1. Dans les pays « arriérés » ou « coloniaux », la bourgeoisie locale est incapable de réaliser les tâches « démocratiques et nationales » de la révolution
« bourgeoise » (dont le modèle est la révolution française de 1789) ; ce qui, dans le cas de la Russie, par exemple, veut dire essentiellement le renversement de l’autocratie tsariste et l’abolition des rapports agraires « semi-féodaux ». Ces tâches ne sauraient être
réalisées que par la dictature du prolé-
tariat et sous la direction de son avant-garde organisée, avec l’appui des
masses paysannes. Par sa dynamique propre, la révolution démocratique se transformera directement en révolution socialiste, et deviendra ainsi une révolution permanente.
2. Mais la construction du socia-
lisme ne fait que commencer avec la conquête du pouvoir ; dans tous les pays, industrialisés ou non, elle impli-quera une lutte de classe à l’échelle non seulement nationale, mais aussi internationale : la révolution socialiste elle-même (et non seulement la révolution démocratique) a un caractère permanent.
3. Finalement, « la révolution socialiste devient permanente au sens nouveau et le plus large du terme : elle ne s’achève que dans le triomphe définitif de la nouvelle société sur toute notre planète ».
Cette théorie avait une conséquence pratique particulièrement importante : si les conditions russes (le développement « combiné », c’est-à-dire le mélange de développement et d’arrié-
ration) avaient permis à la Russie de commencer la révolution, elles ne lui permettraient pas de l’achever (de construire le socialisme) sur des bases nationales et sans le concours de la révolution dans les pays industrialisés.
Elle fut donc violemment combattue en 1924 par Staline et par ceux qui défendaient avec lui la théorie du « socialisme dans un seul pays », c’est-à-dire par les partisans du renforcement du pouvoir politique et économique des couches dirigeantes de l’U. R. S. S.
(dans le parti, dans l’industrie, dans l’armée, dans l’appareil étatique, etc.) indépendamment du développement de la révolution internationale.
Le trotskisme théorique devint
alors essentiellement, par la force des choses, un effort pour donner une réponse aux problèmes que posaient aux révolutionnaires le « stalinisme* »
et l’évolution de la société sovié-
tique. Pour Trotski, la doctrine « stalinienne » représentait les intérêts de la « bureaucratie » soviétique, couche
privilégiée et parasitaire qui, « exploitant les antagonismes sociaux », avait usurpé le pouvoir après la révolution.
La victoire de la bureaucratie (que Trotski situera, après bien des hésitations, en 1924), et donc la « dégénérescence » de la révolution, s’explique par l’« arriération » de la Russie et l’« isolement » de la révolution : il s’agit donc d’un « accident », résultat d’une combinaison « temporaire et exceptionnelle » de circonstances historiques.
La bureaucratie est une « caste », non pas une classe indépendante, mais une
« excroissance », une « tumeur » sur le prolétariat. Par conséquent, son ré-
gime est essentiellement instable, car il y a contradiction entre les nouveaux
« rapports de propriété » (fondés sur la nationalisation et la planification) hérités de la révolution d’Octobre et des « normes de répartition » de nature bourgeoise. Cette « société intermé-
diaire entre le capitalisme et le socialisme » ne peut donc échapper à une alternative : progrès vers le socialisme (qui conduirait inévitablement à la destruction du pouvoir de la bureaucratie) ou restauration capitaliste. L’Union soviétique reste un « État ouvrier »
(quoique « dégénéré »), car, aussi longtemps que les rapports de propriété créés par la révolution n’auront pas été abolis, le prolétariat y est la classe socialement (sinon politiquement) dominante. La révolution anti-bureaucratique sera donc politique et non pas sociale (puisqu’elle conservera le système fondé sur la propriété collective des moyens de production). Les révolutionnaires doivent défendre cet État « inconditionnellement » contre ses ennemis capitalistes : l’économie planifiée liée aux nouveaux rapports de propriété reste la seule chance de progrès historique pour l’humanité face au capitalisme en « décomposition ».
Le mouvement trotskiste
De 1924 à 1933, le mouvement trotskiste essaie d’être une opposition à l’intérieur du parti russe, d’abord, et plus tard dans le mouvement communiste international, en y menant, selon l’expression de Trotski, « une politique de réforme et non de révolution ». Il attire dans ses rangs des cadres et des dirigeants de l’Internationale, comme Chen Duxiu (Tch’en Tousieou) en
Chine, P. Tresso en Italie ou Andrés downloadModeText.vue.download 560 sur 631
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 19
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Nin (1892-1937) en Espagne ; mais, sauf quelques rares exceptions, ni ses effectifs ni son influence ne peuvent rivaliser avec ceux des organisations communistes officielles. En 1933-34
Trotski, après avoir fait le bilan de la politique désastreuse de la IIIe Internationale communiste en Allemagne et de l’évolution interne de l’U. R. S. S., affirme qu’il est nécessaire de construire une nouvelle Internationale, abandonnant tout espoir de transformer de l’intérieur les partis communistes et les institutions soviétiques. « L’opposition de gauche cesse définitivement de se sentir et d’agir comme une opposition. » Ce n’est qu’en 1936 que se tient la conférence qui créera le mouvement pour la IVe Internationale, et la fondation de l’Internationale elle-même ne sera proclamée qu’en 1938, sur la base du Programme de transition ré-
digé par Trotski. Fondation purement nominale : les groupes trotskistes sont faibles, et leur influence sur la classe ouvrière est dans la plupart des cas négligeable, dans une situation historique mondiale dominée par l’approche de la guerre. Ils sont en outre victimes de persécutions impitoyables, dont l’assassinat de Trotski par un agent stalinien en 1940 ne sera qu’une manifestation parmi d’autres. En outre, avant même la mort de Trotski, le mouvement est affaibli par le départ de ceux qui croient, au sein du groupe trotskiste américain notamment, que l’analyse trotskiste du phénomène russe est insuffisante, que la bureaucratie sovié-
tique est une nouvelle classe exploi-teuse et qu’il faut abandonner le mot d’ordre de « défense de l’U. R. S. S. ».
Pourquoi cet effort pour faire revivre, dans des conditions infiniment difficiles, un « parti mondial de la révolution » de type « bolchevik » ? La réponse se trouve dans la conception
« léniniste » des rapports entre le parti et la classe ouvrière, telle que l’entend Trotski : « La classe prise en soi n’est qu’une matière d’exploitation. Le rôle propre du prolétariat commence au
moment où, d’une classe sociale en soi, il devient une classe politique pour soi. Cela ne peut se produire que par l’intermédiaire du parti. Le parti est cet organe historique à l’aide duquel la classe acquiert sa conscience » (1932).
De là la volonté de construire à tout prix une « direction internationale de la révolution » qui a animé les dernières années de la vie de Trotski : celui-ci croyait en effet que « la crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire » (1938).
Le mouvement sera durement
éprouvé par la guerre, ayant à faire face à la double persécution du nazisme et du stalinisme. Si une première confé-