Au IXe s., les Khazars commencent
à décliner. La grande pression oghouz en Asie centrale refoule les Petchénè-
gues de la région de l’Oural, les jette sur l’Empire khazar, chasse les Magyars et les font refluer à la fin du IXe s.
entre Don et Danube, puis en Europe centrale. Les Petchénègues, qui ne cessent de progresser vers les Balkans, sont, contrairement à leurs prédécesseurs, de continuels adversaires pour Byzance, dont ils attaquent les territoires à maintes reprises : ainsi en 934, en 944, en 1026, en 1064, en 1087, en 1090. Ils font courir à l’Empire un de ses plus grands dangers. Il est vraisemblable qu’ils l’auraient finalement dé-
truit sans l’arrivée de nouvelles hordes turques, celles qui sont connues sous le nom de Coumans, de Polovtses ou de Qiptchaqs : en avril 1091, Byzantins et Coumans coalisés déciment les Petchénègues. Ceux-ci survivront tant bien que mal jusqu’à leur liquidation totale en 1122.
Selon Gardizi, les Qiptchaqs fai-
saient partie des Turcs kimeks, qui vivaient primitivement en Sibérie, sur le moyen Irtych ou sur l’Ob, et qui semblent avoir été proches linguistiquement des Oghouz. Vers le milieu du XIe s,, ils se séparèrent des Kimeks et, chassant devant eux un groupe
d’Oghouz, envahirent l’Europe. Quand ils furent débarrassés des Petchénègues et que les Oghouz eurent été massacrés par les Byzantins et les Bulgares dans les Balkans, ils restèrent seuls maîtres des steppes du nord de la mer Noire.
Leur impact sur celles-ci fut si fort que le khānat fondé par Gengis khān en cette région ne portera pas d’autre nom que le leur.
Les contacts des Turcs et
de l’islām
Un acte de violence commis par un
Chinois sur la personne d’un roi turc de Tachkent en 750 amène son successeur à faire appel aux Qarlouqs, vivant alors entre l’est du lac Balkhach et l’Irtych, et aux Arabes installés à Boukhara. L’armée chinoise est écrasée par les coalisés en 751 sur les bords du Talas : la Chine perd toute influence en Asie centrale, et l’islām acquiert les premières conditions nécessaires à sa future implantation. Cependant, les poussées exercées en sens contraire par les Turcs et les Arabes se neutralisent.
Les musulmans font alors de grands efforts pacifiques pour pénétrer en Asie centrale, et les Turcs ne tardent pas à s’introduire dans le monde musulman comme mercenaires, plus exactement comme mamelouks, c’est-à-dire comme « esclaves ». Dès 836, ils sont si nombreux et si gênants à la cour des
‘Abbāssides* que ceux-ci, pour les éloigner de Bagdad, fondent une nouvelle capitale, Sāmarrā. En théorie, on peut admettre que l’adhésion à l’islām de ces mercenaires est purement formelle, et il est exact que ceux-ci conservent et introduisent sans doute en islām bons traits de leur culture : il est peu aventureux de leur attribuer par exemple la mode qui se répand alors d’ériger des mausolées pour les princes et les saints ou encore la nouvelle image qui s’impose à l’iconographie du souverain en majesté, assis sur ses jambes repliées. En fait, nombre d’entre eux sont très attachés à leur nouvelle foi.
Pour satisfaire leur désir d’accomplir le pèlerinage, le calife doit se résoudre, chose inouïe, à faire édifier à Sāmarrā
une Ka‘ba en réduction. Leur situation et leur nombre leur donnent un rôle qui devient vite essentiel : chefs d’armée, gouverneurs de région, ils détiennent
souvent la réalité du pouvoir. Ainsi, au milieu du IXe s., ibn Ṭūlūn, fils d’un mercenaire turc d’Iraq, est envoyé comme gouverneur en Égypte, où il
fonde sa propre dynastie, celle des Ṭūlūnides ; ainsi, sous al-Mutawak-kil, Bughā al-Kabīr († 862) dirige les troupes califales en Arménie ; ainsi, sous al-Muntaṣir et al-Musta‘ṣim,
Bughā al-Charābī († 868) est le vrai chef du gouvernement ‘abbāsside. Il va sans dire que l’armée que les Turcs ont constituée, très efficace en général, devient beaucoup moins sûre quand
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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 19
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elle affronte d’autres Turcs demeurés païens ou fraîchement convertis.
