Dans son « testament », c’est-à-dire dans les notes qu’il rédige avant d’être écarté totalement de la vie publique, Lénine met en garde le parti bolchevik contre le danger de scission. S’il reproche à Trotski son goût pour l’« administration », il reconnaît que c’est
« peut-être l’homme le plus capable du Comité central ».
Après la mort de Lénine
Trotski et Staline
Avec la disparition de Lénine (le
21 janv. 1924), l’Union soviétique perd son fondateur, et Trotski un maître qui a su utiliser ses immenses qualités dans l’intérêt de la révolution. Dès lors, la situation de Trotski devient difficile.
L’Union soviétique applique une nouvelle politique économique, la NEP, qui permet de reconstruire l’économie d’un pays dévasté par la guerre civile, tandis que le parti bolchevik, devenu parti unique, contrôle toute la vie du pays. Entouré d’un cordon sanitaire, victime du boycottage et de l’hostilité des grands pays développés de l’Occident, l’Union soviétique ne peut compter que sur ses propres forces pour construire le socialisme en raison de l’échec de la révolution partout ailleurs. Plus que tout autre, Trotski sent les dangers qui menacent les jeunes républiques soviétiques de l’intérieur, mais en même temps il ne peut les combattre qu’en parole. La construction du
« socialisme dans un seul pays » s’impose comme le résultat des processus historiques qui ont abouti à la situation de 1924. La « dictature du prolé-
tariat » s’est identifiée à la « dictature du parti », et cette dictature est fragile, comme le montre la Constitution de 1918, remaniée en 1924, qui prévoit un député pour 25 000 électeurs dans les villes, et 125 000 électeurs pour un dé-
puté dans les campagnes. Seule l’unité monolithique du parti et de sa direction lui permettra de subsister au lendemain de la guerre civile.
Nombreux sont les bolcheviks qui,
comme Trotski, sentent la nécessité de développer la démocratie et de lutter contre la bureaucratie, mais la plupart font bloc contre Trotski : ils soutiennent Staline, qui s’est fait le champion de la construction du socialisme dans un seul pays, parce qu’ils ont le sentiment profond de cette nécessité.
Trotski lui-même doit accepter — non sans tergiverser — cette situation pendant plusieurs années ; il admet que le « testament » de Lénine ne soit pas communiqué au parti et que Staline reste secrétaire général. Il n’en est pas moins isolé dans le parti et dans le Komintern.
En 1925, Trotski, dont la popularité reste cependant très grande, perd son poste de commissaire du peuple à la Guerre. Nommé membre du Conseil
supérieur de l’économie nationale, il préside trois sous-comités, ceux des concessions aux sociétés capitalistes étrangères, de l’électrotechnique et de
la direction scientifique et technique de l’industrie. Au XIVe Congrès du parti bolchevik, en décembre 1925, il est réélu membre titulaire du bureau politique.
Jusqu’alors, les principaux adver-
saires de Trotski ont été Zinoviev et Kamenev et non point Staline. Mais celui-ci écarte Kamenev et Zinoviev et combat avec vigueur Trotski, qui s’allie avec ses deux anciens ennemis.
Cependant, Staline représente la majo-downloadModeText.vue.download 559 sur 631
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 19
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rité du parti, désireuse de poursuivre la NEP et de construire le socialisme dans un seul pays, tandis que Trotski inquiète les paysans, qui craignent le retour de la guerre.
Exclu du bureau politique en octobre 1926, Trotski a le soutien d’environ 190 des membres du parti ; il doit quitter le Comité central du parti bolchevik en octobre 1927, puis le parti lui-même en novembre de la même année.
Jusqu’en 1927, la lutte est restée une lutte d’idées et s’est située sur le plan politique. Mais Staline et la majorité du parti, inquiets des manifestations organisées par l’opposition à Moscou et à Leningrad à l’occasion du dixième anniversaire de la révolution d’Octobre, décident de recourir à des mesures répressives. Trotski est alors exilé au Kazakhstan (janv. 1928) et expulsé d’Union soviétique en février 1929.
