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Quelques îlots de hêtres s’observent également dans l’Istranca, en Thrace, et même dans le Taurus et l’Amanus, mais les montagnes de l’Ouest et du Sud sont essentiellement le domaine de

« forêts sèches », adaptées au long été sec méditerranéen. Elles comportent sur les côtes égéennes et méditerranéennes un étage inférieur — jusque vers 1 000 m d’altitude — à Pinus bru-tia, correspondant à peu près à celui de l’olivier. Vers l’intérieur, la zone du climat de transition subméditerranéen ou de l’étage méditerranéen montagnard est surtout caractérisée par des chênes verts ou des chênes à feuilles caduques ; l’un de ceux-ci, le chêne à vallonnée (Quercus aegylops), naturel entre 600 et 1 000 m d’altitude, a été largement dispersé par l’homme, en peuplements protégés au milieu

des champs cultivés (en raison de la richesse du gland en tanin), dans toute l’aire de rayonnement des ports de la façade égéenne. En altitude, les forêts sèches s’adaptent aux hivers froids. Le pin noir et le pin sylvestre dominent, associés à des sapins (sapin de Cilicie, en expositions humides de 1 200 à 2 000 m dans le Taurus), à des cèdres (de 1 500 à 2 300 m dans le Taurus) et à des genévriers.

En Anatolie intérieure, ce sont des steppes qui dominent le paysage, à peine entrecoupées de rubans de saules ou de peupliers le long des cours d’eau temporaires. Elles recouvrent même la plus grande partie de la haute Anatolie orientale ou le coeur de la péninsule lycienne, naturellement boisés. C’est le résultat d’une action humaine intense et prolongée. On a prouvé que la formation végétale naturelle de l’Anatolie centrale, à peu près totalement déboisée aujourd’hui dans le triangle Ankara-Konya-Kayseri, était une fo-rêt-steppe boisée à près de 50 p. 100

et qu’il en était de même de la steppe de la Thrace centrale, dans le bassin de l’Ergene, dont des traces de boqueteaux de chênes montrent le caractère anthro-pogène. Le processus de déboisement a été particulièrement actif et précoce

— dès le Néolithique et le Bronze —

sur ces hauts plateaux subarides, où la forêt, peu résistante, disparut de bonne heure. Rapide ensuite dans les bassins intramontagnards et les plaines péri-phériques lors des époques de pression démographique et de prospérité rurale des temps hellénistiques et de la paix romaine, le mouvement se ralentit ou même se renversa lors des invasions

nomades turques du Moyen Âge, qui entraînèrent, avec la baisse de densité de la population, de nombreuses reprises forestières, manifestes dans l’ensevelissement, sous la végétation arborescente, de nombreuses ruines antiques. Mais le déboisement a repris activement sous l’effet de la pression démographique contemporaine,

qui, depuis un siècle et demi environ, accélère de nouveau les dévastations et provoque la destruction des forêts de montagne, jusqu’ici à peu près intactes. Le taux de boisement officiel de 13 p. 100 ne correspond guère à la réalité en raison des très nombreuses surfaces buissonnantes ou dégradées.

Dans toute l’Anatolie intérieure, le combustible paysan par excellence

reste le tezek, les déjections séchées du bétail, qu’on peut voir partout sécher en galettes plaquées aux murs des maisons ou en boules amoncelées devant les demeures. La situation du tapis végétal reste, néanmoins, relativement favorable par rapport à celle d’autres pays du Moyen-Orient (Iran, montagnes du Levant), exprimant une évolution historique dominée pendant des siècles par un nomadisme « conservateur de la nature ».

L’évolution des genres de

vie et du peuplement

La turquisation de l’Anatolie

Le tournant essentiel de l’évolution humaine du pays est, en effet, constitué par les invasions nomades turques, qui, downloadModeText.vue.download 620 sur 631

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 19

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après la bataille de Mantzikert (1071), vont très rapidement modifier le peuplement et la physionomie de l’Asie Mineure. Celle-ci avait connu dans l’Antiquité et aux premiers temps de l’époque byzantine une grande prospérité rurale, fondée sur la culture pluviale des céréales et sur les arbustes méditerranéens (olivier, figuier, vigne), qui ourlaient ses franges d’un manteau continu et avaient même largement

pénétré dans les bassins intérieurs du plateau. Le nomadisme en tant que

genre de vie demeurait inconnu. Ce tableau n’avait pas été modifié de façon décisive par les invasions et les razzias des Arabes, dont les tribus n’avaient jamais pu se naturaliser sur le haut plateau, où le froid hivernal rebutait leurs dromadaires. Leurs ravages avaient, cependant, provoqué certainement une régression déjà notable de l’occupation du sol.