À l’exemple des ‘Abbāssides, les
royaumes qui se sont constitués en Iran ont fait appel à des mamelouks turcs.
Parmi eux, celui des Sāmānides monte la garde aux frontières de l’Asie centrale païenne et s’étend jusqu’au Talas et au Fergana. Sous le règne d’‘Abd al-Malik Ier (954-961), le mamelouk Alp Tigin (ou Alp-Tegīn), commandant en chef de la garde, se fait nommer gouverneur du Khorāsān. Destitué par son successeur, Manṣūr Ier (961-976), il se retire à Balkh (Bactres), puis à Rhaznī
(Ghaznī), ville déjà aux mains de populations turques, où il pose les premières pierres d’un État, dont la direction sera reprise en 977 par un autre esclave turc, Sebük Tegin (ou Subūk-Tegin).
Celui-ci se rend maître des régions de Balkh, de Kunduz, de Kandahar et de Kaboul, puis, en 995, du Khorāsān.
Pour la première fois se trouve constitué en terre d’islām un empire turc et musulman, celui des Rhaznévides*
(ou Ghaznévides). Sous le règne de Maḥmūd de Rhazna (999-1030), le
plus glorieux des princes de la dynastie, les Rhaznévides entreprennent la conquête de l’Iran. En même temps, ils pénètrent dans l’Inde du Nord, sur laquelle, de 1001 à 1030, ils ne lancent pas moins de dix-sept expéditions du Pendjab au Kāthiāwār, au cours desquelles Gwālior est pillée (1020-21) et les temples de Mathurā et de Somnāth sont détruits. La capitale, Rhaznī, est
alors une immense cité, capable de rivaliser avec Bagdad, où, malgré des coutumes turques encore tenaces, fleurit une véritable renaissance de l’iranisme. Les souverains y attirent l’élite intellectuelle de l’Orient. Dans cette société brillante se détache une étoile de première grandeur, Firdūsī*, l’auteur du Livre des rois (Chāh-nāmè).
Les Rhaznévides disparaissent sous les coups conjugués d’une puissance turque musulmane qui ne tarde pas
à se former, celle des Seldjoukides, et des princes afghans de Rhūr, les Rhūrides. Bien que de race iranienne, les Rhūrides intéressent l’histoire turque par leurs propres mamelouks.
Se considérant comme les héritiers des Rhaznévides, ils poursuivent avec ténacité les raids en Inde. En 1193, ils entrent dans Delhi, où ils laissent leurs mercenaires fonder la première dynastie musulmane dans ce pays, celle des Mamelouks, ou Esclaves (1206-1290).
Jusqu’au XVIe s., Afghans et Turcs plus ou moins iranisés se succéderont à la tête des monarchies musulmanes indiennes.
Les Karakhānides
Pendant que se déroulent ces événements, l’activité missionnaire et diplomatique des Arabes et des Persans en Asie centrale a commencé à porter
ses fruits. Une grande part de légende et bien des incertitudes entourent la conversion à l’islām de la maison
des Karakhānides (ou Qarakhānides).
Selon la tradition, ce serait vers 960
que Satuq Bughrā khān, roi de Kachgar et descendant de la tribu oghouz des Iagmas, aurait embrassé la religion musulmane, entraînant à sa suite un peuple de 200 000 tentes. Mais
Satuq serait mort vers 955, et l’ono-mastique des princes de sa famille ne confirme guère les données des chroniqueurs. Quoi qu’il en soit, dans la seconde moitié du Xe s. et pendant tout le XIe s., les oasis du Tarim occidental, les vallées du Talas et du Tchou s’islamisent en profondeur. Les traditions de ce pays, auparavant bouddhiste ou nestorien, subissent un changement radical. Une acculturation rapide
des Turcs donne des résultats savoureux. À Bughrā Khān Hārūn († 1102) aurait été dédié le célèbre Kutadgu Bilig (Art de régner), écrit en turc par