L’exil
Dès lors, Trotski mène une vie errante d’émigré politique. L’Allemagne ayant refusé de l’héberger, il doit se réfugier en Turquie, à Prinkipo, dans l’archipel des Princes. De là, il continue à diriger l’opposition intérieure, mais avec de moins en moins de possibilités. Il vit de sa plume, écrivant de nombreux articles et rédigeant plusieurs ouvrages, dont une autobiographie, Ma vie, et une Histoire de la révolution russe. En même temps, il tente de grouper ses partisans à l’intérieur du Komintern
dans les différents partis communistes des autres pays. Mais ni en U. R. S. S.
ni dans le Komintern, ses efforts ne connaissent de grands succès : la plupart des anciens dirigeants de l’opposition se rallient à la politique du parti, dès lors dirigée d’une façon de plus en plus dictatoriale par Staline.
En novembre 1932, Trotski quitte la Turquie pour le Danemark, où il reste quelques semaines ; il veut entrer en Belgique, qui lui refuse le séjour, et s’installe un temps à Paris. Revenu à Prinkipo, il assiste impuissant, mais lucide, au triomphe de Hitler en Allemagne : il propose alors la création d’une nouvelle Internationale.
En juillet 1933, Trotski obtient un nouveau permis de séjour en France : il réside à Saint-Palais près de Royan, puis à Barbizon et dans l’Isère. En juin 1935, il quitte la France pour la Norvège, où il reste jusqu’en décembre 1936 ; il y publie deux pamphlets
(la Révolution trahie et l’École stalinienne de falsification, 1937). Durant ce temps, une vague de terreur s’est abattue sur l’U. R. S. S. : des centaines d’anciens amis ou adversaires de Trotski ont été arrêtés, jugés et fusillés.
La Norvège refusant de renouve-
ler un permis de résidence, Trotski gagne le Mexique. De sa villa, près de Mexico, il ne cesse — tout en soute-nant l’Union soviétique — de mener la lutte contre le stalinisme, affirmant, dans son Bulletin de l’opposition, la nécessité de la « révolution permanente ». Cependant, Trotski est poursuivi par la haine de Staline. Plusieurs attaques contre sa résidence de Mexico échouent, mais il est finalement mortellement blessé le 20 août 1940 (il mourra le lendemain) par un Espagnol, Ramón Mercader, que l’on soupçonne
— non sans raison — d’être un agent de la Guépéou.
J. E.
F Communisme / Internationales (les) / Lénine
/ Marxisme / Révolution russe de 1917 / Staline /
Trotskisme / U. R. S. S.
V. trotskisme.
trotskisme
Ensemble des courants politiques issus de la IVe Internationale, organisation fondée en 1938 par des éléments de l’opposition de gauche animée depuis 1924 par Lev Davidovitch Trotski*
dans le parti bolchevik russe et dans l’Internationale communiste.
Le mouvement trotskiste a été
influencé de façon décisive par les conceptions théoriques qui ont sous-tendu l’activité politique de son fondateur, et l’histoire du trotskisme est inséparable de l’histoire des querelles doctrinales qui, avant et après la mort de Trotski, ont secoué le mouvement.
Le trotskisme théorique
Toute la première partie de la vie publique de Trotski, et en particulier son activité en tant que révolutionnaire russe de 1905 à 1917 et en tant que membre du mouvement communiste international avant l’exil (1929), est liée à la théorie de la « révolution permanente ». Ébauchée par Marx en 1850, puis par le marxiste Alexander Helphand (ou « Parvus »), celle-ci fut élaborée et formulée pour la première fois par Trotski, après l’expérience de la révolution russe de 1905, dans Bilan et perspectives (1906).
Sous sa forme définitive (1929), la théorie affirme que la révolution du XXe s. doit être permanente en un triple sens : elle ne peut s’arrêter à une étape démocratique-bourgeoise ; elle ne peut être contenue dans des frontières nationales ; elle est une suite ininterrompue de bouleversements révolutionnaires qui caractérisent toute la période historique de passage du capitalisme au socialisme.