« loi des bâtiments » d’Antoine Desgo-dets, au XVIIIe s., les règles de l’alignement sont étendues au plan vertical des façades, à leurs reliefs et à leur gabarit, voire même à leur ornementation qui, sans faire l’objet d’un ordonnancement absolument systématique, est néanmoins étroitement contrôlée (surtout à l’époque haussmannienne).
Avec la réglementation sur les servitudes de cours communes, qui se vulgarise dans la seconde moitié du XVIIIe s. (notamment pour le lotissement de la Halle-au-Blé, à Paris), apparaît la première tentative de contrôle de la puissance publique sur l’espace privatif des parcelles : la réglementation contemporaine ne fera que renforcer cette surveillance de la collectivité dans la double perspective d’un développement de l’hygiène (règles sur les dimensions d’ouvertures, les installations sanitaires, etc.) et d’une sécurité accrue contre les incendies ou les accidents (obligation d’accessibilité des fa-
çades, de cloisonnement des escaliers, systèmes anti-fumée, parois coupe-feu, etc.).
Mais cet urbanisme purement réglementaire, même s’il tend à encadrer de plus en plus étroitement la construction, ne concerne, en fait, que l’architecture et laisse de côté les problèmes d’organisation urbaine, qui sont devenus prioritaires depuis l’époque industrielle : le changement d’échelle des villes, à partir du XIXe s., a imposé une réflexion nouvelle sur l’organisation des espaces urbains dès que le point de rupture de l’ancienne échelle piétonnière a été atteint. À compter du moment, en effet, où le trajet à pied d’un point à un autre n’est plus possible (en raison de l’extension de la ville) et où des transports de relais s’imposent à l’intérieur de la ville, l’ancienne structure urbaine, héritée d’une tradition antique, tend à éclater sous l’effet d’une circulation de plus en plus intensive, qui envahit les espaces collectifs, dont elle chasse peu à peu les autres formes d’activité. On aboutit ainsi à une asphyxie de l’organisme urbain.
C’est ce qui explique l’importance prise dès le milieu du XVIIIe s., notamment en France, par les ingénieurs du corps des Ponts et Chaussées : avec l’accroissement des échanges, leur rôle devient prioritaire et leur fonction glisse peu à peu de la construction des routes et des ouvrages d’art à la planification urbaine, par le biais des études de circulation*. Urbanisme de village, au départ — il s’agit, en profitant de la construction d’une route royale, d’adapter la structure du bourg au nouveau réseau de connexions, dressé à l’échelle régionale —, l’activité des Ponts et Chaussées s’étend très rapidement au domaine proprement urbain, provoquant dans les villes anciennes des percements qui correspondent à une hiérarchie des voies (primaires, secondaires ou de desserte) : l’urbanisme de restructuration d’Haussmann correspond très exactement à cette définition.
L’urbanisme contemporain n’est que l’extension de cette philosophie de la circulation comme moteur de l’espace urbain et du droit de regard qu’exerce l’administration publique sur l’activité privée de la construction à travers une réglementation d’une rare abondance et d’une totale complexité. Simplement, et par la force des choses, on est passé d’une planification locale, d’échelle souvent modeste, à des interventions beaucoup plus larges, qui peuvent se situer au niveau national ou même international.
L’« image » de la ville
De l’urbanisme réglementaire à l’urbanisme planificateur, on n’a envisagé qu’un aspect du traitement des espaces urbains : celui de leur gestion.
Sans doute faut-il maintenant aborder un autre niveau de l’analyse portant sur l’« image urbaine », produit d’un système de rapports sociaux et transcription de ceux-ci dans la réalité de l’espace concret. Du plan de l’économie, on passe à celui de la sociologie et, éventuellement à celui de la politique. Si étroites que puissent être les interactions, on peut, en effet, distinguer ce qui ressort d’un bon fonctionnement de l’organisme urbain comme outil de production et ce qui appartient
à l’organisation sociale comme lieu d’expression ou d’affrontement des divers groupes sociaux qui constituent la ville.
Image consciente ou inconsciente, ce n’est pas là le problème le plus im-médiat : que la domination des grandes capitales par la silhouette des gratte-downloadModeText.vue.download 41 sur 635
La Grande Encyclopédie Larousse - Vol. 20
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ciel* de bureaux soit le produit d’une volonté clairement exprimée ou le résultat fortuit de la loi de la jungle, peu importe à partir du moment où le phénomène existe et où sa signification vient à la connaissance de tous. Ainsi, on n’étonnera personne en signalant qu’il est plus coûteux d’habiter au coeur d’une ville — là où les communications sont les plus nombreuses, les plus aisées et où se concentre le maximum d’avantages (services, loisirs, etc.) —
que de se retrouver dans une banlieue lointaine, mal desservie et dépourvue des équipements les plus élémentaires : la géographie des prix d’achat des logements n’est que le constat d’une différence de statut social entre les uns et les autres, différence exprimant la possession ou la non-possession des biens de production.
Sous cet angle, l’image de la ville devient image de la société qui l’a produite. Ainsi peut-on s’intéresser, ethnologiquement parlant, à la distribution spatiale d’un village dans une tribu d’Afrique, qui reflète les rapports de production entre les individus, leurs rapports sociaux et même leur vision du monde. Miroir de la civilisation, le phénomène urbain est un lieu privilégié pour son observation ou son intelligence : à preuve, les études que le sociologue Paul Henry Chombart de Lauwe a pu effectuer sur les déplacements d’une Parisienne relativement à son origine sociale.
Terrain de chasse des ethnologues ou des sociologues, l’espace urbain peut même intéresser le psychanalyste. Il y a longtemps déjà que le
« test du village » est utilisé par les
psychologues pour mesurer la richesse de l’inconscient du sujet à travers sa symbolique de l’espace. Mais l’on pouvait aller plus loin, comme l’a fait Alexander Mitscherlich : la « lecture »
de l’espace urbain a un caractère éminemment symbolique, et la vision logique de l’organisme urbain manque perpétuellement son but lorsqu’elle ignore le « sens » de la ville, son code de signification présent dans tous les inconscients, aussi bien collectifs qu’individuels.
Cette lecture de la ville, qui inté-
resse hautement notre époque (et particulièrement les sciences humaines), a éclaté dans des directions très diverses, depuis l’analyse politique, telle que la pratique en France Henri Lefebvre, jusqu’à la recherche d’une « image de la ville », telle qu’elle a été perçue dans le passé (ou telle qu’elle est vue par ses actuels habitants) comme l’a tentée l’école américaine : études scientifiques de la perception visuelle des espaces et des formes (Georgy Kepes), enquêtes sociologiques sur la description de la ville ou du quartier (Kevin Lynch) ou bien même les études plus paradoxales menées sur Las Vegas
par l’architecte Robert Venturi, qui constatent la destruction de l’espace par le signe.
La ville
dans la réflexion
contemporaine
Il faut souligner la richesse des travaux actuels portant sur l’histoire urbaine et la participation de plus en plus fré-
quente des historiens aux équipes d’urbanistes — qui incluaient déjà géographes, sociologues et psychologues — pour montrer toute l’ampleur que l’étude théorique de la ville a prise dans la réflexion contemporaine à propos du cadre bâti.
À ce deuxième niveau, l’urbanisme apparaît moins comme un mécanisme de sauvegarde de l’organisme urbain, dont il assure la gestion, que comme une science humaine, pour laquelle la ville n’est qu’un objet et qui a son sujet en elle-même, hors de toute pratique.