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La morphologie a pour procédé unique la suffixation et ignore l’opposition des genres, celle des nombres ne jouant qu’un rôle restreint. Le caractère syntaxique dominant est que la partie gouvernante d’une proposition grammaticale suit les parties gouvernées.

À l’exception de quelques rares

mots isolés apparaissant dans des

transcriptions étrangères, en particulier chinoises, on ne possède aucun document sur la langue turque antérieure aux grandes inscriptions écrites en Mongolie septentrionale au début du VIIIe s. À cette époque, le turc présente de remarquables phénomènes d’usure, qui prouvent l’ancienneté de son usage.

Il est clair que déjà il n’est pas unifié.

La différenciation entre les langues turques s’accroîtra au cours des temps, malgré de notables efforts d’uniformisation. De nos jours, les influences contradictoires qui s’exercent sur les divers peuples et leur entrée dans des univers culturels différents accentuent la séparation. La promotion de langues purement orales en langues littéraires écrites incite à noter les aberrations et le particularisme. Avant l’islām, le turc s’est transcrit en caractères appelés abusivement runiques, puis les caractères ouïgours se sont imposés dans toute l’Asie centrale. Après la conversion à l’islām, les caractères arabes, mal adaptés aux besoins de la langue, ont été employés. Dans le turc ottoman surtout, une foule de mots et de constructions arabo-persanes ont envahi le vocabulaire et la syntaxe.

Depuis 1928, la république de Turquie a adopté l’alphabet latin en modifiant quelques caractères. Les Turcs de

l’U. R. S. S. ont opté pour les caractères cyrilliques.

Le turquisme

Les Turcs n’ont jamais été réunis en un seul État, et l’on peut même dire que,

jusqu’à l’époque contemporaine, il n’y eut jamais un véritable État turc, c’est-

à-dire un État formé par une majorité de Turcs, gouverné par des Turcs et se déclarant lui-même turc. Au cours des siècles, la seule formation politique qui s’est désignée comme « turque » et que, paradoxalement, nous désignons le plus souvent par la transcription chinoise du terme tujue (t’ou-kiue), est en fait un empire fédératif. Cependant, jamais nous ne serons aussi près d’un véritable nationalisme. Ce n’est que depuis une date relativement récente que l’Empire ottoman se désigne lui-même sous le nom de Turquie, terme qui ne prend en fait toute sa valeur que depuis la révolution de Mustafa*

Kemal. Tout au contraire, les Turcs ont volontiers adopté pour des monarchies qu’ils fondaient un nom qui avait acquis auparavant une grande renommée : on désigne l’Empire turc des Indes comme l’empire des Grands Moghols*, les khānats du Turkestan par le nom d’un fils de Gengis khān, Djaghataï. Les Turcs, en fait, se sont trouvés presque constamment minoritaires dans des formations plurinationales, dont ils constituaient seulement, en général, la classe dirigeante. Cela est particulièrement vrai aux époques où ils apparaissent le plus clairement à la vue, époques précisément où lesdites formations forcent l’attention générale par leurs entreprises et leur ampleur.

Quand les Turcs vivent entre eux, c’est souvent au sein de communautés assez réduites, de la taille d’un clan, d’une tribu ou d’un groupe de tribus, et leur audience est alors si faible que nul ne parle d’eux. Leur histoire, dans bien des cas, semble se confondre avec celle des grandes puissances de l’Ancien Monde. Mais encore faut-il pouvoir distinguer dans quelle mesure les Turcs sont alors une caste dirigeante que tout sépare d’un peuple qui les tolère, dans quelle mesure ils s’appuient sur un peuplement, au moins partiel, de Turcs.

