Auguste a ainsi créé une pyramide sociale dans le cadre d’une citoyenneté mieux définie. Mais ce n’était pas pour figer la société ; tout au contraire, les promotions prirent le caractère de récompenses légitimes. L’empereur a suscité un rythme d’évolution régulier dans une société hiérarchisée.
Cet équilibre retrouvé ne pouvait être fondé que sur une restauration des moeurs, qui avaient connu dans les tourmentes intérieures un affaiblissement et un abaissement considérables.
Auguste exigea d’abord une bonne tenue générale dans les manifestations publiques, religieuses en particulier. La
« gravité » romaine devait être ressentie par tous ; les citoyens se virent obligés de paraître en toge au spectacle ; chacun y eut sa place selon son rang (les sénateurs occupaient les premiers bancs) et tout désordre fut exclu (les femmes furent reléguées dans les rangs supérieurs, qui leur étaient strictement réservés). Ce n’était encore que peu de chose. La réforme des moeurs reposa en fait sur deux points : le retour aux traditions antiques et la restauration du groupe familial.
Le retour aux traditions antiques n’est que le reflet d’un courant géné-
ral du temps dans une opinion lassée des turpitudes et du manque d’équilibre d’une société perpétuellement à la recherche du plaisir et de la richesse.
Le retour sur le passé est marqué par la
critique du luxe, que l’on trouve chez un poète comme Horace, et qu’Auguste traduit dans sa vie de tous les jours par la simplicité de sa maison, de son habillement, de ses goûts, par une fruga-lité qui passe pour être celle du « vieux Romain ». L’effet ne fut pas totalement convaincant, mais le luxe se fit, pendant quelque temps, moins provocant.
Il en fut de même quand Auguste voulut remettre en honneur les anciennes vertus militaires ; l’empereur, pourtant lui-même médiocre soldat, fit du service militaire une condition nécessaire pour accéder aux magistratures. La restauration souhaitée par Auguste devait aussi passer par le retour à une juste appréciation des valeurs de la terre, qui avaient fait la puissance de Rome ; le travail de la terre était le réceptacle des anciennes vertus de Rome. Virgile sut utiliser et répandre ce thème ; la reconstitution morale de la cité devait passer par cette idéologie de la terre.
De plus, ce fut un moyen pour Auguste de faire admettre les dons de terre, en Italie, à ses vétérans.
Auguste attribuait une importance capitale à la restauration de la cellule familiale. Plusieurs lois, prises sur proposition de l’empereur lui-même, limitèrent les héritages des célibataires (les femmes furent même soumises à un impôt spécial) ; les citoyens avaient le devoir non seulement de se marier, mais aussi d’avoir des enfants ; des avantages pouvaient être accordés aux pères de famille. De plus, Auguste porta le fer dans une des plaies purulentes de la société de son époque, l’adultère, qui se pratiquait sans gêne dans l’aristocratie (le prince lui-même l’avait pratiqué au temps de sa jeunesse) ; désormais, la relégation dans les îles et la confiscation des biens attendaient les coupables.
Auguste relève
la religion
La divinisation post mortem de son père par l’élan populaire avait fait comprendre à Octave combien le sentiment religieux pouvait servir sa politique.
D’ailleurs, sa carrière est jalonnée par son accession aux sacerdoces les plus importants ; dès 48, César l’avait fait entrer dans le collège des pontifes ;
entre 42 et 40, il est augure, puis, avant 35, il pénètre dans le collège des Quin-decemviri sacris faciundis. Entre 24
et 16, il fait partie de tous les autres grands collèges : épulon, fétial, frère arvale en particulier. Enfin, en 12 av. J.-
C., il devient grand pontife. Il est ainsi le chef de la religion traditionnelle et le garant des plus anciens cultes de la cité. C’est le couronnement de l’aspect sacré de sa personne, mais l’empereur n’en avait pas eu besoin pour réaliser ses principales réformes religieuses ; l’aura sacrée que lui avait conférée le titre d’Augustus lui avait permis de tout entreprendre dans ce domaine ; de plus, depuis 29, ne possédait-il pas le droit de créer tous les prêtres, et même d’en nommer en surnombre ?
