rale des faits sociaux.
La réflexion générale des sociologues permet de préciser les conditions et les modalités de l’urbanisation de la population. Le passage d’un système social à l’autre est fonction d’une pluralité de facteurs. Il est conditionné par le niveau technologique : 1o tant que la production alimentaire demeure si inefficace qu’elle doit mobiliser la totalité des actifs, la multiplication des rôles demeure limitée ; 2o la concentration de population, qui est une des voies que peut prendre la recherche de la diversification sociale, suppose des moyens de transport efficaces pour acheminer au même point les excédents agricoles des régions productrices (une mutation dans les techniques agricoles est insuffisante pour promouvoir l’urbanisation si celle-ci ne peut bénéficier d’infrastructures satisfaisantes en ma-tière de circulation) ; 3o l’urbanisation dépend de la façon dont l’acculturation se déroule : la dimension du groupe qui façonne l’individu varie avec les moyens dont on dispose pour traiter et transmettre les informations. Qu’on découvre de nouveaux médias pour
faciliter la conservation et la transmission du savoir, et tout l’équilibre des groupes se trouve affecté ! À la limite, dans une société où les télécommunications sont suffisamment évoluées, l’urbanisation sociologique peut se produire sans que la concentration géographique des gens, jusqu’alors indispensable, soit nécessaire. On est en train de faire cette expérience. Les sociologues ruraux décrivent dans tout l’Occident la fin des paysans : cela ne veut pas dire que la population rurale soit amenée à disparaître, mais cela signifie qu’elle cesse de s’opposer par
sa personnalité de base, par ses comportements, par sa défiance et ses complexes d’infériorité au monde urbain ; elle participe désormais à la même vie générale d’échanges, au même espace culturel ; la mobilité individuelle accrue permet à chacun d’échapper, lorsqu’il le désire, aux regards des voisins et à la tyrannie de l’opinion publique, qui en était la conséquence directe.
Les conditions techniques ne sont pas les seules à influer sur l’urbanisation. Il est clair que les groupes peuvent, dans ce domaine, choisir des solutions différentes : il en est qui manifestent une affection toute particulière pour les modes de vie sécurisants de la société traditionnelle et qui s’in-génient à les garder vivants lors même que les circonstances et le niveau gé-
néral de développement économique devraient pousser à la concentration : il y a eu ainsi longtemps chez les peuples anglo-saxons ou germaniques une certaine méfiance à l’encontre des modes de vie trop résolument urbains. À
l’inverse, on remarque chez les Latins des efforts remarquables pour garder les avantages de la vie collective quand la dispersion s’impose : on connaît l’exemple brésilien des « villes du dimanche », qui ne s’animent que pour la messe, le repos et les rencontres. C’est là un moyen de refuser la dissolution du groupe dans l’étendue.
La difficulté de mesurer
le degré d’urbanisation
La prise en considération des dimensions sociologiques et morphologiques de l’urbanisation fait comprendre pourquoi il est difficile de cerner le phénomène. On sait la diversité des définitions que l’on donne de la ville selon les nations. Ici, le critère est purement numérique, ce qui compte plus de 500 habitants, de 1 000, de 2 000, de 10 000 selon le cas. Ailleurs, les statisticiens retiennent des critères économiques : ils mesurent la part de l’activité qui est tournée vers les services et, dans certains cas, vers les opérations de transformation ; certains pays font intervenir des critères plus proprement sociologiques : niveau de vie, d’instruction ; d’autres se fient
aux caractères propres au paysage, à la présence de certains monuments.
Depuis une vingtaine d’années, on prend conscience de ce que l’urbanisation peut s’effectuer sans qu’il y ait nécessairement concentration : en France, l’I. N. S. E. E. a délimité de la sorte des zones de peuplement urbain et industriel dans lesquelles la notion de densité cesse d’être essentielle. Aux États-Unis, il y a longtemps que la définition des aires métropolitaines a été élargie pour y inclure les franges péri-urbaines, dont le paysage est encore rural, mais dont la société est déjà transformée en profondeur. Lorsqu’on veut apprécier le degré d’urbanisation du monde actuel, il convient donc de joindre à la population des agglomé-
rations et de leurs couronnes de banlieue toute la masse plus diluée des ruraux qui participent déjà des mêmes rythmes de vie et peuvent participer sans trop de peine à la vie d’échange la plus intense. Brian Berry a ainsi déli-downloadModeText.vue.download 37 sur 635
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 20
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mité pour les États-Unis l’ensemble de l’espace qui se trouve caractérisé par ces formes complexes de l’urbanisation : en 1970, elles regroupaient 96 p. 100 de la population totale (alors que la population proprement urbaine n’excédait pas 75 p. 100). En France, les communes urbaines groupaient
70 p. 100 de la population au recensement de 1968, mais les zones de peuplement industriel et urbain en renfermaient 79 p. 100. On pourrait multiplier les exemples pour tous les pays d’économie avancée. Presque partout, on sent venir l’ère de l’urbanisation totale, l’ère de la société postindustrielle, libérée du vieux dualisme, de l’opposition des villes et des campagnes que l’humanité traînait avec elle depuis les débuts de l’histoire.
Développement
historique
La naissance des villes
L’urbanisation du monde a, en effet, commencé quelques milliers d’années
avant notre ère. Les premières villes dont on ait retrouvé des ruines étaient installées au Moyen-Orient, Çatal höyük en Anatolie*, Jéricho en Palestine, et peut-être dans les pays danubiens, où les progrès de la datation au carbone 14 ont permis de vieillir des sites qu’on estimait jusqu’alors nettement postérieurs à ceux de l’Orient.
Dans un certain sens, les premières cités livrées à la curiosité moderne par les fouilles n’étaient pas encore urbaines : il s’agissait plutôt de gros villages installés dans des secteurs privilégiés pour la chasse et pour l’agriculture, et leur structure de population devait demeurer très uniforme. La part faite aux soucis esthétiques, l’importance des lieux de culte, une certaine différenciation sociale sensible dans l’habitat attestent pourtant que la so-ciété avait dépassé le stade des collectivités étroites du monde traditionnel.
Dans quelles circonstances ces premiers centres ont-ils pu se former ? Il a fallu un concours multiple de possibilités. Il n’est pas douteux que les plus impérieuses sont à chercher du côté de la productivité du travail primaire. La révolution urbaine est fille de la révolution agricole du Néolithique, qui l’a précédée de quelques millénaires, parfois moins, en particulier dans le cas de Çatal höyük. Depuis les travaux de Gordon Vere Childe (1892-1957), il y a un demi-siècle, c’est devenu un lieu commun que de montrer comment l’apparition d’excédents de produits alimentaires, qui traduit l’avènement de l’agriculture, est à l’origine de la mutation qui fait brusquement surgir, dans une société encore faite de cellules de petite dimension, des centres plus pesants, dotés d’une influence plus forte. Gordon Childe ne faisait, en somme, que fournir une interprétation d’inspiration technicienne — on pourrait presque dire marxiste — de la naissance des villes. Depuis lors, des voix se sont élevées pour souligner ce que le schéma a sans doute d’incomplet, peut-être même d’inexact. Dans le cas de Çatal höyük, la ville apparaît avant même qu’on soit arrivé au stade de l’agriculture et de la domestication des animaux ; cette dernière semble progresser au cours du millénaire d’histoire que les fouilles ont permis de re-