Jusque-là, Uccello ne semble pas
s’être beaucoup écarté d’une esthé-
tique imposée par la tradition. L’an-née 1436 marque un tournant de sa carrière et son adhésion résolue aux principes de la Renaissance : dans la nef de la cathédrale Santa Maria del Fiore, il peint le monument équestre de John Hawkwood (Giovanni Acuto), un condottiere anglais qui avait été au service de Florence. Cette fresque monochrome imite la ronde-bosse, mais il faut noter qu’elle est antérieure aux vraies statues équestres de Donatello et de Verrocchio*. À la même époque se situent quelques fresques controversées de la cathédrale de Prato. En 1443, Uccello donne, avec Ghiberti, Donatello et Andrea* del Castagno, des cartons pour les vitraux de Santa Maria del Fiore. Deux ans plus tard, il est amené par Donatello à Padoue, ce grand laboratoire de la Renaissance ;
il y peint à fresque, dans la casa Vita-liani, des figures de géants (perdues) que Mantegna* regardera avec fruit.
Revenu à Florence avant 1450, il participe une seconde fois à la décoration du Chiostro Verde, mais dans un esprit moderne, en peignant la fresque qui représente en haut le Déluge et le retrait des eaux (v. espace plastique), en bas le sacrifice et l’ivresse de Noé.
Vers 1455, le palais Médicis accueille les trois panneaux, aujourd’hui aux Offices, au Louvre et à la National Gallery de Londres, qui représentent autant d’épisodes de la bataille de San Romano.
À l’approche de 1460, Paolo semble avoir adopté un style moins tendu, dont témoigne notamment la charmante
Chasse nocturne de l’Ashmolean Museum d’Oxford, qui a sans doute dé-
coré un cassone (coffre d’apparat). Le chef-d’oeuvre de cette dernière période est le Miracle de l’hostie profanée, en six épisodes, prédelle de retable peinte en 1465-1467 pour l’église du Corpus Domini d’Urbino* et que viendra compléter une Communion des Apôtres de Juste de Gand (Galleria nazionale delle Marche). Paolo y révèle un talent de conteur que servent la nervosité de la facture et la préciosité des tons.
Uccello appartient à la première
génération des créateurs de la Renaissance florentine. Il est le héros d’une légende dont Vasari* s’est fait l’écho : celle d’un artiste absorbé par l’étude de la perspective au point de lui consacrer ses nuits, raillé par Donatello qui lui reproche de perdre son temps en de vaines spéculations géométriques. De fait, dans sa maturité surtout, Paolo a montré un vif intérêt pour la perspective rationnelle, la fuite calculée des lignes (celles de l’arche dans le Déluge, de la treille dans l’ivresse de Noé), la diminution des figures et des objets. Il a recherché en même temps la densité des formes (Hawkwood), ou leur ré-
duction à des solides géométriques tels que le mazzocchio, polyèdre annulaire aux facettes alternativement claires et sombres, visible dans l’histoire de Noé et dans les batailles. Cela dit, on a depuis longtemps remarqué les singularités de la perspective uccellienne.
D’abord sa complexité : au lieu d’une
vision cohérente, c’est une perspective à points de fuite multiples, variant à l’intérieur de chaque composition ; ainsi dans les trois batailles, où les cadavres du premier plan sont en raccourci très accusé, alors que les combattants se présentent frontalement.
D’autre part, cette perspective semble avoir sa fin en soi, au lieu d’aider simplement à rendre perceptible la notion d’espace. Elle fige le mouvement, dans le Déluge comme dans les batailles.
Elle construit un espace privé d’air ; dans des compositions serrées, pauvres en vides, les formes s’emboîtent avec la rigueur d’un travail de marqueterie
— et ce n’est pas un hasard si Uccello a dessiné des vitraux et des mosaïques.
L’étrangeté de cet espace intel-
lectuel contribue à la fascination qu’exerce l’oeuvre si fragmentaire de l’artiste. L’histoire de Noé et les batailles nous font entrevoir un monde fantastique, aux couleurs arbitraires.