Malgré cette situation, il n’en a pas moins existé un sens de la parenté entre les divers groupes politiques turcs coexistants, sens qui fut parfois exploité sans vergogne par tel ou tel chef pour endormir les méfiances ou s’attirer des collaborations, mais qui eut aussi parfois des effets politiques

positifs ou négatifs : on vit des armées combattre mollement pour leur souverain légitime quand elles se trouvaient opposées à d’autres armées turques ; on vit plus souvent encore des luttes fratricides et un véritable acharnement à s’entre-détruire dans le but d’affirmer sa suprématie sur tous ceux de sa race. Assez curieusement, ce sens de la parenté semble souvent s’être étendu à des peuples ne parlant pas le turc, aux Mongols* par exemple.

Le turquisme est une invention

moderne dénuée de tout réalisme. Il a pris naissance dans l’Empire ottoman, à l’époque de sa décadence, comme

phénomène compensatoire des échecs successifs et comme conséquence

ultime du nationalisme importé d’Europe, virulent chez les chrétiens de l’Empire. Son principal agent fut Enver paşa (1881-1922), le général en chef ottoman de la Première Guerre mondiale, qui trouva la mort en poursuivant son rêve de regroupement des Turcs de l’Asie centrale. En Asie centrale même, le panturquisme s’est manifesté assez vivement lors de l’écroulement du tsarisme. Avant la Révolution déjà, des mouvements s’étaient affirmés pour l’unification des musulmans russes, mais ils étaient peut-être plus marqués par l’islām que par le turquisme (Hifak al-Muslimin, « Union musulmane », 1905). Il est difficile de dire ce qu’il peut rester aujourd’hui de cette espérance d’unifier tous les musulmans turcs d’U. R. S. S. en une seule nation. L’idée ne doit pas être entièrement morte.

La formation sans cesse recom-

mencée d’empires plurinationaux, la colonisation répétée de régions originellement non turques ont provoqué la turquisation de Mongols, de Sogdiens, de Persans, de Grecs... Pas plus que les autres « races* », la « race turque »

ne saurait donc être pure : il suffit de comparer le faciès méditerranéen d’un Turc de l’Égée et le faciès « jaune »

d’un Turc d’Extrême-Orient pour s’en rendre compte. Et cependant, à travers le temps et l’espace, les Turcs pré-

sentent incontestablement un certain nombre de caractères communs. Ces

caractères nous surprennent d’autant plus que les Turcs ont été chasseurs,

éleveurs, agriculteurs ou citadins, qu’ils ont embrassé, après leur chamanisme, le bouddhisme, le christianisme, le manichéisme, le judaïsme, l’islām. Il est instructif de retrouver en Anatolie, après huit siècles d’islamisation, des faits de civilisation appartenant aux Tujue (T’ou-kiue) de Mongolie. De grands traits du génie turc ne peuvent manquer de frapper l’observateur. Il serait sans doute trop facile de dire que les Turcs ne doivent qu’à la seule puissance de leurs armes cette aventure permanente qui les conduit à la conquête, qui les fait monter sur des trônes étrangers : ils ont incontestablement le don du pouvoir, ils ont un goût impérial. Leurs empires, d’ailleurs, offrent tous une image uniforme : ce sont des mosaïques de peuples, qu’un pouvoir fortement centralisé s’efforce de faire vivre harmonieusement ensemble.

Même après s’être adonnés à l’islām avec un fanatisme certain, les Turcs ont conservé un respect de la religion d’autrui, un intérêt pour elle qui répond à leurs plus anciennes dispositions intellectuelles. De tout temps, ils ont eu la crainte des prêtres, la curiosité des mystères, un goût pour le syncrétisme et plus encore pour la controverse. Il n’est pas un royaume turc où l’on ne puisse voir s’organiser les Églises, où l’on ne puisse assister à des rencontres entre théologiens, où l’on ne puisse trouver des décrets exonérant d’impôts les religieux ou les favorisant. Les Turcs ont un sens de l’ordre, de la classification, ce qui les prédispose aux sciences mathématiques, les pousse à amasser les archives. Ils ont le souci d’être des traducteurs, des intermédiaires entre les civilisations.