et aux archives trouvées en Égypte à Tell al-Amarna (la capitale d’Akhenaton), qui comprennent près de quatre cents lettres échangées entre les pharaons Aménophis III et Aménophis IV, d’une part, et entre les grands rois de l’Asie occidentale et les roitelets du couloir syrien, d’autre part.
La domination égyptienne en Syrie
se contente de moyens très limi-
tés : des troupes d’effectifs modestes concentrées dans quelques camps ;
un petit nombre de « Grands », ou
« Surveillants », d’origine égyptienne, cananéenne ou mitannienne, contrô-
lant les centaines de cités-États, qui restent gouvernées soit par un prince (appelé homme ou hazânou), soit par un conseil des « Fils » de la cité. Mais cette administration se contente d’enregistrer les dénonciations mutuelles des roitelets et ne se préoccupe que de la levée du tribut.
Cette ponction annuelle semble donner un coup de fouet aux productions locales. Les bonnes années, la Syrie regorge de grains, d’huile d’olive et de vin ; en tout temps, elle exporte ses bois et ses résines. D’ailleurs, ses relations économiques ne se limitent pas à l’Égypte : elle voit affluer les caravanes de l’Asie occidentale, qui continuent à lui livrer des métaux et du lapis-lazuli, les bateaux de Chypre, de la Crète et, à partir du XIVe s., du monde mycénien, qui laissent, comme vestiges indestructibles d’un commerce fort actif, des vases, qui se rencontrent par milliers sur les sites de Palestine, et des idoles, qui attestent la présence de comptoirs mycéniens à Ougarit et à tell Abu Hawam (au nord de Haïfa). Mais la principale activité de la Syrie, c’est maintenant son artisanat, qui perfectionne les techniques du temps : verre, fritte, « faïence », pourpre, bronze, or-fèvrerie, travail du bois et de l’ivoire, huiles parfumées, etc. L’art local réalise une koinê plus poussée que celle downloadModeText.vue.download 10 sur 631
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 19
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du bronze moyen, avec la perfection un peu froide d’un véritable classicisme (patères d’or d’Ougarit). Il est dominé par l’influence égyptienne, d’autant plus qu’à la même époque l’art de la vallée du Nil, qui emploie certainement des Syriens, emprunte beaucoup aux oeuvres fabriquées dans le domaine asiatique du pharaon. Mais l’artiste cananéen, qui utilise les thèmes iconographiques de l’Égypte, les adapte aux réalités de son pays, où la civilisation indigène garde toute sa vigueur, malgré l’afflux des étrangers — conquérants et marchands.
Le site le mieux connu de l’époque, Ougarit, révèle cette réalité profonde sous le vernis du cosmopolitisme. Ce petit royaume, qui, au XIVe s., est passé de la domination de l’Égypte à celle des Hittites, reçoit des navires et des caravanes de tout l’Orient, et on y a trouvé des textes en huit langues akkadien, sumérien, hourrite, ougaritique (dialecte sémitique local), égyptien,
hittite, louwite (forme dite « hittite hiéroglyphique »), chypriote —, pour lesquelles on n’a pas employé moins de cinq sortes différentes d’écriture.