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Les conséquences géographiques ont été capitales. Partout la limite supé-

rieure de l’habitat permanent remonte en altitude sur les flancs des massifs montagneux, naguère encore livrés aux parcours d’été des nomades et où se multiplient les habitats temporaires estivaux des paysans, bientôt transformés en hameaux permanents. De même, la steppe centrale, occupée il y a un demi-siècle par un petit nombre de gros villages éclatant en été en un très grand nombre de yayla (situées à peu près à la même altitude que les villages d’hiver) a vu beaucoup de ces dernières devenir aujourd’hui des habitats permanents.

Par ailleurs se sont produits de vastes mouvements de migrations internes et de redistribution régionale de la population. Les basses plaines de la façade égéenne et méditerranéenne, désertées après les invasions turques et livrées aux quartiers d’hiver de nomades, ont été recolonisées progressivement par des paysans du haut pays, associés en grand nombre aux nomades fixés et aux muhacir. Ce repeuplement peut être considéré aujourd’hui comme achevé, et ces bassins de la Marmara, ces fossés de l’Égéide, ces plaines de Pamphylie et de Cilicie sont devenus de riches régions d’agriculture spécialisée. Sur la façade septentrionale, les plaines deltaïques du Yeşil ırmak et du Kızıl ırmak, les bassins paphlagoniens ont, de même, été repeuplés par des émi-

grants dont le principal foyer d’origine est constitué par l’est du littoral pontique, où la continuité de l’occupation du sol à l’abri des ravages des nomades a permis de très fortes accumulations humaines, atteignant plus de 3 millions de personnes sur cette frange côtière étroite et les pentes abruptes qui la dominent. Ces émigrants sont également nombreux à Istanbul, où ils sont signalés en groupes compacts dès le XVIIIe s., et ont même poussé des avant-gardes jusque dans les régions égéennes. Les bassins de l’intérieur des chaînes Politiques centrales et de leur rebord interne, autre secteur de sédentarisation précoce et de population dense, sont un autre foyer notable d’émigration.

La vie rurale

Une paysannerie mobile et

techniquement peu évoluée

Ce sont la mobilité et les nombreuses formes de transition entre nomadisme et vie sédentaire qui dominent la vie rurale anatolienne. Les nomades,

certes, ne doivent plus guère dépasser aujourd’hui la centaine de milliers de personnes. C’est seulement dans l’Est qu’il s’agit encore de groupes cohé-

rents, grandes tribus kurdes oscillant entre le haut plateau en été (bassin du haut Tigre et région au sud du lac de Van) et le piémont du Taurus oriental en hiver. En Anatolie occidentale ne subsistent que des groupes de quelques familles, louant aux villageois leurs pâturages d’hiver et refoulés en été vers des alpages de plus en plus éle-vés ; il s’agit là d’un nomadisme de pauvres, que le prix trop élevé de la terre empêche de se fixer. En revanche, le semi-nomadisme, type normal des relations humaines entre les plaines périphériques de l’Anatolie, d’une part, et les montagnes du Taurus et des chaînes Pontiques, d’autre part, reste très généralisé, avec des déplacements, généralement aujourd’hui de moins de 100 km d’envergure, qui ont le plus souvent pris la succession directe des itinéraires du nomadisme. Il intéresse sans doute plusieurs millions de personnes. Le semi-nomadisme inverse, forme la plus ancienne, mais aussi la plus rare, correspondant à une fixation

sur le haut plateau anatolien avec hi-vernage dans les plaines basses, ne pré-

domine à l’échelle régionale que dans la péninsule lycienne, zone de fixation précoce face à la frontière byzantine, où il a abouti aujourd’hui à un système de villages doubles, associés par des migrations saisonnières régulières à la suite de la transformation des quartiers d’hiver en habitats permanents dans la basse Lycie ou l’ouest de la plaine pamphylienne. Le semi-nomadisme direct est la forme la plus fréquente, correspondant à une fixation dans les plaines basses, qui a été la forme récente d’évolution du nomadisme lorsque

l’attraction des cultures commerciales subtropicales des marges littorales a commencé à prédominer. Relativement élaborées sous le climat frais en été des régions pontiques, les habitations d’été sont beaucoup plus sommaires (tentes ou abris rudimentaires) dans les régions méditerranéennes.

À l’intérieur des vallées monta-

gnardes du Taurus ou des chaînes

Pontiques ainsi que sur le haut plateau anatolien, où les migrations peuvent s’organiser sur les flancs des blocs montagneux tout proches, la forme

de mobilité est une vie pastorale de type alpestre, à déplacements estivaux à courte distance (de 2 à 3 heures de marche au plus) et à l’intérieur du territoire communal. Dans la steppe centre-anatolienne, où les contrastes de relief sont insignifiants, ces migrations estivales se développent vers des fonds marécageux situés souvent à une altitude inférieure à celle du village. Enfin, partout s’observent de nombreuses

persistances de migrations estivales dans la vie sédentaire : parfois tentes déployées pour quelques mois à côté de la maison principale, fréquemment maisons de jardins ou abris au milieu des champs, mais à proximité immé-

diate de l’habitat d’hiver, où l’on va passer quelques mois de la belle saison.

La mentalité nomade subsiste dans la vie rurale, alors qu’elle n’a plus de justification économique.

Cette filiation nomade se marque encore dans les insuffisances techniques de l’agriculture turque. La culture est essentiellement pluviale, et la part de l’agriculture irriguée n’est guère que

de 6 p. 100 de la surface cultivée. La culture en terrasses est à peu près inconnue, alors qu’elle serait très nécessaire pour l’aménagement des pentes et la lutte contre l’érosion du sol. La liaison avec l’élevage reste limitée au simple parcours du bétail sur les jachères, et les cultures fourragères, en particulier la luzerne irriguée, si importantes dans les oasis persanes, sont à peu près inexistantes, ne prenant guère de place qu’à partir de la haute Anatolie orientale. Les instruments de dépiquage (tribulum et plaustellum) restent ceux de l’agriculture antique.

En revanche, la tradition arboricole méditerranéenne s’est fortement dé-

gradée en de nombreux points depuis l’arrivée des pasteurs des steppes, et la grande majorité des oliviers antiques sont retournés à l’état sauvage dans le maquis, où ils restent non greffés.

Expression de l’activité de nomades peu à peu fixés et privés de tradition sédentaire, l’agriculture turque reste avant tout une agriculture pluviale sans ménagements pour la terre.

Les paysages agraires et l’habitat L’organisation de l’occupation du sol révèle la même impression d’imperfection et d’inachèvement. Il n’y a guère de régions continues de paysages agraires homogènes, mais plutôt une mosaïque très complexe de villages et de terroirs, parvenus à des degrés différents d’évolution, en fonction de la plus ou moins grande ancienneté de la fixation. Les villages, en ordre lâche à l’origine, se tassent peu à peu, au moins dans les plaines où les terroirs sont suffisamment fertiles pour absorber une population croissante. De toute façon, l’habitat groupé prédomine très nettement. L’habitat dispersé existe çà et là dans certaines vallées tauriques et dans les basses plaines égéennes et méditerranéennes, où il exprime la fixation récente le long des routes de nomadisme, postérieurement à la fin de l’insécurité, soit depuis un siècle environ. Les seules régions d’habitat dispersé intégral se trouvent en pays montagneux, dans l’est des chaînes Pontiques et sur le littoral correspondant, refuges sédentaires restés à peu près imperméables aux nomades.