Ses premières oeuvres ne sont pas encore celles d’un esprit novateur, mais plutôt le fruit de la technique parfaite et traditionnelle d’un homme de talent. Ainsi, le Dainichi Nyorai de l’Enjō-ji à Nara, daté de 1176, garde bien des éléments classiques, infléchis toutefois dans le sens des recherches de l’époque : mouvement des bras plus souple, visage plus animé, haute coiffure dans le style des Song.
Unkei doit sa renommée aux oeuvres de sa maturité. Parmi les plus célèbres se trouvent les deux gardiens géants de la grande porte sud du temple Tōdai-ji à Nara. Ces colosses, d’environ 8 m de haut, ont été exécutés en 1203 avec la collaboration de Kaikei et de seize assistants. Leur position dynamique et bien équilibrée, leur expression mena-
çante, leurs gestes brusques et violents, soulignés par des muscles tendus, leur confèrent un air de virilité tout en définissant un nouvel expressionnisme. C’est grâce à la technique par pièces assemblées (yosegi) de Jōchō, qu’il porte à la perfection, qu’Unkei, plus libre par rapport à la matière qu’il travaille, permet au réalisme de s’épanouir. Les yeux de cristal, encastrés dans les orbites creuses selon une méthode neuve, ne font qu’accentuer l’allure terrifiante des personnages.
Bien d’autres oeuvres — portraits de Seshin et de Muchaku au Kōfuku-ji de Nara, Jizō Basatsu du Rokuharamitsu-ji de Kyōto... — témoignent de tout ce qu’Unkei, tant par sa qualité spirituelle que par ses innovations pratiques, a apporté au style de cette période Ka-makura. Malheureusement, ses élèves, parmi lesquels ses fils, Tankei, Kōben et Kōshō, perdront vite cette belle vigueur, et la sculpture japonaise tom-downloadModeText.vue.download 32 sur 635
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 20
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bera, à partir des XIVe-XVe s., dans la redite et la virtuosité.
M. M.
Updike (John)
Écrivain américain (Shillington, Pennsylvanie, 1932).
John Updike apparaît comme l’un
des écrivains américains les plus représentatifs de sa génération. L’un des plus variés aussi : il a publié cinq romans, dont deux « best-sellers », quatre recueils de nouvelles, trois volumes de poésie et un recueil d’Assorted Prose (1965), qui groupe des études, des portraits, des pastiches et des articles de critique littéraire. Écrivain très cultivé, un peu sophistiqué, il se signale par une certaine préciosité : il aime la sonorité et la texture des mots, l’ampleur des phrases et manie la langue avec une virtuosité que certains trouvent éblouissante, mais d’autres trop recherchée. « C’est le malheur d’Updike, écrit Norman Mailer, d’être invariablement honoré pour son style et insuffisamment reconnu pour ses dons. Il pourrait devenir le meilleur de nos écrivains littéraires. Dommage qu’il cultive ce vice privé qu’il partage avec tant d’autres jeunes écrivains : le style pour l’amour du style. »
C’est que John Updike est d’abord poète. Mais il fut marqué dès l’enfance, dans un milieu très pauvre, par
« un monde réduit au silence par ces deux grandes catastrophes, la grande crise économique des années 1930 et la Seconde Guerre mondiale ». Il est né dans une petite ville de Pennsylvanie, Shillington, qu’il décrit dans plusieurs de ses livres sous le nom d’Olinger. Il reçoit une éducation très stricte, qui laissera une empreinte puritaine perceptible. À force de sacrifices, il fait d’excellentes études littéraires à Harvard, puis des études de dessin à Oxford, en Angleterre, qui lui donnent un sens aigu de l’observation et de la description précise. Il commence sa carrière au New Yorker, qui est la revue
« chic », l’expression d’un dandysme de confection caractéristique des dé-
buts de la société de consommation.
Entre publicité léchée et dessins humo-
ristiques, il y apprend le style « boutique », élégant et désinvolte, avec une pointe de désenchantement sophistiqué. Il y publie ses premiers textes, poèmes, essais et nouvelles, dans le style précis, mais maniéré de la revue.