Mais Uccello n’ignore pas le réalisme, comme le prouvent les paysages aux détails minutieux qui servent de fonds aux batailles ou qui, avec des scènes d’intérieur, ajoutent au charme narratif du Miracle de l’hostie.
B. de M.
& J. Pope-Hennessy, The Complete Work of Paolo Uccello (Londres, 1950 ; 2e éd., 1969). /
E. Carli, Tutta la pittura di Paolo Uccello (Milan, 1954). / E. Sindona, Paolo Uccello (Milan, 1957 ; trad. fr., Bibl. des Arts, 1962). / L. Tongiorgi-To-masi, Paolo Uccello (Milan, 1971 ; trad. fr. Tout l’oeuvre peint de Paolo Uccello, Flammarion, 1972).
ukiyo-e
École picturale et graphique japonaise des XVIIe, XVIIIe et XIXe s.
Le terme ukiyo-e signifie « peinture du monde qui passe » ou « images du monde flottant ». Attaché au quotidien éphémère, ce mouvement artistique est issu, à la fin du XVIe s., de la peinture de genre, créée tout d’abord pour satisfaire la curiosité de l’aristocratie japonaise. Ces scènes de genre devinrent de plus en plus nombreuses dans la production artistique des écoles traditionnelles Tosa* et Kanō*. La plupart des
grands maîtres de l’ukiyo-e ont reçu de l’école Kanō leur formation de base, tout en subissant indirectement l’influence de l’école concurrente Tosa.
Les membres de la classe guer-
rière s’intéressent les premiers à ce genre nouveau, qui se répand ensuite dans la classe marchande accédant à la vie culturelle au cours de la période d’Edo (1616-1868). Sous sa forme de xylographie, il s’adresse enfin à une clientèle plus populaire, et tout particulièrement aux habitants d’Edo (auj.
Tōkyō*), la capitale créée par les shogūn Tokugawa.
Les thèmes de l’ukiyo-e
L’école ukiyo-e s’est particulièrement intéressée aux faits divers et aux phénomènes sociaux. Elle se spécialise très vite dans la représentation de scènes de quartiers de plaisirs, où il n’y a plus de distinction de classes entre les nobles et les bourgeois. Le quartier de Yoshiwara à Edo est un exemple de ces lieux de divertissement où évoluent de jolies courtisanes, parfaitement éduquées. Elles en font de véritables centres de la vie sociale masculine, fréquentés par les écrivains, les musiciens et les artistes, qui y puisent leur inspiration. Les courtisanes deviennent leurs modèles préférés. Parées de somptueux kimonos, elles apparaissent avec Moronobu* Hishikawa (1618?-
1694) opulentes et épanouies. Suke-nobu Nishikawa (1671-1751) crée de son côté la représentation de la femme idéale japonaise, petite et gracile, quasi immatérielle, que Harunobu Suzuki (1725-1770) immortalisera plus tard.
Utamaro* Kitagawa (1753-1806) et
Eishi Hosoda (1756-1829) lui apporteront une nouvelle majesté, avec un maintien réservé, empreint d’un érotisme subtil.
De son côté, le théâtre de kabuki exerce sur les amateurs de plaisirs le même attrait que le quartier des « maisons vertes ». Au cours des XVIIIe et XIXe s., la popularité des acteurs de théâtre de kabuki devient très grande et la diffusion de leurs portraits explique le nombre considérable de gravures figurant tel ou tel acteur, représenté souvent dans son rôle le plus populaire et
dans une attitude caractéristique de son jeu de scène. La lignée des Torii, qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours, est la première à s’en faire une spécialité et obtient, dès le début, le monopole des affiches ornant l’entrée des théâtres. La stylisation de leur dessin plein de mouvement et l’exagération des attitudes donnent aux gravures de ces artistes une puissance qui aboutit bientôt à une représentation stéréotypée. Mais l’apparition du portrait psychologique et les progrès du réalisme donnent un élan nouveau au portrait d’acteur. Les oeuvres pleines de force et de sobriété de Shunshō Katsukawa (1726-1792)