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L’urbanisation du monde s’est prodigieusement accélérée depuis le XVIIIe s.

On estime qu’en France la population urbaine ne correspondait encore qu’à 16 p. 100 de la population totale en 1801. Les proportions étaient encore plus faibles dans bon nombre de pays.

Dans les colonies d’Amérique, elle était voisine de 5 p. 100 à la même époque. En Russie, on était passé de 2,5 p. 100 en 1630 à 4 p. 100 en 1790.

Les seuls pays où les taux d’urbanisation étaient plus élevés étaient ceux qui étaient caractérisés par l’essor précoce des activités commerciales et industrielles. À certaines époques du Moyen Âge, la population flamande a peut-

être été urbanisée à 50 p. 100. Dans la province néerlandaise d’Overijssel, le recensement de 1795 note 54,4 p. 100

de citadins. Les estimations que l’on propose pour la population urbaine de l’Angleterre ne sont pas cohérentes.

Pour les villes de plus de 20 000 habitants, le taux est de 19 p. 100 en 1801, mais la définition est bien trop restrictive pour l’époque. Les estimations les downloadModeText.vue.download 39 sur 635

La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 20

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plus raisonnables donnent un peu plus de 30 p. 100 de citadins à ce moment.

Depuis la fin du XVIIIe s., l’histoire distingue traditionnellement une série de révolutions techniques : révolution

agricole du XVIIIe s., révolution industrielle, révolution des transports. Au fur et à mesure que l’analyse s’est pré-

cisée, il a fallu multiplier les étapes : on parle maintenant de seconde révolution industrielle ; on décrit une nouvelle révolution agricole, qui se déroule en Europe occidentale et aux États-Unis depuis une quarantaine d’années. Il est utile de regrouper ces notations : au fur et à mesure que le temps passe, on prend mieux conscience de l’ampleur des transformations que subit l’humanité ; on est en train de vivre la phase de transition de la société traditionnelle, marquée par le dualisme des villes et des campagnes, à la société postindustrielle, caractérisée par son urbanisation à peu près totale.

Quelles sont les causes de cette

évolution ? Elles se situent d’abord au niveau des techniques. L’amélioration permanente de la productivité en ma-tière agricole et en matière industrielle a provoqué un glissement continu de la population active d’un secteur à l’autre, comme l’ont bien montré Colin Clark et Jean Fourastié. En matière de production alimentaire, les progrès ont vite amené une réduction de l’emploi, dans la mesure où la demande est relativement inélastique : il faut peu de temps pour satisfaire tous les besoins.

En matière de production industrielle, l’évolution a été assez différente. Les appétits instrumentaux des sociétés étaient considérables, et la production était réduite. Dans un premier temps, la population industrielle a crû rapidement : l’augmentation de la demande était très vive, et l’abaissement des prix de revient la stimulait. L’invention de nouvelles catégories de biens d’équipement a maintenu la pression sur la demande aussi vive jusqu’au milieu de notre siècle, mais l’accroissement de la production s’est de plus en plus effectué sans hausse des effectifs employés.

On voit maintenant s’esquisser une diminution de ceux-ci : elle est déjà importante aux États-Unis et au Canada.

En un siècle et demi, la part de la population employée dans l’agriculture a baissé de 80 à 5 p. 100 ; les effectifs ouvriers, qui correspondaient à 10 p. 100

du total au début du XIXe s., ont crû jusqu’à représenter 50 ou 55 p. 100 de la population active. De nos jours, la

part du secteur secondaire n’est plus que de 30 p. 100 aux États-Unis. La population agricole est nécessairement dispersée et soustraite à l’urbanisation. Les ouvriers et les employés de l’industrie peuvent aussi bien travailler à la campagne qu’en ville. Cependant, la concentration croissante des fabrications tend à faire des zones de peuplement industriel des aires assez denses pour justifier des équipements proprement urbains, et les activités modernes ont de plus en plus tendance à s’implanter dans les milieux urbains pour profiter de toutes les externalités qui y sont produites.

L’urbanisation apparaît comme le

résultat essentiel de la phase de transition de la société traditionnelle à la so-ciété postmoderne, mais elle n’est pas la conséquence seulement des gains de productivité dans les secteurs primaire et secondaire : ceux-ci rendent plus facile la concentration, autorisent donc les transformations sociologiques profondes qui sont liées aux possibilités d’interaction liées à la vie urbaine, mais des mutations aussi importantes pour comprendre l’évolution contemporaine ont pour cause l’élévation générale des niveaux de vie ; celle-ci permet d’élargir progressivement la place réservée, dans les dépenses et dans les emplois du temps, aux activités de relation, que les services favorisent, organisent et structurent. D’autres mutations significatives affectent les moyens de transport, augmentent la mobilité des biens, facilitent ainsi les accumulations de population et la mobilité des personnes : celle-ci multiplie pour tous les occasions de se rencontrer. Plus que tout comptent enfin les progrès dans le domaine des communications : les mass media donnent à l’espace une transparence qu’il n’avait jamais eue ; les moyens de communication à distance rendent possible la confrontation instantanée. Les effets de ces transformations sont divers : tous ne tendent pas aux mêmes effets géographiques.

Dans l’ensemble, l’évolution a

joué en faveur de l’urbanisation sous sa forme classique : formation de villes, de noyaux à densité élevée, où la structure des équipements facilite les déplacements, les rencontres, les

confrontations, toutes les formes de l’interaction. Dans la mesure où les contraintes écologiques de jadis disparaissent, rien n’impose plus la multiplicité des centres : la part qui revient aux grandes agglomérations croît plus vite que celle qui revient aux villes petites et moyennes, sauf dans les nations où l’évolution a commencé le plus tôt et où la concentration est déjà très poussée.

Les formes actuelles

et l’avenir

On décèle pourtant les signes d’une transformation articulée selon des lignes nouvelles. L’élargissement des aires urbaines, la formation de villes régionales, de grandes métropoles, leur organisation en longs chapelets selon le modèle des mégalopoles ne marquent pas seulement le triomphe de la

concentration : ils traduisent le passage des organisations monocentriques aux organisations polycentriques, la fin de l’avantage de l’accumulation sur une toute petite aire. Plus loin des noyaux de peuplement, les zones urbaines subissent une double transformation : l’urbanisation y résulte de l’arrivée de migrants venus de secteurs urbains dé-

sormais saturés ; elle provient aussi de l’évolution sur place des populations autochtones. Celles-ci accèdent aux nouvelles formes de l’existence sociale sans avoir besoin de s’installer dans les concentrations urbaines. Au-delà de toutes les auréoles marquées encore par l’influence des grands centres, le développement de l’instruction et des mass media précipite partout la fin des paysans.

L’évolution peut-elle se poursuivre jusqu’au point où le processus de concentration par lequel l’urbanisation s’est d’abord traduite s’inverserait ?

N’est-il pas possible de concevoir une société urbaine dans son principe, mais où les accumulations gigantesques du monde actuel perdraient leur raison d’être ? C’est encore une utopie, mais l’ère de la très grande ville ne durera peut-être pas sous les formes que nous lui connaissons. Pour que l’existence sociale soit riche d’opportunités diverses, il faut une densité suffisante pour justifier des équipements complexes. Mais il est possible d’envisager

une structuration de l’espace par aires peuplées alternées avec les espaces de repos, de détente ou de loisir constitués par les zones agricoles, forestières ou les aires inutilisables.