Son premier livre est un recueil de poésie, The Carpentered Hen (1958).
Il réunit des poèmes brillants, sonores ; certains sont des feux d’artifice où se mêlent humour et satire dans un déferlement de métaphores. Comme plus tard dans les poèmes de Telephone Poles and Other Poems (1963), la splendeur de l’écriture dissimule un sens de l’absurdité de la vie. Ces vers donnent une impression de facilité dorée, mais un peu superficielle. De la même façon, les nouvelles, que l’auteur réunit en volumes (The Same Door, 1959 ; Pigeon Feathers [les Plumes du pigeon], 1962 ; The Music School [les Quatre Faces d’une histoire], 1966), sont des récits brillants mais ténus, à l’intrigue presque inexistante, aux personnages flous. L’essentiel y reste la technique et le style ainsi qu’une certaine ma-nière de déchiffrer les épiphanies, qui fait jaillir du réalisme quotidien une signification poétique et métaphysique.
Les thèmes profonds sont la mort, la nostalgie du passé, la peur du monde adulte, l’usure de l’amour, mais traités de biais, souvent à travers des incidents minimes : la mort d’un chat, une scène de ménage, un emprunt d’argent. Sous l’évocation de la vie quotidienne ser-pente une méditation angoissée, qu’explicitent les épigraphes empruntées à Bergson ou à Kafka.
C’est surtout comme romancier
qu’Updike est connu. Son premier
roman, The Poorhouse Fair (la Fête à l’asile, 1959), est une moralité. Roman d’anticipation didactique, il se situe en 1980, dans un hospice de vieillards du New Jersey, où l’on prépare la fête annuelle. Cet hospice est le symbole d’un monde occidental décrépit, qui ne sait plus lutter contre le communisme et le dérèglement des moeurs, d’une civilisation moribonde, qui a perdu sa foi et sa morale. Le livre oppose deux personnages : Conner, le directeur, symbole du catéchumène matérialiste, incarnation de la morale laïque, et Hooke, animé d’une foi farouche en Dieu, partisan des valeurs morales, patriotiques
et religieuses traditionnelles. Le livre est un pamphlet conservateur, d’un ton assez swiftien, qui s’inscrit dans la tradition de Huxley à Orwell. La pensée est contestable dans son parti pris réactionnaire de réarmement moral, mais la forme annonce déjà le talent d’un maître romancier.
Rabbit, Run (Coeur de lièvre, 1960) eut un succès immédiat et durable. En apparence, c’est un fait divers simple et sordide : un mari fait une fugue ; son épouse s’enivre et noie accidentellement son nouveau-né dans une baignoire ; le mari revient pour l’enterrement, pour s’enfuir de nouveau comme un lièvre traqué — d’où le
titre. Ce Rabbit, au nom symbolique de « lapin », rappelle aussi le Babbitt de Sinclair Lewis*. Mais, au lieu de se complaire dans la civilisation de consommation, cet autre voyageur de commerce a peur de s’engourdir parmi les gadgets, entre sa femme enceinte, sa voiture et sa télévision. Refusant de payer les traites de l’amour bourgeois, il fuit vers l’Ouest, sur la route de la liberté. Mais il n’y a plus de Far West pour les hommes libres, plus d’issue au
« cauchemar climatisé » américain. La satire sociale se double d’une évocation puritaine de la condition humaine.
La femme, ici, plus que le capitalisme, est le mal. Un réalisme obsédant, parfois obscène rassemble les objets alié-
nants autour du ventre gonflé et suin-tant de la femme, ce piège organique où s’embourbe l’homme. Le roman
poursuit une méditation sur le cheminement obscur de la grâce par les voies obscures du péché. Et ce Rabbit veule est en fait un héros de la race de ceux de Graham Greene. S’il fuit, c’est qu’il sent que l’homme n’est pas fait pour la femme et l’aliénation de l’amour terrestre, mais pour le royaume du Père. Le talent d’Updike sait, ici, rendre exemplaire et porter au plan métaphysique la crise de la conscience américaine.