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Il existe parfois des décalages entre l’évolution des mentalités et des genres de vie qui résultent de la transformation en profondeur de l’art de communiquer et d’habiter et les transformations de l’espace. Ici, l’urbanisation sociologique est à peu près complète sans que le paysage de la campagne classique préindustrielle ait été défiguré : c’est fréquemment le cas dans les régions rurales de Suisse, d’Allemagne ou de l’Angleterre du Sud. Ailleurs, les grandes cités accueillent des masses rurales attirées par la recherche de l’emploi et par l’espoir d’un niveau de vie meilleur : elles n’ont pas le temps de les assimiler, si bien qu’il demeure curieusement dans le tissu urbain des îlots de vie traditionnelle qui, une fois constitués, résistent longtemps à l’usure du milieu ambiant. On cite volontiers l’exemple de villages italiens, irlandais, mexicains ou yougoslaves maintenus vivants depuis trois quarts de siècle dans la trame de l’espace apparemment monotone des grandes

métropoles nord-américaines.

La phase de transition des sociétés traditionnelles à la société postindustrielle s’étale sur deux siècles pour les pays les plus avancés : elle s’annonce dès la fin du XVIIIe s. dans les pays d’Europe du Nord-Ouest et sur la côte orientale des États-Unis. La plus grande partie de la planète est demeurée à l’écart du mouvement jusque très avant dans notre siècle. Les nations touchées par la révolution industrielle se limitaient au monde tempéré des deux hémisphères, et encore, pour certaines, le moment décisif de l’évolution s’est situé très tard, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, comme en Europe orientale ou méridionale. Ailleurs, les structures de la société traditionnelle n’avaient été que partiellement mises en cause par les aventures coloniales. Le dualisme, qui était la plaie des sociétés intermédiaires, avait pris une nouvelle forme, mais l’architecture des sociétés restait fidèle à ses modèles traditionnels.

Depuis une génération, les pays du tiers monde ont pris conscience de leur retard. Ils se trouvent bouleversés par les conséquences de la révolution des télécommunications et des mass media avant même d’avoir connu les mutations agricoles et industrielles, par lesquelles l’Europe et l’Amérique avaient commencé. Un peu partout, à l’image des nations développées, on fait des efforts rapides pour assurer la scolarisation. Les programmes, même lorsqu’ils sont adaptés aux conditions générales du pays, sont imités de ceux qui existent dans les nations industrielles : ils sont faits pour préparer à la vie sociale urbaine la foule des employés et des ouvriers de demain.

Ainsi, la transformation sociologique commence bien avant que ne soient ébranlées les structures économiques traditionnelles.

Dans la mesure où les possibilités d’emploi dans le secteur agricole sont médiocres, soit qu’il y ait surpopula-tion rurale, soit que la prédominance de la grande propriété extensive dé-

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La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 20

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courage la majeure partie des jeunes, une part croissante du croît démographique se trouve dirigé vers les villes.

Les seules qui offrent des avantages urbains véritables sont les plus importantes : la migration se fait directement des villages vers les grandes villes, dont la seule, dans beaucoup de pays, est la capitale.

L’urbanisation entraîne donc dans l’espace urbain des groupes hétéro-gènes : à côté des classes rompues à toutes les pratiques de la vie citadine, on voit s’entasser dans les bidonvilles des ruraux qui ne sont pour ainsi dire pas assimilés et qui gardent dans leur comportement l’héritage très lourd d’un passé de tradition. De plus en plus, les jeunes, scolarisés et le plus souvent politisés, constituent une nouvelle catégorie : idéologiquement, ils appartiennent déjà à la société nouvelle, mais celle-ci ne leur réserve au-

cune place, et leur formation les rend incapables, dans la plupart des cas, de suivre les voies traditionnelles d’inté-

gration, par lesquelles les nouveaux venus apprenaient à se mouler dans le cadre d’une civilisation qui leur était étrangère, mais qui leur fournissait travail et modèle.

L’urbanisation des pays du tiers

monde se fait à un rythme inégalé jusqu’ici : même dans l’Europe du XIXe s., au moment de l’industrialisation forcenée, on n’a jamais vu la population des villes s’accroître au rythme de 6 ou 7 p. 100 par an, ce qui est devenu courant dans les petites nations, cependant que des taux de 5 p. 100 se rencontrent pour des pays de la dimension du Mexique ou du Brésil.

Dans le monde actuel, les espaces qui sont encore le moins marqués par le mouvement général d’urbanisation sont ceux de l’Afrique noire et de l’Asie de la mousson. Dans ce dernier domaine, les densités moyennes des régions rurales sont si élevées que la mutation sociologique peut se faire sans concentration générale de la population : c’est un peu en ce sens qu’il faut interpréter l’expérience chinoise de socialisme. En Afrique noire, où la population est généralement dispersée, on voit mal comment les mutations en cours pourraient se faire sans un bouleversement profond de l’organisation de l’espace. (V. ill. population.)

P. C.

F Agglomération urbaine / Ville.

& J. Beaujeu-Garnier et G. Chabot, Traité de géographie urbaine (A. Colin, 1964). /

G. Breese, Urbonization in Newly Developing Countries (Englewood Cliffs, N. J., 1966). /

K. Davis, World Urbanization, 1950-1970

(Berkeley, 1969-1972 ; 2 vol.). / M. Santos, les Villes du tiers monde (Génin, 1972). / J. Rémy et L. Voyé, la Ville et l’urbanisation (Duculot, Gembloux, 1974).

urbanisme

Science de la création et de l’aménage-

ment des espaces urbains.

HISTOIRE DE

L’URBANISME

Il en est de l’urbanisme comme de la prose : on en a toujours fait sans le savoir. Le concept est de création ré-

cente : la première utilisation du mot en langue française date de 1910, et son origine semble remonter à l’ouvrage d’Ildefonso Cerdá (1816-1876), l’urbaniste de Barcelone, Teoría general de la Urbanización y applicación de sus doctrinas a la reforma y ensanche de Barcelona (1867). Il n’en reste pas moins que l’urbanisme, en tant que pratique, remonte à la plus haute antiquité : Hippodamos de Milet, donnant les plans des villes grecques d’Asie Mineure au Ve s. av. J.-C., était indiscutablement un urbaniste.

L’urbanisme, qui se définit comme une science, se distingue, par le fait même, de l’urbanisation* spontanée, produit des nécessités d’une situation, mais sans aucun contrôle ni de cette situation, ni de ses conséquences sur l’organisation de l’espace urbain (c’est ce qu’on appelerait aujourd’hui l’urbanisme sauvage).

L’urbanisme est donc un phénomène modérateur des appétits de puissance de certains groupes sociaux dans l’espace collectif de la ville. Il en était ainsi au Moyen Âge, lorsque le voyer, représentant de la communauté urbaine, faisait démolir par force les maisons empiétant sur l’espace de la rue.

La pratique urbanistique se réduisait ici à la protection d’une certaine surface, assurant au coeur de villes extrêmement denses les échanges et les communications. Le contrôle de la collectivité sur les individus se bornait donc à la délimitation des sols (ce qu’est encore de nos jours le cadastre*), sans préjuger d’une utilisation plus ou moins abusive de la parcelle privée.

De l’urbanisme

réglementaire

à l’urbanisme

planificateur

L’urbanisme classique, tel qu’il se définit à partir de la Renaissance et jusqu’à l’époque haussmannienne, a

attaché une importance croissante à l’espace collectif et à son image, en développant le contrôle des façades : avec la réglementation de Versailles, sous Louis XIV, et surtout l’illustre