Il serait, en effet, difficile de comprendre autrement l’extraordinaire rapidité du bouleversement ethnique qui, en un peu plus d’un siècle, allait faire de l’Anatolie la « Turquie », terme déjà employé pour désigner le pays dans les sources occidentales de la fin du XIIe s., et naturaliser jusque sur les rives de la Méditerranée un peuple nomade issu des steppes froides de la haute Asie. Arrivant par vagues successives expédiées systématiquement à la guerre sainte par les sultans seldjoukides d’Iran et encore en groupes importants lors de l’invasion mongole au XIIIe s., les nouveaux venus, avec leurs chameaux de Bactriane, plus ou moins métissés de dromadaires, adaptés aux froids d’hiver des hauts pays, submergèrent rapidement les steppes du haut plateau, où ils pouvaient hiverner dans de bonnes conditions, et les massifs montagneux, où ils trouvaient leurs pâturages d’été (yayla). C’est là, notamment dans les bassins intérieurs des chaînes Pontiques, à proximité de montagnes où ces nomades des

steppes froides recherchaient en été la fraîcheur et les eaux courantes, que se trouvent en la plus grande abondance les toponymes de la couche la plus ancienne (noms des grandes tribus encore cohérentes au moment de l’invasion), indices de la première sédentarisation.

En revanche, ceux-ci manquent totalement dans les régions littorales, simple domaine de razzias temporaires dans le voisinage des nombreux points fortifiés que les Byzantins y tinrent pendant plusieurs siècles. Ces plaines côtières retournèrent bientôt à une brousse inculte et paludéenne. Sur le plateau, une certaine continuité de l’occupation du sol put, cependant, être assurée dans le voisinage des centres urbains, qui se maintinrent en s’assimilant à la culture islamico-iranienne des envahisseurs, dans les cadres de l’administration

seldjoukide. La toponymie permet d’y délimiter d’importants foyers ruraux où put se maintenir la population pré-

existante, cependant que les montagnes étaient totalement bédouinisées. Il faut signaler des exceptions à cette submersion nomade. Les tribus des steppes ne purent jamais triompher de l’obstacle forestier, en particulier de celui de la frange littorale est-pontique, qui, avec son humidité constante et sa végétation épaisse, se révéla imperméable aux pasteurs et à leurs chameaux, et qui abrita jusqu’en 1461 l’empire de Trébizonde*, ultime point d’appui de l’hellénisme. La turquisation de cette côte, où les nomades ne pénétrèrent jamais, ne s’acheva que dans les temps modernes, par infiltration de paysans des hautes terres et a laissé subsister des noyaux linguistiques antérieurs.

Un rôle analogue sera tenu par les reliefs boisés du Taurus oriental, qui protégèrent jusqu’au XIVe s. l’État de Petite Arménie, centré sur la plaine cilicienne, où se replia l’État arménien après l’invasion du plateau.

Les transformations du

nomadisme

La fixation des nomades progressa

beaucoup plus rapidement en Anatolie occidentale. Dès le XVe s., ils y font nettement figure de minorité et reçoivent le nom spécifique de yürük (« ceux qui marchent »), qui les désigne encore aujourd’hui pour les différencier des paysans, tandis qu’à l’est du Kızıl ırmak ils conservent le vieux nom de Turkmènes (augmentatif de Turcs, au sens de « pur », « robuste »), connu depuis l’Asie centrale. Devant la pression constante des paysans qui se multiplient sur le plateau, ces yürük de l’Ouest doivent chercher de nouveaux quartiers d’hiver. Ils les trouveront dans la brousse insalubre et inculte des plaines littorales abandonnées, des grandes vallées égéennes à la plaine pamphylienne et à la plaine cilicienne, qu’ils associent à des quartiers d’esti-vage dans le Taurus ou les hauts blocs de l’Anatolie occidentale. Dès lors sont constitués les itinéraires de nomadisme qui persisteront jusqu’à nos jours.