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L’urbanisme médiéval, pour moins

scénographique qu’il soit, apparaît comme beaucoup plus authentiquement urbain que celui de l’époque classique : espace de contact et non espace de spectacle (selon F. Choay), il privilégie en effet l’échange plutôt que la représentation ; il est beaucoup plus directement l’expression des forces en présence et de leur rôle spé-

cifique que le cadre systématique des grandes compositions classiques. Ici, en fait, une vision conceptuelle de la ville s’oppose à une vision organique de l’urbain.

Néanmoins, et il est important de le souligner, les deux systèmes de com-

position urbaine n’attachent pas moins d’importance l’un que l’autre aux phé-

nomènes visuels dans le traitement des espaces urbains : les grandes places de Sienne, de Vérone ou de Florence sont tout aussi profondément méditées que celles de Rome ou de Bath. Plus encore, l’urbanisme médiéval, dans sa dimension organique, lie si étroitement phénomène plastique et signification économique, sociale ou politique que le résultat est presque indissociable (la réussite plastique de certains ensembles de l’époque classique pouvant, au contraire, s’accompagner d’un échec fonctionnel ou d’une rivalité permanente de l’un et de l’autre).

Ainsi, l’urbanisme (ou plutôt l’art urbain), en tant que pratique plusieurs fois millénaire, se définit comme un art de la composition plastique — spontanée ou ordonnée — à l’intérieur d’un système de valeurs dont elle est la traduction, sans réflexion préalable ni remise en cause. Cet aspect contrebalance la vision utilitariste de l’urbanisme « réglementaire », que nous avons d’abord défini. L’un et l’autre points de vue ont cohabité longtemps comme des degrés différents d’un

même système de valeurs.

La révolution

industrielle

et la théorie

de l’urbanisme

La révolution industrielle*, en rompant l’équilibre traditionnel des échanges, a perturbé gravement l’espace urbain : le renversement du rapport ville-campagne, conduisant à l’explosion urbaine, a nécessité une réflexion d’ordre plus théorique sur l’organisation urbaine et la recherche de mo-dèles nouveaux, acceptant la modification des contraintes traditionnelles.

C’est de cette manière qu’est apparu l’urbanisme en tant que théorie, condi-tionnant une pratique urbanistique a posteriori.

Les premiers signes d’une remise

en cause de la ville comme structure apparaissent dès le XV s. en Italie avec le développement de la grande bourgeoisie d’affaires : les esquisses de Léonard de Vinci pour une superposi-

tion des circulations urbaines (préfigurant étrangement certaines réalisations du XXe s.) appartiennent à cette remise en cause du système urbain et du brassage des fonctions qui s’y produit. De cette réduction logique de l’organisme urbain, on pourrait dire, dans un certain sens, que les souks médiévaux sont significatifs : le zonage systématique des activités qui tend à marquer la ville médiévale, surtout en Orient, est une tentative intellectuelle de domination, de mise en ordre d’une activité foison-nante et multiple.

Mais c’est surtout par l’utopie*, image inversée du réel, que s’est constituée la pensée sur l’urbanisme : utopies géométriques des ingénieurs de la Renaissance (Filarete, Francesco di Giorgio Martini*), utopies littéraires d’un Rabelais* (Thélème) ou d’un

Thomas* More (l’Amaurote). Baignés dans la pensée néo-platonicienne, les projets de la Renaissance proposent de l’homme une vision figée dans l’éternel de la perfection ; ils rejoignent le plan de l’idée platonicienne en proposant de la ville un modèle, référence idéale vers laquelle tendrait toute réalisation.

Réintroduire l’imaginaire dans cette vision conceptuelle a été la tâche de toute la Renaissance : par le biais des tableaux de marqueterie, des grands paysages architecturés où s’enferme la figuration picturale (notamment l’école de Fontainebleau) et dans l’espace de convention de la représentation scé-

nique (Inigo Jones* par exemple) s’est peu à peu constituée l’image visuelle de la ville baroque et de son spectacle, nouveau moment d’équilibre.

Avec les bouleversements du début du XIXe s. réapparaît l’utopie, d’abord chez les architectes révolutionnaires français, auteurs de modèles architecturaux théoriques (où la géométrie souligne l’abstraction de la forme), puis chez les théoriciens socialistes : Charles Fourier*, qui fonde le phalanstère de Condé-sur-Vesgre vers 1830 ; Robert Owen*, qui crée la ville de New Harmony dans l’Indiana en 1825 ; Étienne Cabet, enfin, qui donne naissance à deux reprises (dans le Texas et l’Iowa) à des colonies phalanstériennes restées sans lendemain. Seul, en définitive, le « Familistère de Guise », créé

à l’initiative de l’industriel Jean-Baptiste Godin pour ses ouvriers, a connu une vie autre qu’éphémère et témoigne de la conception urbaine des théoriciens socialisants du XIXe s. Étrange conception, à vrai dire, marquée par l’immobilisme platonicien des fonctions, par leur hiérarchisation baroque (le phalanstère étant un « palais » ouvrier) ainsi que par la fermeture géné-

rale et l’isolement de ces colonies qui sont repliées sur elles-mêmes autour d’une vaste cour collective à valeur symbolique.

À l’urbanisme utopique des fourié-

ristes répondra l’urbanisme haussmannien, produit d’une « transformation »

de la ville nécessitée par son adaptation à l’époque industrielle (v. Paris).

Plastiquement, l’haussmannisme n’est que du baroque continué ; son originalité tient à la hiérarchisation qu’il impose entre les voies et, dans un tissu traditionnellement orthogonal, à l’utilisation de tracés rayonnants ou diagonaux (hérités des projets de la fin du XVIIIe s.). Enfin, les percées haussmanniennes, trop souvent réduites par la critique à une fonction policière, ont introduit dans l’espace serré de la ville un réseau de verdure (avenues plantées et squares) qui a pris le relais des anciens jardins de coeur d’îlot, disparus sous la poussée immobilière. L’urbanisme haussmannien, même s’il est l’expression privilégiée d’une bourgeoisie triomphante, au service de laquelle il s’est placé, n’en est pas moins une réussite exceptionnelle, digne des grandes réalisations baroques qui l’avaient précédé.

Urbanisme bourgeois, l’haussman-

nisme s’est trouvé incapable de ré-

soudre les contradictions de la société du XIXe s., dont l’espace urbain est marqué du sceau de l’incohérence et de la confusion : quartiers ouvriers, zones industrielles et lignes de transports forment dans les faubourgs des capitales un enchevêtrement inextricable ; univers de gigantisme et de laideur qu’illustrent bien les faubourgs anglais de Manchester ou les docks de Londres.

La société du XIXe s. est une société de l’endroit et de l’envers, édifiée dans un rapport de dépendance absolu, illustration caricaturale de la dialectique du

maître et de l’esclave.

La nouvelle réflexion

« urbanistique »

et l’urbanisme

progressiste

On comprend que certains artistes de l’époque soient entrés en révolte contre ce monde de misère et de laideur que traînait derrière elle l’industrialisation : en Angleterre, tôt touchée par ce phénomène, John Ruskin* devait se faire le défenseur à la fois des valeurs esthétiques et morales de la civilisation ancienne et de la classe ouvrière, aliénée par le monde de la machine. Ce socialisme nostalgique, défini comme

« culturaliste » par certains, devait influencer fortement l’art de William Morris (1834-1896) et des préraphaé-