Son oeuvre religieuse est marquée par l’affirmation de son traditionalisme. Celui-ci transparaît dans son attachement au rétablissement des collèges les plus vénérables : Auguste rend vie aux fétiaux et aux saliens ; il soutient de ses subventions les frères arvales. Il fait reprendre les plus vieux rites interrompus depuis plusieurs an-nées, comme la course des luperques autour du Palatin, comme la fermeture du temple de Janus, marque de la paix revenue, comme les féries latines en l’honneur du Jupiter des monts Al-bains. Cette attitude se traduit aussi par la construction de temples dans Rome ; Auguste a pu se vanter d’avoir restauré quatre-vingts temples dans la ville ; c’était, pour lui, la preuve matérielle éclatante de la place prééminente qu’il donnait aux dieux. Ce côté « traditionaliste » a sa contrepartie dans une tendance antiorientale prononcée ; elle est due, en très grande partie, à la lutte contre Antoine, qui, nouveau Dionysos, avait voulu symboliser le triomphe de l’Orient. Dès 28, les chapelles privées des divinités égyptiennes Isis et Sérapis sont supprimées ; le culte de Cybèle est ensuite transformé en culte romain par la suppression des rites orientaux. Enfin, Auguste montra toujours une certaine méfiance à l’égard du dieu des Juifs.
En suivant cette politique, il peut sembler qu’Auguste veuille restreindre Rome au cercle de ses anciennes divinités. Mais il fait un choix parmi les
dieux ; son choix est personnel, mais souvent dicté par des nécessités politiques. C’est pourquoi il est possible de parler de divinités proprement
« augustéennes ».
L’empereur met en valeur, pour
des raisons avant tout dynastiques, les cultes de Mars et de Vénus, invoqués sous les noms de Venus Genitrix (la Mère) et de Mars Ultor (le Vengeur).
Ils proclament tous deux l’immortalité de César puisqu’ils passent pour être les ancêtres de la famille des Iulii, et donc d’Auguste lui-même. Près du vieux Forum républicain s’élevèrent bientôt les temples de ces deux divinités « familiales ». Le temple de Mars, vengeur de la mort de César (Octave l’a promis au dieu en 42, à la veille de la bataille de Philippes), devient rapidement le mémorial des gloires militaires de Rome ; on y dépose les ornements triomphaux, et le sénat peut s’y réunir pour décider de la guerre.
Mais, à cette époque, un dieu prend la première place ; c’est le protecteur personnel d’Auguste, Apollon. Ce choix reste peu clair ; il s’explique peut-être parce qu’Apollon était le dieu protecteur de sa famille (Octave ne passait-il pas pour être né de la visite qu’Apollon, sous la forme d’un serpent, fit à sa mère ?) ; et, sans doute, surtout parce que, du haut du promontoire d’Actium, Apollon avait présidé à la victoire décisive d’Auguste sur Antoine. Le princeps lui fit construire le plus grand temple de Rome, sur le downloadModeText.vue.download 550 sur 561
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 2
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Palatin, près de sa demeure. Les céré-
monies en l’honneur d’Apollon furent le point culminant des jeux séculaires de 17 av. J.-C ; il a redonné pour une nouvelle période de cent dix ans toutes les forces de la jeunesse à Rome ; il est devenu le garant de l’harmonie de l’univers, de la paix et des temps heureux qui attendaient les Romains. Cet
« apollinisme » s’accompagna d’une perte de prestige de la triade capito-line ; le temple de Jupiter, Junon et Minerve perdit le privilège de conserver
les Livres sibyllins, qui furent transfé-
rés dans le temple d’Apollon.
Cependant, l’action d’Auguste ne trouva pas là son terme. Tout son règne fut marqué par des essais de valorisation sacrée de sa personne. Certains aspects de son action religieuse accentuèrent l’aura que le titre d’Augustus lui avait déjà donnée. C’est ainsi que, devenu grand pontife, il n’alla pas, comme il était naturel, habiter la Regia, sur le Forum. Mais il rendit publique une partie de sa demeure, qui se trouvait sur le Palatin, à côté du temple d’Apollon ; il y fit construire un autel de Vesta. C’est désormais dans son domaine que se trouvait le centre de la religion officielle romaine.